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Lettre N°6 - LES MOTS ET LES CHOSES
M. CHEVENEMENT a bien voulu rappeler que le but de l’institution scolaire est d’abord de transmettre des connaissances, qu’il est hautement souhaitable qu’à l’entrée au collège les élèves sachent lire et qu’il est même désirable que les rudiments de la lecture soient acquis au terme du cours préparatoire. Il affirme aussi qu’aucune éducation n’est possible si on n’exige pas de ceux qu’on éduque un minimum d’effort. Il soutient qu’on ne peut viser exclusivement l’égalité des résultats atteints par les élèves, qu’il faut encourager les meilleurs, ne pas sacrifier la qualité de l’enseignement et il en vient à prôner l’élitisme républicain.
Ces propos, fort bien présentés à vrai dire, car M. CHEVENEMENT se préserve constamment du jargon dont les discours pédagogiques nous ont donné trop d’exemples, méritent-ils vraiment d’être relevés ? En d’autres temps, ils auraient constitué le fond du discours des Prix qu’un Ministre peu inspiré serait allé prononcer dans quelque obscur lycée de province. Il n’y a rien de contestable parce que tout est évident au point d’être banal. ·Faut-il que la réflexion sur les fins de l’éducation soit tombée bien bas pour que ces propos attirent l’attention, suscitent des réactions assez passionnées d’approbation ou d’indignation ? Le fait est qu’ils tranchent sur tout ce qui était habituellement dit. Nous n’aurons pas la cruauté de les mettre en parallèle avec le discours que tenaient les socialistes, il y a peu de temps encore. M. CHEVENEMENT se voit contraint aujourd’hui de brûler tout ce qu’on adorait hier dans son parti. C’est trop manifeste pour qu’on ait besoin de s’appesantir. Naturellement, le Ministre rencontre à gauche de nombreux esprits bien moins déliés que le sien qui s’attachent aux vieux fantasmes et ne comprennent pas qu’il est plus que temps de changer au moins de discours. Le dernier exemple en date nous est fourni par M. Edmond MAIRE qui, persuadé de son universelle compétence, a bien voulu nous faire part de ses idées en matière d’éducation. Nous apprenons ainsi que soutenir que "tout est dans le savoir et la transmission des connaissances" est blâmable, parce qu’alors "les élèves ne semblent pas exister". Admirons le raccourci qui tient lieu de pensée à M. MAIRE : celui qui transmet un savoir à quelqu’un nie l’existence de celui auquel il transmet ce savoir. Il est vrai que M. MAIRE craint aussi qu’on "nie la pédagogie", cette sublime science dont chacun sait qu’on peut mesurer les progrès récents au fait que les résultats obtenus aujourd’hui en certains domaines comme l’apprentissage de la lecture, sont très inférieurs à ceux qu’ils étaient il y a cinquante ans ! Que le nouveau discours ministériel ait quelques effets urticants à gauche, nous ne nous en étonnerons pas. Il n’y a pas lieu non plus de s’étonner de voir quelques porteurs d’eau se montrer en l’occurrence plus socialistes que le C.E.R.E.S. Les lecteurs du FIGARO (1.2 septembre 1984, page 17) ont pu apprendre que "l’enseignement de la seule intelligence" est "socialement injuste": "ce critère unique avantage les enfants des familles cultivées, des classes aisées où l’on manie plus facilement les concepts que les outils. Dans les H.L.M on lit plus facilement les B.D. que Claudel". Que les élèves restent tous à lire leur B.D. et qu’ils ignorent Claudel, au nom de l’égalité ! Ce morceau de prose est signé de M. STOLERU - dont il est inutile de rappeler qu’il fût Ministre avant le 10 mai - qui manifestement se trouve en plein accord de pensée avec M. LEGRAND. Nous savions de longue date que les théories gauchistes en matière d’éducation avaient contaminé une large fraction de la classe politique. Le mal est plus rebelle qu’on ne pouvait le croire. Il est bien entendu absurde de tenir pour suprêmement habile une tentative de