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Lettre N° 54 - RAPPORT MORAL
Conformément à ce qui est devenu depuis 1990 une véritable tradition, nous allons tenir au palais du Luxembourg une assemblée générale de notre association. Elle nous donnera l’occasion de procéder à la remise aux lauréats des prix d’Enseignement et Liberté), décernés par un jury présidé par M. Cazeneuve. Je tiens à exprimer à la Présidence du Sénat toute notre reconnaissance pour la sollicitude qu’elle nous marque et le grand honneur qu’elle nous fait en mettant à notre disposition les locaux où nous allons passer toute la journée. Car juste après l’assemblée générale s’ouvrira la journée d’études sur le financement de l’éducation, organisée en collaboration avec l’O.I.D.E.L. (Organisation Internationale pour le Développement de la Liberté d’Enseignement), notre association et le centre Luigi Einaudi. Cette journée, nous en avions formulé le projet il y a deux ans, dans notre rapport moral, et vous aviez bien voulu adopter une résolution en faveur de son organisation. Elle devrait nous permettre de confronter la situation française avec celle de pays voisins qui connaissent sans doute des difficultés assez analogues à celles que nous rencontrons, mais qui ont peut-être manifesté plus d’inventivité et plus d’audace que nous, pour explorer des pistes nouvelles afin de résoudre le problème du financement de l’enseignement privé. J’espère que nous tirerons profit des leçons de ces expériences. Au moins sortirons-nous un peu de la grisaille qui caractérise le paysage éducatif français. Il y a deux ans, j’étais obligé de constater qu’en ce qui concerne la liberté de l’enseignement ou le fonctionnement du service public, la situation avait très peu évolué dans les deux dernières années, et que les changements n’étaient certainement pas dans le sens favorable. Si je dois faire aujourd’hui le même constat, ce n’est pas marque de pessimisme, mais simplement l’évidence des faits qui m’impose cette conclusion. La différence, c’est que lors de notre dernière assemblée générale, nous étions encore à six mois de l’élection présidentielle, maintenant elle est assez loin derrière nous. M. Bayrou est ministre de l’Education nationale depuis plus de trois ans et demi, ce qui constitue presque un record dans un poste qui n’est pas réputé pour assurer la longévité de ses titulaires. Si, sous la cohabitation, on pouvait supposer que M. Bayrou était contraint à la prudence, d’autant plus que l’initiative courageuse qu’il avait prise en proposant l’abrogation de la loi Falloux lui avait valu le camouflet du veto du Conseil constitutionnel et l’avait obligé à se faire oublier, en revanche sous le nouveau septennat, qui prétendait innover en matière d’éducation, on pouvait espérer que sa politique serait très différente. Il n’en a rien été : le ministre de M. Juppé est absolument identique à celui de M. Balladur, aussi prudent que lui, aussi soucieux d’éviter les vagues. Juste avant l’élection présidentielle, M. Bayrou avait obtenu une rentrée 94 calme. En même temps, il maintenait une position de principe ferme sur certains problèmes - comme l’existence d’un baccalauréat, examen national anonyme - malgré la pression à laquelle le soumettaient les médias, mais en refusant de prendre ses responsabilités et de recourir à des mesures radicales quand elles s’imposaient. Ainsi, il ne déposera aucune loi nouvelle relative aux affaires de "foulard islamique" alors qu’elles étaient manifestement nécessaires dès l’époque, tout en rappelant sa désapprobation. Le nouveau Contrat pour l’école publié à l’époque est un véritable dictionnaire des idées reçues, un bréviaire des déclarations d’intention vide de toute signification. Bien entendu, ce type d’opération qui n’intéresse que les journalistes et la direction de la communication au ministère sera réitéré avec les états généraux de l’enseignement supérieur, qui datent du printemps dernier, et qui à l’automne ont tellement perdu de leur fraîcheur qu’ils ont presque disparu dans l’oubli. D’ailleurs, on n’a jamais été autant abreuvé de rapports, de commissions, qui méditent, travaillent et rédigent pour n’aboutir nulle part que depuis le règne de M. Bayrou. Le rapport Fauroux est un modèle en la matière. Depuis, nous sommes envahis par une marée de déclarations d’intention et de réformettes qui n’ont d’autre effet que de semer le désordre. En