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Lettre N°8 - RIEN N’EST JOUÉ...
Le nombre des participants à notre colloque du 11 juin, les échos qu’il a eus dans la presse écrite et parlée ont contribué au nécessaire éveil de l’opinion, car la liberté de l’enseignement et la liberté dans l’enseignement sont toujours menacées. RIEN N’EST JOUÉ... ainsi que le dit Monsieur PEYREFITTE, dont nous publions l’allocution prononcée à l’ouverture du colloque. Mais ce colloque a aussi permis de réfléchir aux solutions qui pourraient être mises en œuvre. La qualité des interventions de M. W.W. HALSEY II pour les Etats-Unis, du Docteur PAUL pour la République Fédérale d’Allemagne, de MR. L.A. STRUIK pour les Pays-Bas et du Sénateur SERAMY pour la France, justifie pleinement la publication que nous en préparons pour la rentrée. En prologue au colloque s’est tenue l’Assemblée Générale d’ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ qui a permis de faire le bilan de ses dix-huit premiers mois d’existence. Nous publions le rapport moral qui y a été présenté par Monsieur BOUDOT et approuvé à l’unanimité des participants. Mesdames. L’an dernier, pendant cinq mois, de la fin de janvier à la fin de juin, du défilé de Bordeaux à la fête parisienne de la liberté, près de 4 millions de marcheurs ont exprimé leur volonté collective, avec la sérénité des justes. Dans notre pays, qui a pourtant connu tant de bruits et de fureurs, jamais une marée humaine n’avait atteint une pareille hauteur, jamais ne s’était produit un pareil phénomène de civilisation. Depuis la foule en liesse venue fêter la libération de Paris le 26 août 1944 sur les Champs-Elysées, seuls trois autres rassemblements ont eu une ampleur comparable :
A chacune de ces trois manifestations on peut dire que le destin a vacillé. Celle de 1968 a sifflé la fin d’une récréation qui n’avait que trop duré. La deuxième, celle de Versailles, a fait taire un moment les extrémistes de la laïcité et a failli permettre aux négociateurs de trouver le chas de l’aiguille par lequel on pourrait faire passer le compromis. Mais ces extrémistes ayant réussi, au dernier moment, à durcir le texte au mépris de la parole donnée par le gouvernement aux évêques ; le troisième rassemblement, celui de la Bastille, a fait voler en éclats, d’abord le projet de loi liberticide et ensuite le gouvernement lui-même qui l’avait préparé. A ceux qui ont participé à ces journées, on aurait envie, si on ne craignait pas l’emphase, d’appliquer le mot de Goethe à Valmy - que Napoléon devait reprendre, treize ans après, à Austerlitz - "Vous pourrez dire : j’y étais". Par leur détermination calme, ils ont - nous avons, puisque j’imagine que nous y étions tous - détourné le fleuve de l’histoire. A Versailles, Mgr Lustiger avait demandé : "Qui êtes-vous ?". Le pouvoir s’imaginait peut-être que l’école libre n’intéressait que quelques curés attardés, quelques politiciens réactionnaires, quelques privilégiés, désireux d’élever leurs enfants dans du coton. Or, il suffisait de suivre ces manifestations - particulièrement celle de la Bastille - pour constater que toutes les catégories sociales s’y côtoyaient, et que les plus modestes étaient les plus nombreux. Les manifestants récapitulaient tous les points cardinaux, toutes les provinces, tous les âges, toutes les professions, toutes les couches de la population. Ils illustraient vraiment le mot de Bernanos "il n’y a pas de peuple de gauche et de peuple de droite ; il n’y a qu’un peuple de France"... C’était bien le "peuple de France" : il avançait en masses souriantes comme pour une communion solennelle. Que voulaient ces millions de Français ? Sur nos 10.000 écoles libres, plus de 9.000 sont catholiques. Assistons-nous donc à une recrudescence des luttes de la fin du XIXe siècle entre cléricaux et anticléricaux ? Non. Pourquoi les rues auraient-elles été pleines de militants catholiques, alors que les fidèles sont si rares dans les églises ? C’est que le conflit n’oppose absolument pas les catholiques aux non-catholiques, ni même les parents des élèves de l’enseignement privé aux parents des élèves de l’enseignement public. Il oppose les militants d’une laïcité devenue un engagement partisan en faveur d’un monopole sur lequel ils ont mis la main, à tous ceux qui sont inquiets de voir l’enseignement public se dégrader et qui constatent que l’enseignement libre est, comparativement, épargné. Beaucoup de ceux-là même qui ont confié leurs enfants à un établissement public tiennent à pouvoir, s’il le fallait, retirer leurs enfants de l’enseignement public pour les mettre dans un établissement privé. Tous revendiquent le droit pour les familles de décider elles-mêmes de l’éducation qu’elles donneront à leurs enfants. Au fond, ce qu’ils réclament, c’est moins l’enseignement libre, que la liberté du choix de l’enseignement. Ils refusent de se voir condamnés à l’établissement unique qui pourrait céder à la