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Lettre N° 51 - LES ENFANTS DE LA HAINE
Le 2 février, un grand quotidien national, réputé pour sa pondération et son absence d’hostilité au gouvernement, annonçait triomphalement sous le titre "Rentrée optimiste à Louise Michel" que "les enseignants de ce collège ont décidé de ne plus laisser les élèves faire la loi" (Le Figaro, p. 10).
La violence au quotidien Cet article avait été précédé d’une série d’échos sur le même établissement, parmi lesquels celui paru le 26 janvier (p. 10) annonçant que le climat qui s’était développé à la suite d’incidents répétés envers une partie des élèves et le personnel "amène ce dernier à se tourner vers l’inspecteur d’académie, le recteur [...] afin de trouver une solution nette, rapide, efficace". A l’origine de ces incidents, il y avait une quinzaine d’élèves désignés comme "des brebis galeuses" par les professeurs, et l’un de ces professeurs, qui estime nécessaire de rester anonyme par crainte de représailles, précise : "Certains sont majeurs et mesurent 1 m 90 ; ils n’ont plus rien à faire ici. D’ailleurs ils ne veulent plus rien faire." On nous apprend que professeurs et surveillants sont impuissants face à ces agressions verbales gratuites - mais ne sont-elles que verbales ? - et un professeur explique : "Les élèves se soutiennent tous entre eux [...] Ce ne sont pas des classes, ce sont des bandes. Ils cassent tout. L’école est leur seul moyen de s’en sortir [...] Mais ils refusent tout en bloc." Après ce texte alarmiste, le même quotidien semble avoir une estimation plus optimiste de la situation le 31 janvier : "Il ne s’agit pas pour autant de baisser les bras. La violence à l’école, injure faite à la jeunesse, n’est pas une fatalité. Des expériences récentes ont montré que des classes réduites et des enseignants motivés suffisent parfois à ramener la paix. Parmi les 554 zones d’éducation prioritaire (ZEP), nombre d’entre elles ont permis grâce à leurs crédits supplémentaires de sortir de l’ornière des établissements répertoriés à risque" (p. 2). Ce qu’on néglige de dire, c’est que ce "classement en ZEP" n’est que "parfois" efficace, qu’après tout il n’est pas très légitime d’accorder des moyens supplémentaires du seul fait que les élèves se conduisent comme des voyous et, enfin, qu’il est affligeant qu’on soit conduit à utiliser la notion d’établissements à risques. Pour en revenir au cas particulier de ce collège de la banlieue de Rouen, si judicieusement patronné par une pétroleuse de la commune, comment le présenter comme serein une semaine après ? Certes, on a exclu quelques élèves mais surtout "mardi, les quarante-sept professeurs ont bénéficié [sic] d’une formation auprès d’un psychologue afin d’éviter les impairs. Dans chaque classe, un professeur a été désigné pour faire le point sur l’interruption des cours [...] un discours polycopié attend chacun d’eux dans sa boîte aux lettres. La consigne a été donnée d’accepter le débat si les élèves en font la demande" (Le Figaro, 2 février 1996, p. 9). Autrement dit, la rentrée est optimiste parce que les professeurs sont contraints sinon de s’excuser, du moins de s’expliquer et de répercuter le discours politiquement correct. Beaux motifs d’optimisme ! On dira que la situation s’est effectivement calmée dans ce collège et que, de façon générale, on parle moins de violence scolaire. En réalité l’attention s’est éparpillée d’un collège à l’autre et surtout il y a eu ces deux semaines de vacances d’hiver nécessairement calmes. Mais on peut égrener les lieux d’implantation de collèges "chauds" : Saint-Etienne-de-Rouvray, Goussainville (le collège Robespierre), Sevran (un collège refait à neuf est saccagé), Aubagne (le proviseur-adjoint est blessé), Amédée Laplace de Créteil, Le Mans, Les Mureaux... Des vacances de Noël à celles dites d’hiver les informations se sont accumulées. Un quotidien sans tendresse pour la majorité actuelle (Présent) pouvait pendant plus d’un mois faire quasi tous les jours un titre à la une en relatant ces graves incidents ! Leur rythme et leur intensité s’accroissent manifestement. Mais ils ne datent pas de ces derniers mois. Avec une naïveté peut-être feinte, Le Figaro sous-titrait l’un de ses articles (le 31 janvier, p. 8) : "Depuis de nombreuses années, l’Éducation nationale se penche sur le phénomène, sans pouvoir le contenir." Le moins qu’on puisse dire, c’est que le ministère ne semble pas équipé pour les actions d’urgence ! On ne peut qu’approuver ce jugement dans le corps de l’article : le ministère "planche sur un fonds d’assurance contre les agressions, chargé de l’indemnisation des dégâts dus à des actes de violence. [Par exemple, les voitures des professeurs volontairement endommagées sur les parkings des collèges]. Des cautères sur une jambe de bois ?" La ponctuation interrogative me semble simplement