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Lettre N° 56 - LE CAP SERA-T-IL CHANGÉ ?
Enseignement et Liberté n’a pas pour vocation d’intervenir dans les débats politiques et de dispenser des conseils aux électeurs. En revanche, comme les problèmes qui sont de son ressort relèvent de la politique de l’éducation, il est de son devoir d’apporter à ses adhérents des éléments d’information, des analyses raisonnées qui peuvent, s’ils le jugent bon, éclairer le choix de leurs suffrages. Ce que nous avons fait lors du dernier scrutin.
Les circonstances nous étaient doublement contraires : le délai qui nous était laissé pour réagir à l’annonce de la dissolution étant particulièrement bref pour une organisation comme la nôtre qui n’a que les moyens de réunir une infrastructure très légère. De plus, le lancement de la campagne montrait à l’évidence que les problèmes de la politique scolaire allaient n’occuper qu’une place secondaire, pour ne pas dire qu’ils seraient strictement passés sous silence. Par ailleurs, on n’était pas en présence de deux politiques éducatives bien distinctes, aux contours très tranchés. Les socialistes n’éprouvaient pas le besoin d’émousser les aspérités de leurs projets, puisque pour l’essentiel ceux-ci avaient été mis en œuvre, en partie d’ailleurs par leurs adversaires qui, à force de vouloir s’adapter aux circonstances, avaient pratiquement renoncé à tout projet distinct bien caractérisé. Enfin, il nous était difficile d’adresser nos félicitations à M. Bayrou qui depuis quatre ans, malgré la présence d’une majorité massive disposée à soutenir une politique ferme, a conduit une action confuse, sans lignes directrices, faite pour l’essentiel de concessions à son adversaire qui n’en demandait pas tant ! Que faire dans une situation aussi contraire ? La méthode Nous avons décidé d’innover et de confier à nos adhérents la mission de diffuser nos documents auprès des candidats de leurs circonscriptions et d’en assurer éventuellement le retour. Chacun recevait donc une lettre ouverte à M. Bayrou qui donnait notre appréciation sur la politique suivie depuis quatre ans et les motifs de notre déception et un questionnaire à transmettre aux candidats de son choix, afin qu’on soit informé des orientations qu’ils souhaitent voir donner à la politique scolaire. Bien entendu, ni nos adhérents dans leurs questions, ni les candidats dans leurs réponses n’étaient limités à ce que nous avions explicitement formulé. D’ailleurs, nous avons reçu d’un certain nombre de candidats (le plus souvent élus depuis) des réponses détaillées, qui n’étaient pas toujours pour cela aussi précises qu’on aurait pu le souhaiter, ou que d’autres l’étaient. Les questions peuvent paraître limitées, voire imprécises. A mon sens, elles sont significatives. Si les deux dernières concernent la vie des universités, comme il était assez normal après qu’on en eut tant parlé dans ces derniers mois, en raison des initiatives prises par M. Bayrou, les deux précédentes concernent la scolarité jusqu’au niveau du baccalauréat : elles reviennent à demander si on peut apporter quelques aménagements au principe du collège unique malencontreusement imposé depuis plus de vingt ans par M. Haby. Pour faire simple - encore qu’il ne s’agisse pas d’un jeu ! - les positions constamment défendues par notre association entraînaient une réponse affirmative aux quatre questions. Si nous avons préféré des questions limitées mais précises à toute autre enquête, c’est qu’il nous a semblé souhaitable d’éviter les discours creux, la simple reproduction des programmes des partis ou les déclarations équivoques. Dans le commentaire libre qu’un certain nombre d’élus ont cru utile d’adjoindre à leurs réponses à nos questions, trop de candidats, dont des élus de marque, en donnent des exemples significatifs. Le talent propre à la plupart des hommes politiques est de tenir des discours, dont la signification est suffisamment indéterminée pour satisfaire tout le monde parce qu’ils ne veulent rien dire de précis. Notre méthode leur interdisait, autant que faire se peut, une telle échappatoire. On pourrait s’étonner qu’il n’y ait aucune question relative au statut de l’enseignement privé, mais comme un consensus