contournement de M. CHEVENEMENT par sa gauche. Le seul problème qui mériterait d’être posé, sur le plan de l’analyse politique, est de savoir pourquoi il tient un tel langage. Une fois la part faite des choix qui lui sont personnels ou qui appartiennent en propre à la tendance politique qu’il anime, la raison est simple. Le discours de l’autre gauche, de cette gauche désormais archaïque représentée par l’équipe SAVARY ne passait plus. Il ne passait plus auprès du grand public qui avait pris conscience, en partie à l’occasion de la réflexion qu’avait suscitée le mouvement en faveur de l’enseignement libre, de la faillite de toute une politique éducative régie par les idées de gauche, mais dont il faut reconnaître qu’elle ne date pas du 10 mai même si sa mise en œuvre s’est accélérée après cette date. Il ne passait plus également auprès de ce corps enseignant qui, en grande partie, réprouvait les idées pédagogiques de ces socialistes pour lesquels il constituait néanmoins une clientèle électorale intéressante. Il fallait satisfaire et l’opinion et les enseignants. M. CHEVENEMENT leur a fait aisément plaisir avec quelques paroles. Sur ce plan nous nous garderons de lui adresser le moindre reproche. Après tout, il y a quelques vérités élémentaires dont il est bon qu’elles soient rappelées de temps en temps, surtout lorsqu’elles ont longtemps été effrontément niées. Mais les paroles ne suffisent pas ; il faut que les actes suivent. Or, si nous considérons ce qui est fait, et non ce qui est dit, le bilan est beaucoup plus inquiétant. ·Commençons par l’enseignement public, auquel le Ministre entend accorder tous ses soucis pour mieux manifester sa volonté de dédramatiser le problème du privé. On nous abreuve de déclarations d’intentions, d’annonces de projets qui vont du rétablissement du B.E.P.C. à la restauration de l’enseignement de l’histoire à l’école primaire. Tout ceci est assez touchant, mais reste bien vague et souvent ambigu. Je prends comme exemple le dernier projet connu, celui relatif à l’instruction civique. Je reconnais bien volontiers que, sans prétendre transformer les collégiens en spécialistes du droit constitutionnel, il est hautement souhaitable qu’ils sachent comment est choisi un Maire, qu’ils n’ignorent pas tout des fonctions d’un Député ou qu’ils sachent que le Président de la République est élu pour 7 ans. Il n’y a pas de quoi faire toute une affaire du rétablissement de ce type d’enseignement, comme le fait la télévision officielle. Et comme certains, non sans raison, ont dit qu’il fallait éviter qu’il y ait là matière à propagande politique, on voit les Officiels du Ministère venir nous assurer qu’on n’enseignera que des principes généraux sur lesquels il y a un suffisant consensus - du type des droits de l’homme - et se défendre de façon si confuse qu’ils en sont suspects. Comme si un enseignement qui vise à la simple connaissance des mécanismes qui régissent la vie publique dans notre Société devait nécessairement se diluer dans des considérations générales relevant de la philosophie politique dont il est difficile d’éviter qu’elle soit idéologiquement impartiale. C’est ainsi que l’anodin devient suspect. Mais mon reproche essentiel reste qu’on ne fait rien et que du même coup la situation empire. Il ne faut pas oublier que M. SAVARY avait mis sur ses rails un train de mesures destinées à être appliquées progressivement. Les plus notables étaient la réforme des collèges inspirée par M. LEGRAND et la loi des enseignements supérieurs. M. CHEVENEMENT n’est revenu sur aucune de ces mesures, même pas sur la première qui pouvait être abrogée par simple voie réglementaire. La proportion des collèges LEGRAND ira donc en croissant, sans qu’on semble d’ailleurs se soucier d’établir un bilan de "l’expérience LEGRAND". Les Universités sont fermement invitées à multiplier les nouveaux premiers cycles dont la