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Lettre N° 69 - LES VERITES SUCCESSIVES D’UN ANCIEN MINISTRE
La publication par Claude Allègre du livre d’entretiens avec Laurent Joffrin, sous le titre Toute vérité est bonne à dire (chez Robert Laffont) constitue le testament politique de celui qui fut pendant un peu plus de trois ans chargé de l’Éducation nationale, fonction qu’il occupa de façon assez bruyante, jusqu’au moment où il fut un peu sèchement remercié par un Premier ministre qui était aussi un ami de longue date. L’éclairage apporté par l’ouvrage sur ces années de gestion ministérielle est un document essentiel qui nous permet de compléter notre information et éventuellement de réviser notre jugement.
L’image que donne de lui M. Allègre est d’une espèce de météore politique qui ne fait qu’une assez brève mais notable apparition dans le personnel politique. C’est erroné : l’auteur connaît Jospin depuis 1958 dont le rapprochent ses engagements politiques. L’un et l’autre sont membres du nouveau PS depuis 1973 et jouent un rôle important dans les instances du parti. En 1988, Allègre est élu député européen mais démissionne très vite car il trouve les fonctions incompatibles avec la charge de conseiller technique du ministre de l’Education nationale, Jospin. Il a participé au calamiteux congrès de Rennes où il joue un rôle non négligeable chez les adversaires de Fabius. Cette hostilité est d’ailleurs une constante de ses attitudes politique, ce qui lui a d’ailleurs valu d’être convoqué par Mitterrand pour s’expliquer sur les complots antifabiusiens dont il était tenu pour être un animateur ! En fait, à travers des propos marginaux, il apparaît que globalement M. Allègre peut défendre des positions raisonnables. À titre d’exemple, je citerai ce qu’il dit au sujet du désamiantage de Jussieu, opération conduite sous la pression d’un petit groupe gauchiste qui a appliqué de façon aberrante le fameux principe de précaution, en partant de données de base très contestables, alors que d’autres mesures dont la santé publique serait plus bénéficiaire auraient pu être prises, par exemple, une campagne de dépistage de tumeur maligne aurait donné des résultats plus notables. Il y a donc chez ce technicien de la politique une indépendance d’esprit appréciable. Mais lorsqu’il en vient à établir son bilan à la tête du ministère, M. Allègre ne regrette rien, quant au fond. Tout au plus se repent-il de quelques maladresses d’expression. Mais, selon lui, l’affaire serait très claire, il a été sacrifié à un syndicat, le SNES auquel il avait cru pouvoir résister. C’est Mme Vuaillat qui aurait décidé de se débarrasser de ce ministre indocile qui lui barrait la route. L’objectif du SNES est de s’opposer à toute réforme, ou plus exactement, de ne les admettre que dans la stricte mesure où il en tire bénéfice pour ses adhérents ; ce qui est obtenu grâce à l’accroissement de la population scolaire, la baisse du niveau et des avantages multiples dans l’organisation de l’année scolaire. Une réforme sans contrepartie d’avantages est tenue pour un échec ; il va sans dire que des raisons strictement pédagogiques, sans prendre en considération l’intérêt des maîtres n’ont pas lieu d’être. Fort de sa victoire sur M. Bayrou qu’on a pu remettre en place après sa réforme manquée qui consistait à exiger une révision de la loi Falloux, le SNES a cru pouvoir s’imposer d’autant plus facilement à M. Allègre, beaucoup plus proche de lui politiquement. Mais, dès les premières déclarations ministérielles, force est de constater qu’il y a entre les deux parties un conflit violent. Le premier différend éclate au sujet d’un problème en apparence très secondaire : il s’agit du mode de calcul de la rémunération des heures supplémentaires annuelles ; il ne s’agit pas de la rémunération principale des professeurs mais d’une partie des indemnités pour les heures supplémentaires qu’ils effectuent. Pour " régulariser " les choses, M. Allègre décide que l’indemnité sera calculée sur 36 semaines et non plus sur 42, l’argent économisé servant alors à créer des emplois jeunes. Etaient visés essentiellement les professeurs des classes préparatoires aux grandes écoles, grands consommateurs de ce type d’indemnités, mais dont M. Allègre pense qu’ils ne sont vraiment pas à plaindre. Décision radicalement maladroite car il n’était pas habile d’attaquer les intérêts de la partie la plus