semble régner en la matière pour se satisfaire de la situation existante qui, visiblement, contente la plupart des dirigeants de l’enseignement catholique, il nous a semblé inutile de jouer les trublions par des questions qui laisseraient penser que cette situation pourrait être autre. En d’autres termes, comme doivent le penser avec raison l’énorme majorité des hommes politiques, on ne force pas à boire un âne qui n’a pas soif. Cette méthode était la seule qui pouvait s’appliquer, ne serait-ce qu’en raison de la brièveté du temps qui nous était laissé et parce que recenser de façon centralisée les candidats, connaître leurs coordonnées, exigeait un trop long délai. Elle exigeait bien entendu la collaboration active de nos adhérents. Les résultats obtenus montrent que cette collaboration nous a été largement acquise et nous devons exprimer toute notre reconnaissance à tous ceux qui ont agi pour le succès de notre initiative. Les réponses émanant des candidats directement reçues ou transmises sont assez nombreuses pour qu’on puisse dire que notre association a contribué à empêcher que la question scolaire soit passée sous silence au cours de la campagne électorale ou traitée seulement à travers des discours convenus. Les résultats La méthode s’est révélée efficace. Nous n’avons naturellement pas reçu un nombre de réponses suffisant pour qu’elles se prêtent à un traitement quantitatif, mais assez important pour que ces réponses soient significatives. Passons sur les quelques lettres qui reviennent à nous accuser de faire le jeu de la gauche parce que nous critiquons la politique de M. Bayrou. Sans nul doute, nous mettons en cause cette politique, avec les risques que comporte toute critique ; mais si au bout de quatre ans, alors qu’aucun obstacle imprévu ne s’est mis en travers de la route, les résultats sont ceux que nous connaissons, je ne vois pas de raison décisive pour accorder sur le strict plan de la politique scolaire un avantage à M. Bayrou sur ses adversaires. Ces lettres qui attendent simplement une approbation inconditionnelle dès lors que la politique est appliquée par un certain camp se trompent de destinataires. Plus mesurée l’opinion de ceux qui disent, à l’image de ce député UDF sortant, que j’ai été "dur" avec M. Bayrou, mais qu’après tout il l’avait mérité. Je crois qu’en effet une association comme la nôtre a pour fonction de pouvoir s’exprimer sans avoir à tenir compte de la prudence propre aux appareils des partis politiques. Une fois exclues les réponses de ce type, il reste que nous avons obtenu un accord très large dans les questionnaires remplis avec seulement des réponses positives. Un nombre appréciable de candidats portant le sigle de la droite indépendante (de M. de Villiers) ont tenu à exprimer leur accord, sans aucune opinion contraire. Mais je dois aussi noter qu’au moins un député sortant socialiste, très facilement réélu, issu du Nord de la France, manifeste qu’il est d’accord avec nous. Je ne m’étonne pas de ces convergences puisqu’il s’agit de choix précis, dont on a tout fait pour qu’ils soient dégagés de toute contrainte idéologique. Les autres réponses contiennent une approbation générale quand elles consistent en une réponse à notre questionnaire. Il n’y a pas lieu à ce sujet de faire une distinction entre les candidats qui se présentent avec l’étiquette UDF et ceux qui portent les couleurs du RPR. Les candidats qui avaient des opinions divergentes ou bien n’ont pas répondu - et c’est pourquoi l’exploitation statistique des réponses est dépourvue de sens, puisqu’on ne sait si une absence de réponse est ou non significative - ou bien ont échappé au questionnaire en répondant par une lettre plus ou moins détaillée. J’en citerai un exemple. Une personne importante du RPR, dont je crois devoir taire le nom puisque l’élection (qui s’est bien terminée pour lui) est passée, dans une lettre très courtoise nous écrit qu’il est "favorable à une véritable orientation en 3e et au développement de l’enseignement technique" mais c’est pour ajouter qu’il est "par contre indispensable de conserver un tronc commun jusqu’en 3e pour assurer à tous une culture générale de qualité et les acquis fondamentaux". Autant dire que sa réponse à