pédagogie est réglée par le refus systématique de toute sélection. Est-ce un progrès de l’élitisme républicain ? Non seulement la thèse d’État est supprimée, mais les candidats qui la préparent actuellement et ne la soutiendront pas dans un bref délai n’auront plus les droits qu’assurait dans le passé la possession du Doctorat d’État (à savoir, la possibilité de briguer un poste de Professeur d’Université). Cette mesure, qui constitue un déni de justice est-elle donc un moyen d’encourager les talents comme on prétend le faire ? Ne rien faire c’est donc laisser le mal s’étendre. Ne nous laissons pas abuser par les mesures parcellaires, bruyamment annoncées. Elles ne sont que de la poudre aux yeux comme les beaux discours. ·Quant à l’enseignement privé, les quelques "mesures pratiques" annoncées depuis le mois de juillet, en cours d’examen au Parlement, se sont transformées en un dispositif législatif bien agencé. Certes, il a fallu renoncer aux mesures les plus provocantes. Mais on a conservé des armes redoutables. Le système des crédits limitatifs, l’insertion de l’enseignement privé dans les schémas prévisionnels permettent d’interdire à tout moment l’extension du secteur privé. La procédure de nomination des maîtres donne les moyens d’empêcher la constitution d’équipes cohérentes. Malgré la volonté gouvernementale de procéder de façon silencieuse il y a eu suffisamment de débats, de prises de position, pour qu’on sache à quoi s’en tenir. Je ne reviendrai donc pas sur un certain nombre de points. Affirmer que le Gouvernement s’est donné des armes pour entraver l’extension de l’enseignement privé et gêner son fonctionnement, ce n’est pas engager un procès d’intention. D’abord, l’accumulation des armes prouve la volonté d’agresser. Ensuite, dès maintenant, le Gouvernement se sert des armes qui sont à sa disposition. Il y a d’abord le fait massif que constitue la faible dotation en postes d’enseignement qui a été accordée à l’enseignement privé. Faute de capacités suffisantes, cet enseignement a dû refuser des élèves qu’il était prêt à accueillir. Pour de nombreux parents, la liberté du choix de l’école est restée une fiction. Mais il y a aussi des difficultés qui pour être plus limitées n’en sont pas moins significatives. Je pense naturellement à l’affaire des classes préparatoires du Collège STANISLAS dont M. GORRE retrace par ailleurs l’historique. Il serait regrettable qu’on n’y voie qu’un problème particulier concernant dans un seul établissement un secteur d’enseignement particulièrement "élitiste" et qu’on en conclue qu’il n’y a pas lieu qu’on se batte pour STAN ! Rappelons que ces classes ont un siècle d’existence, qu’à une époque où le fait n’était pas coutumier le collège STANISLAS avait décidé de préparer certains de ses élèves aux concours d’écoles publiques, qu’ont été ainsi formés de nombreux hauts fonctionnaires et parmi eux de nombreux Maîtres éminents de l’Université publique. Pourquoi s’acharne-t-on à entraver le fonctionnement de ces classes ? Simplement, parce qu’elles constituent un secteur prestigieux pour le privé, parce qu’elles lui permettent d’apprécier et de faire apprécier sa valeur par une concurrence loyale qu’elles établissent avec les établissements publics lors de concours dont, pour l’essentiel, l’organisation relève de l’État. On comprend que M. CHEVENEMENT ne soit pas disposé à céder en ce cas. Parce qu’il est élitiste il ne peut supporter ce qu’il peut y avoir d’élitiste dans l’enseignement privé. ·Le recul tactique, les paroles apaisantes, ne doivent pas nous dissimuler la continuité des desseins. L’offensive a été stoppée, elle peut reprendre à n’importe quel moment si l’assaillant croit en tirer un bénéfice de quelque ordre que ce soit. On sait maintenant que la décrispation n’a qu’un temps. Maurice BOUDOT, le 5 décembre 1984.
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