efficace du corps enseignant ; quant à faire appel à sa générosité puisqu’il s’agit, par ces économies, de créer des postes destinés aux chômeurs, c’est une singulière illusion sur le sens de la solidarité, même dans un public de gauche ! Mais surtout les effets de cette mesure ont été mal estimés. Son instauration devait faire perdre 100 à 200 francs par mois à certains professeurs ; en réalité pour certains il s’agit d’une réduction de plusieurs milliers de francs. Indépendamment du fait qu’aucune mesure de déflation n’est bien accueillie, cette économie sur le dos des professeurs les plus efficaces ne pouvait que produire le plus funeste effet, et comme le ministre s’enferre dans des calculs approximatifs il est soupçonné des plus noirs desseins. La bataille avec le SNES, syndicat qui n’a pas à son programme la gestion des vaches maigres à l’Education, avait commencé. La critique de l’absentéisme des enseignants devait mettre le feu aux poudres. Une déclaration imprudente dans laquelle le ministre estimait à 12% le taux d’absentéisme, nullement destinée au grand public et divulguée contre son gré, crée le scandale. Aujourd’hui son auteur persiste et signe, simplement il insiste sur le fait que ces absences sont effectivement justifiées. Mais le mal avait été fait avec la première déclaration. Les professeurs se sentent accusés de bénéficier d’un régime de vacances sans aucun doute avantageux, mais dont ils peuvent soutenir à bon droit que ce n’est pas eux qui l’ont exigé, mais qu’il a été forgé par les politiques pour répondre notamment en ce qui concerne les congés de février aux intérêts des stations de sports d’hiver. Quant aux congés individuels pour raisons de santé je ne crois pas qu’ils soient tellement abusifs ; ils sont à peu près les mêmes d’ailleurs que dans l’ensemble de la fonction publique. M. Allègre a effectué sur ce problème brûlant et qui porte à la démagogie un dérapage en présentant des chiffres vraisemblablement excessifs et en donnant l’impression de vouloir dresser le public contre les enseignants. Tous ces problèmes qui ont alimenté les conflits avec les syndicats concernent en définitive strictement l’intendance. Ils ne concernent aucunement l’organisation de l’enseignement et les contenus dont le ministre s’était dit tellement soucieux. Il semble qu’en définitive, il ait usé son énergie sur ces problèmes d’intendance, de sorte qu’on a négligé les questions de contenu et notamment les programmes. C’est sur ces questions qu’il se montre original dans son livre et tout à fait novateur. Certes, on retrouve bien la critique des programmes surchargés, notamment en matière scientifique, mais avec des arguments assez convaincants (l’enseignement se donne comme mission de suivre le développement de la recherche !), pas de sélection par les maths, etc. mais sur l’essentiel le ministre est très réticent en ce qui concerne la correction pédagogique et il est farouchement attaché au principe de la sélection, hostile en définitive au collège unique, sans se prononcer toutefois sur l’organisation qu’il faudrait mettre à sa place. Je citerai à ce sujet le passage essentiel : " les tenants du collège unique poussent parfois leur raisonnement trop loin. En caricaturant, il devrait y avoir un tronc commun jusqu’à seize ans fondé sur l’apprentissage des méthodes ... Ce mélange confus... a conduit par exemple à l’absurde suppression de l’examen d’entrée en sixième. Résultat, 15% des élèves qui entrent au collège ne savent pas lire... Un collège pour tous, c’est une idée noble et généreuse. Mais si on ne sait pas lire, écrire et compter, on ne doit pas passer au collège. On doit continuer à apprendre à lire, écrire, compter... Ce n’est pas en décrétant que 80% des élèves doivent avoir le niveau du bac qu’on résout le problème... ma position est claire. Il n’y a pas d’éducation sans savoirs, il n’y a pas d’acquisition de méthodes sans solides connaissances, pas plus qu’il n’y a d’éducation sans travail, sans contrôle, sans sanctions " (p. 203) On ne saurait qu’approuver. Mais alors pourquoi avoir unifié les filières, permis à tout élève quels que soient ses résultats le passage de classe en classe sans redoublement. J’avoue être très étonné de découvrir un ministre si hostile à tout ce qu’il a fait, alors que toutes les mesures adoptées pendant trois ans n’étaient quand même pas le résultat des pressions du SNES ! Maurice Boudot Tweet |