la première question n’est pas positive, mais incline très largement dans le sens négatif. Lorsque dans la suite de sa réponse, au sujet du problème de la restauration d’un quorum pour les représentants des étudiants, il invoque divers procédés pour augmenter les taux de participation (comme la multiplication des bureaux de vote) je crois qu’on le berce d’illusions, car depuis près de vingt ans on multiplie de telles mesures sans succès ! Quant à la défense de ce projet de statut de l’étudiant, ou d’allocation d’études, qui devrait leur donner une autonomie financière, en exigeant des conditions liées aux résultats scolaires, je crois que personne n’a songé à exclure l’année "joker" qui laisse le droit à l’erreur, sous la forme de l’autorisation d’une année de redoublement, mesure qui à mon sens est spécialement bien venue. Si on considère l’ensemble de cette réponse, on oscille entre les réticences, les refus prudemment exprimés et des réserves bien compréhensibles, mais on voit combien il est difficile d’interpréter un texte de ce type. C’est pourquoi nous avons cru utile de mettre en avant un questionnaire, aussi rude que soit la méthode. Et là personne n’a formulé de réponses carrément négatives. Ce qui tendrait à prouver que les objectifs que nous poursuivons n’ont rien d’extravagant et qu’on peut imaginer qu’il soient l’objet d’un consensus. Notre avenir Alors que le président de la République avait annoncé un référendum sur l’école avant son élection et que le soir de la dissolution il répétait encore que l’école était l’une de ses priorités majeures, alors que nous venons d’assister au pitoyable spectacle d’une majorité battue à une élection que son chef a provoquée, la campagne électorale n’a pas été vraiment troublée par les débats autour des problèmes de l’école ! Pour parler net, ces problèmes n’ont pas été abordés par les candidats, sauf lorsque ceux-ci étaient contraints et forcés de le faire. S’il en était ainsi, c’est que, exclue la présentation idéologique, les positions sont actuellement presque identiques. Non que par sagesse on ait dégagé un consensus sur un compromis, mais parce qu’un camp a mis en pratique la politique de l’autre. Le paradoxe veut que M. François Bayrou, bien armé idéologiquement pour s’opposer à la politique niveleuse des marxistes, ait en fait réalisé des pans importants de leur dessein. Le souci qu’il n’y eût pas de rupture, la volonté obsessionnelle de ne pas s’opposer à d’importants groupes de pression, notamment aux syndicats d’étudiants, expliquent son attitude, et chacun pense également au désir de ne pas laisser une image de lui qui pourrait nuire à une carrière politique conçue comme particulièrement brillante. Le résultat est là : au bout de quatre années passées rue de Grenelle, on ne voit guère ce que les socialistes reprocheraient à M. Bayrou qui a dégagé la voie pour leur politique. On comprend alors que le débat n’ait pas eu lieu et vraisemblablement le passage de M. Bayrou au couple constitué de M. Allègre, ce conseiller si écouté de M. Jospin, mais qui n’était spécialiste que de recherche et d’enseignement supérieur, et de Mme Royal se fera sans heurt. A peine le remarquera-t-on. Les seuls qui sentiront la différence, ce seront les hauts fonctionnaires du ministère qui, selon la tradition, verront leur plans de carrière bouleversés. Du moins est-ce là l’avenir le plus vraisemblable. Cet avis est partagé par Bernard Kuntz, nouveau président du SNALC, qui écrivait juste avant l’élection : "Seraient-ils de gauche que les nouveaux élus ne changeraient sans doute pas pour autant de politique éducative. Jack Lang ne manque pas une occasion de rappeler que François Bayrou, au fond, poursuit sur sa lancée. La réforme des lycées concoctée par Lionel Jospin ne fut-elle pas adoptée ? La réforme de l’université ne fut-elle pas avant tout inspirée par des organisations de gauche ? Puisque les programmes, quoi qu’ils en disent, sont les mêmes et mêmes les contraintes budgétaires, il nous semble, à nous, profondément illusoire d’espérer qu’une réforme, une vraie, vienne enfin rendre l’école à la nation." (La Quinzaine universitaire du 12 mai 1997). Maurice Boudot
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