tentation de l’endoctrinement. Ce qui ne veut pas dire que tous y cèdent ni même que beaucoup y cèdent. Mais c’est un risque contre lequel chacun veut pouvoir se prémunir. Ils repoussent donc un système irresponsable et aveugle, où les maîtres sont nommés par ordinateur, où les élèves sont affectés par quartier, selon l’adresse de leurs parents. Ils rejettent l’omnipotence de syndicats qui ne sont que les courroies d’entraînement de partis marxistes. La gauche, en voulant accroître encore son emprise sur l’éducation, déjà si lourde par le fait de ces syndicats, touchait ainsi, sans l’avoir prévu, au point le plus sensible. Un de ses membres s’est écrié à la tribune de l’Assemblée Nationale : "la liberté à sauvegarder ce n’est pas celle des parents, mais des enfants. En démocratie c’est à l’État d’y veiller"... La majorité de l’Assemblée Nationale a vivement applaudi ; le gouvernement n’a pas émis la moindre réserve à l’égard de cette thèse. Or, le pays profond n’est pas de cet avis ; il estime que l’enfant n’appartient pas à l’État et que les responsables de son éducation sont d’abord, non pas des fonctionnaires, mais ses parents. Une pancarte à Montparnasse le 24 juin m’avait frappé. Elle traduisait naïvement cette conviction : "touchez pas à nos enfants"... Cela ne vous rappelle rien ? Après tous, nos enfants valent bien nos "potes". Par des moyens démocratiques, - les seuls qui soient dignes d’un peuple adulte -, les Français ont remporté l’an dernier une grande victoire. Ils ont condamné l’exécutif, à son plus haut niveau, à se déjuger. Le Président a fini par comprendre qu’il ne suffit pas que des réformes soient légales. Encore faut-il qu’elles soient légitimes, c’est-à-dire qu’elles répondent à la volonté profonde de la nation. Surtout quand elles touchent à des droits fondamentaux. Surtout quand elles mettent en cause les consciences. Donc, l’idéologie a brusquement reculé devant la manifestation claironnante du sentiment profond des Français. Tous les sondages concordaient depuis des années - et continuent de le faire. Ils offrent, d’une année à l’autre, une remarquable constance : deux Français sur trois, ou trois Français sur quatre veulent le maintien de l’école libre. Plaise au ciel que sur tous les problèmes nationaux règne un pareil consensus! Mais jamais, sur aucun front, la liberté n’est assurée d’une victoire définitive. Rien ne nous dit que la reculade du gouvernement est autre chose qu’une trêve tactique. Tout nous confirme au contraire que nous n’avons rien perdu pour attendre. Mon ami Seramy, qui connaît ces questions parfaitement, vous le dira tout à l’heure plus savamment que je ne pourrais le faire. Moins de six mois après le retrait du projet Savary, Jean-Pierre Chevènement déposait devant l’Assemblée un nouveau texte ; les communes recevaient un pouvoir discrétionnaire sur l’autorisation des établissements privés, et l’administration recevait un droit d’entrave sur le libre recrutement des maîtres. De plus en prévoyant que l’enseignement serait dispensé selon les règles de l’enseignement public, le texte pouvait conduire, par une application très littérale, à remettre en cause ce qui est fondamental, c’est-à-dire le "caractère propre" des écoles privées, pourtant reconnu par ailleurs. Il a fallu qu’en janvier dernier, le Conseil Constitutionnel annulât, au nom de l’unité de la nation, le droit de veto des communes sur de nouveaux contrats d’association, pour que la menace la plus grave fût écartée. Alors, il faut se poser !a question : est-ce que le pouvoir n’en finira jamais avec ses tentatives d’empiétement ? Pense-t-il, oui ou non, à réitérer une attaque en règle ? On a mis un couvercle sur la marmite, mais le bouillon continue de mijoter ; de temps en temps la vapeur s’échappe... Vous vous souvenez du meeting du Bourget, par exemple, où les militants de la laïcité, qui avaient été exaspérés par l’appui populaire qu’avait reçu l’école libre menacée, avaient conspué le Premier ministre Mauroy et le ministre de l’Éducation Nationale Savary, jugés trop mous et trop temporisateurs. On a vu la suite... Le désir d’intégration dans le "Service public laïc et unifié" est resté intact, même si les moyens sont devenus plus habiles et plus sournois. Ne nous faisons pas d’illusions ! Dès la prochaine rentrée, par le biais de restrictions à l’indépendance pour la nomination des maîtres, la situation faite aux écoles libres risque de s’aggraver. Or, le plus grave, c’est que nous n’avons plus la capacité de soulever l’indignation populaire. On peut se battre contre une loi spectaculaire. On peut faire appel au peuple pour un texte de cette dimension. Mais comment voulez-vous soulever l’opinion sur une circulaire d’application, sur l’interprétation restrictive donnée à un texte ? Il faut donc rester vigilant si l’on veut que la liberté, que nous avons reconquise l’an dernier et qui nous a été reconnue, reste une liberté effective. Chacun, dans le