un peu inutile. L’existence de tels projets montre simplement qu’on a renoncé à endiguer la violence scolaire. On veut seulement panser les plaies. "La Haine" et ses effets. Pourquoi cette violence, incontrôlable peut-être, incontrôlée certainement ? Les causes les plus générales, tout le monde les connaît et en parle, même si la pression de la pensée unique oblige à glisser prudemment sur certaines d’entre elles. Ce sont surtout les établissements qui scolarisent les jeunes des "cités" qui connaissent le plus de problèmes. On ne s’en étonnera guère. Un principal des Mureaux notait que le collège qu’il dirige "scolarise des enfants issus des cités voisines" et que "l’effet de ghetto est garanti. De plus, ils sont à 96 % d’origine immigrée [...] L’intégration est un mot difficile à comprendre dans ce contexte-là. Ce sont plutôt les familles qui doivent s’intégrer à nos valeurs républicaines" (Valeurs actuelles, n° 3089, p. 36). Des familles déculturées parce que déracinées, quelquefois instables, souvent en proie aux difficultés économiques, ce n’est pas un milieu qui prédispose à tirer profit de cet enseignement modèle instauré au début de la IIIe République et depuis défiguré par les réformes incoordonnées des trente dernières années. Mais il faut aller bien au-delà de cette cause spécifique pour expliquer le phénomène. C’est de façon générale l’instabilité de l’institution familiale qui suscite les déséquilibres psychologiques, eux-mêmes générateurs de comportements scolaires "à problèmes". Nul enseignant ne devrait oublier qu’il y a parmi ses élèves à peu près un tiers d’enfants de divorcés. Bref trop nombreux sont les cas où l’école ne peut s’appuyer sur une famille qui constituerait un partenaire solide. Ajoutons à cela le chômage dont l’un des effets les plus pernicieux est qu’il décourage une jeunesse qui n’est pas assurée que la réussite scolaire conduit à une bonne insertion professionnelle. Il y a là très largement de quoi expliquer le phénomène dans ses grandes lignes. Mais je voudrais m’arrêter à certains de ces aspects plus particuliers : incontestablement les incidents sont de plus en plus fréquents, de plus en plus violents (on en est aux incendies, aux saccages systématiques, à l’usage d’armes) ; de plus en plus ils affectent essentiellement les collèges, où est scolarisée la tranche d’âge de onze à quinze, seize ans, mais dont certains élèves ont plus de dix-huit ans ! Comment expliquer ces phénomènes qui vont de pair avec la très inquiétante progression de la délinquance des grands enfants ou des pré-adolescents ? Sans aucun doute, il y a une aggravation du phénomène due à des années de laxisme, au mauvais exemple donné par "les grands frères". Les plus jeunes les imitent d’autant plus volontiers qu’ils constatent d’expérience qu’ils ne risquent rien. L’autorité scolaire est bien incapable de réagir. Pendant des années on a tout fait pour dissimuler la situation : un rapport commandé par M. Jack Lang vient seulement de paraître. Il faut attendre cette année pour qu’on ait une estimation chiffrée du phénomène : 2 500 établissements publics sur 7 000 seraient atteints (d’après Le Figaro du 19 mars 1996), selon une enquête du principal syndicat des chefs d’établissements. Aucun risque, mais en revanche une façon de se rendre célèbre à bon compte : il suffit de voir combien sont ravis ces pré-adolescents interviewés sur les incidents du collège qu’ils fréquentent, combien ils sont peu intimidés et disposés à mettre en accusation les professeurs pour comprendre ce qu’ils ont très bien compris spontanément : que l’univers médiatique les accueille non seulement avec indulgence mais avec une sorte d’admiration mal dissimulée. Cette espèce de complicité commence seulement à se gâter lorsqu’ils prennent à partie une équipe de télévision venue tourner un reportage (comme ce fut le cas à Goussainville) ! L’amusement teinté d’admiration avec lequel on a présenté sur les chaînes de télévision l’ouvrage consacré aux "parlers des cités" (les Céfrancs parlent aux Français) était presque une incitation à rester dans une position marginale pour ceux qui avaient des difficultés à s’intégrer. Mais ceci n’est rien à côté du rôle d’un film comme La Haine dont deux ministres successifs de la culture (MM. Toubon et Douste-Blazy) ont en quelque sorte assuré la promotion médiatique. M. de Plunkett avait bien mesuré la situation lorsqu’il écrivait : "L’apothéose de ce film aura joué (selon les commissaires de police et la direction des renseignements généraux) un rôle dans la montée des violences urbaines en 1995 ; violences dont l’explosion "scolaire" n’est à l’évidence que le prolongement" (Le Figaro Magazine, 20 février, p. 13). C’est dans un tel film, beaucoup plus que dans la diffusion de quelques films noirs, qu’il faut chercher l’une des incitations à la violence. Peut-on s’en sortir ? Depuis des années, périodiquement, on annonce que le gouvernement se préoccupe de la situation et prend des dispositions adéquates. Et comme le mal va en s’aggravant, on propose peu après un nouveau plan. Je ne pense pas qu’on ait vraiment rompu avec cette mauvaise habitude, malgré la solennité avec laquelle on nous a annoncé que le gouvernement allait prendre des mesures radicales : il semble que le président de la République en doute un peu lui-même ! En dehors de l’inévitable arsenal de mesures déjà expérimentées (et d’efficacité très limitée) comme la multiplication des surveillants ou des appelés du contingent employés dans les collèges en difficulté - 2 200 en plus des 2 500 déjà affectés à de telles fonctions - ou la limitation de la taille des établissements, que trouve-t-on ? Car enfin on sait parfaitement qu’il ne sert à rien de multiplier les surveillants s’ils ne peuvent exercer leur autorité. Quelques autres mesures déjà expérimentées : par exemple, le numéro vert pour les professeurs en difficulté, ironiquement nommé "profs battus" par ceux auxquels il est destiné ; ou l’adjonction de "modules de formation aux conditions d’enseignement en quartier sensible dès l’an prochain dans les I.U.F.M.", dont la présidente de la Société des agrégés dit judicieusement : "A quoi servira-t-il de disserter sur l’indiscipline dans les I.U.F.M. qui [...] pratiquent à l’égard des décisions ministérielles une insubordination dont ils se vantent devant leurs stagiaires ?" J’ajoute que même si les I.U.F.M. étaient plus satisfaisants, ceci ne changerait rien à l’affaire. L’étude du règlement intérieur en début d’année n’est pas une mauvaise chose, "pour contribuer au développement de l’esprit civique", mais je ne suis pas sûr qu’elle soit d’une quelconque efficacité, car ce n’est pas de l’ignorance que viennent les incidents, mais de la volonté de bafouer. Quant à "la création de formules plus souples alternatives aux conseils de classe avec engagement personnel sous forme de contrat quant à la conduite future [de l’élève]", je crois qu’elle manifeste une grande naïveté. Je crois aussi qu’elle anticipe l’appel à ces fameux "médiateurs" entre élèves et professeurs dont on demande la présence ici ou là, alors que les incidents scolaires n’ont rien de commun avec un conflit du travail. Rien donc de très neuf, si ce n’est un principe nettement affirmé par M. Bayrou : il faut "resanctuariser" l’école, éviter que, sous prétexte de l’ouvrir sur la vie, la loi de la rue ou des cités y règne ; il faut qu’elle soit un lieu de paix, à l’écart des troubles de la cité (au singulier cette fois). L’établissement éventuel de clôture, l’instauration d’une contravention pour sanctionner les intrusions des personnes étrangères à l’établissement scolaire sont peut-être plus des mesures symboliques qu’efficaces. Mais enfin nous n’allons pas critiquer un ministre qui affirme clairement des principes qui furent toujours les nôtres. Il reste un dernier point : pour la première fois, on parle de "créer des structures expérimentales pour accueillir et scolariser des adolescents en grande difficulté ou en voie de marginalisation". Des classes sas, nous dit-on, sans qu’on sache ce que ce terme recouvre. Est-ce le premier indice qu’on reconnaît enfin que le collège unique ne convient pas à tout le monde, qu’il est inadapté pour certains élèves qu’il contribue à marginaliser ? Car, enfin, ce n’est pas un hasard si la violence scolaire affecte surtout les collèges, période de la scolarisation obligatoire et uniforme, et beaucoup moins les lycées dont la scolarisation est beaucoup plus diversifiée. Va-t-on enfin abandonner cette ânerie de collège unique qui n’est sans doute pas la cause principale du mal, mais qui a contribué à l’aggraver ? Si on est très optimiste, on peut dire qu’il y a de légers indices d’une évolution dans ce sens. En revanche, quant à la nécessaire contrainte qu’imposent toute action éducative et tout maintien de l’ordre, contrainte qui peut viser les familles tout autant que les élèves, je crains qu’on préfère continuer à s’aveugler. En arrivant aux affaires, l’actuelle majorité avait cédé à la démagogie en rejetant sans examen une proposition d’un député P.R. (M. Pierre Cardo) qui proposait de priver de leurs allocations familiales les parents qui laissent leurs enfants troubler la vie de la cité. Mal lui en prit, cette disposition pouvait être efficace. Aujourd’hui le Garde des sceaux désapprouve un haut magistrat qui affirme qu’il faut emprisonner les mineurs récidivistes. Ce sont là des signaux alarmants. En principe on admet que la sanction puisse être nécessaire. Mais toutes les fois où on aurait à l’appliquer, on la repousse. Dans ces conditions, je crains que le plan Bayrou ne soit qu’un catalogue de bonnes intentions. Maurice Boudot
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