revanche, notre ministre a mis en œuvre tous ses talents manœuvriers, qui sont remarquables, pour enterrer en douceur le projet de référendum sur l’école qui figurait au programme du candidat-président Chirac. Ici, on n’a jamais manifesté un enthousiasme particulier pour ce projet. On avait signalé que le texte à soumettre au verdict populaire était difficile à mettre au point. Il était toutefois possible de concevoir qu’une espèce de loi programme, d’abord examinée par le Parlement, soit dans un deuxième temps soumise au référendum. Un premier avantage tient à ce qu’ainsi on contournait tous les obstacles tant institutionnels que corporatistes. Ensuite on donnait de la solennité à ce texte, car M. Bayrou sait très bien que les Français sont blasés et sceptiques devant tous les textes législatifs qui émanent du Parlement. Dans son dernier livre de réflexion il insiste précisément sur leur profonde défiance à l’égard de ce qui vient du monde politique. Peut-être un texte qu’ils auraient voté eux-mêmes aurait-il un peu mieux accroché leur intérêt ; du moins peut-on l’espérer. Ces raisons ne semblent pas avoir été prises en considération par un ministre qui appartient à une famille politique qui déteste les questions nettes auxquelles on répond par "oui" ou "non". D’ailleurs, il n’avait jamais dissimulé son hostilité au référendum. L’erreur fut de le nommer au poste qui est encore le sien aujourd’hui. Il a suffi que l’agitation se développe à l’automne 95 - il est bizarre de constater que ces désordres suivent toujours les élections et ne les précèdent jamais ! - pour qu’on ait un prétexte d’ajourner un référendum qui aurait pu conduire à des décisions tranchées. Et M. Bayrou manifesta un réel talent de négociateur pour calmer ta situation, avec quelques crédits, sans que rien d’essentiel soit modifié. Ainsi, le référendum qui dès l’automne semblait en difficulté fut progressivement oublié sous la pression d’une actualité sans cohérence. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques intellectuels regroupés en divers groupes de pression (sans allégeance au président de la République) pour évoquer le référendum, quand ils n’ont rien d’autre à proposer. Il est pourtant manifeste que l’état de l’opinion est tel qu’une réponse négative est probable quel que soit l’objet d’une consultation. Il n’y a pas lieu de s’étonner si la situation ne s’est aucunement améliorée. Les mêmes problèmes resurgissent sans cesse : inadaptation de l’enseignement dans des collèges où on engouffre des élèves sans formation, résultats déplorables du cycle primaire, absence d’une formation professionnelle efficace, blocage sur des problèmes lancinants relatifs à l’enseignement privé auquel on refuse d’accorder une véritable égalité. Et ceux qui vont se plaindre au ministère s’entendent dire que le ministre doit "avancer à petit pas", "par prudence". Bref rien d’encourageant. Bien au contraire, force est de constater que M. Bayrou s’appuie de plus en plus sur les organisations de gauche. Par exemple, c’est le syndicat étudiant U.N.E.F.-I.D. qui soutient ses projets relatifs aux I.U.T. Quant à la violence en milieu scolaire, elle n’a aucunement quitté le devant de la scène. Au début de l’année, le ministre a pris prétexte d’un grave accident dans la périphérie des établissements scolaires pour intervenir, de sorte que le dernier mot ne soit pas laissé à un homme politique d’opposition : avec une mise en scène appuyée, il a invité tous les élèves à réfléchir le même jour au problème. Personne n’est en mesure d’apprécier l’effet de ces débats. Mais il est douteux que le phénomène ait disparu. Comme le constatait sur une chaîne de télévision, avec fatalisme, le proviseur adjoint d’un lycée de Montereau, rien ne changera puisque la législation oblige l’éducation nationale à scolariser les élèves jusqu’à seize ans, aussi violent que soit leur comportement. Le plus extraordinaire est que sa résignation était si profonde qu’elle en oubliait de demander un changement législatif. Décidément, les Français n’écoutent plus leurs hommes politiques parce qu’ils n’attendent plus rien d’eux. C’est parce que nous pensons qu’il y a néanmoins des chemins pour nous faire sortir de cette crise, qui est autant morale et politique qu’économique, que nous allons dans le colloque qui va suivre maintenant nous tourner vers les initiatives qu’ont pu expérimenter les pays voisins. Tweet |