grand public, a compris que le slogan l’argent public à l’école publique ; l’argent privé à l’école privée signifiait tout simplement l’asphyxie de l’école privée. Les marxistes connaissent bien l’opposition entre "liberté réelle" et "liberté formelle"... Peut-on reconnaître la liberté de l’enseignement comme une liberté constitutionnelle, mais la vider de son contenu en décidant que cette liberté, seuls les riches pourraient en profiter ? Cette liberté qui serait réservée aux riches serait un leurre, sans l’intervention financière de l’État. Dans le monde industrialisé d’Occident - les témoins venus de l’étranger, que vous avez auprès de vous, vous le diront tout à l’heure avec plus de précision - la France serait bien la seule nation à imposer un monopole d’État à l’enseignement, comme elle est déjà la seule, d’ailleurs, à avoir imposé un monopole d’État au crédit et à la majorité des entreprises de la grande industrie. Chez nos 9 partenaires européens, cette querelle de la laïcité fait l’effet d’un anachronisme absurde. Interrogez des députés européens au Parlement de Strasbourg ; ils vous diront tous qu’il n’y a pas un de leurs pays, où l’État ait créé, ou même ait tenté de créer, un "Service public laïc et unifié de l’Éducation Nationale." Chez certains, comme la Belgique ou les Pays-Bas, les écoles libres financées par l’État rassemblent plus d’élèves que les écoles publiques. L’Italie ? C’est un cas un peu différent. Elle nous administre une sorte de preuve a contrario - la baisse de qualité dans l’enseignement public pousse des élèves de plus en plus nombreux vers le secteur privé, qui n’est pas encore subventionné, et la qualité devient une sorte de privilège, de luxe. Quelle réforme croyez-vous qu’on envisage ? La nationalisation totale ? Point du tout. Mais le libre accès des enfants dans l’école de leur choix. Telle est en effet la voie de l’avenir : la liberté de choix entre l’école publique et l’école privée doit être absolument garantie, pour que chacun puisse faire élever ses enfants dans des écoles où ne sera pas foulé aux pieds ce que leur famille leur a appris à respecter, à aimer, à croire. Mais il faudra aller sans doute beaucoup plus loin : nous sommes le seul pays au monde (en dehors des pays dits "socialistes", naturellement) où tout l’enseignement est centralisé et géré - théoriquement - par le Ministre, mais, en fait, par un syndicat bénéficiant d’un monopole : la Fédération de l’Éducation Nationale. Ce monopole a été quelque peu contrarié lors des dernières élections professionnelles par la percée de Force Ouvrière, mais la Fédération de l’Éducation Nationale reste largement majoritaire, omniprésente et omnipotente. Notre éducation est devenue une sorte de machinerie monstrueuse, ingouvernable, ruineuse. Chaque élève, dans un établissement public, coûte beaucoup plus cher à l’État qu’un élève dans un établissement privé. Il faut d’abord délivrer l’école publique de la bureaucratie et de la syndicalocratie qui se renforcent mutuellement. Si l’école libre, avec moins de moyens, réussit mieux c’est parce qu’elle est plus libre, tout simplement, parce que chaque établissement peut définir ses buts, ses méthodes, tout en restant en contact avec les familles et en étant responsable devant elles. Ce qu’il faut, ce n’est pas étatiser l’enseignement libre ; c’est libérer l’enseignement d’État. Il faut que souffle un esprit nouveau. "L’Instruction publique" de Jules Ferry a été remplacée par "l’Éducation Nationale" des syndicats politisés. Seules auraient pu leur faire contrepoids les organisations de parents d’élèves. Or, la Fédération de l’Éducation Nationale a pris en otage la principale association des parents, réduite au rang de filiale peu encombrante. La toute-puissance des syndicats, leur corporatisme étroit, leurs mots d’ordre - souvent marxisants - ne pourront être efficacement combattus que par la création d’une nouvelle légitimité, la dévolution aux parents de la réalité du pouvoir éducatif. Il n’est pas légitime qu’un Service Public s’exerce hors du contrôle des citoyens ; s’il est vrai que le Service Public c’est avant tout le service du public, les citoyens devraient en être les bénéficiaires, et non les sujets. Or, sous le couvert de la laïcité, l’État socialiste entend les assujettir à un monopole. Libérer l’École, en la rendant aux parents et aux enfants, est une priorité pour demain ; un des pivots de ce "projet de responsabilité" pour la société française, qui devra être adopté, aussitôt que possible, par les citoyens. L’enseignement n’est pas d’abord fait pour les enseignants mais pour les enseignés ; et en regard de ce principe, finalement, comme il est vain, le débat entre l’école publique et l’école privée... Est-ce que l’école de la République ne devrait pas donner l’exemple de la liberté ? Alors, que tous nos efforts soient tendus vers un seul but : "Des écoles libres... pour un pays libre". Alain PEYREFITTE Tweet |