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Lettre N° 49 - SIGNAUX INQUIÉTANTS
Comment seront transformés en décisions les engagements prudents, mais très argumentés, qu’avait pris M. Chirac dans sa réponse à la lettre que nous lui avions adressée, alors qu’il était candidat ? Ces engagements concernaient l’équilibre de l’enseignement public et de l’enseignement privé ainsi que le chèque scolaire ; la réponse à cette question déterminera pour l’essentiel l’avenir des institutions d’éducation.
Au-delà des questions relatives à l’enseignement, on doit malheureusement constater que la "pensée unique", qui avait été dénoncée, a vraisemblablement de beaux jours devant elle. La démission à laquelle a été contraint M. Madelin - tenu pour trop libéral ou trop réformateur - est un signe inquiétant en lui-même. Ceci ne nous concerne pas, ou du moins pas directement. Mais on peut également percevoir des signaux de mauvais augure en ce qui concerne les questions propres à l’enseignement. J’en relèverai trois : le texte institutionnel sur le champ du référendum - et nous dirons tout de suite en quoi ce texte nous concerne directement -, l’installation de la commission Fauroux et enfin l’allocution du président de la République, le 5 septembre. UN REFERENDUM ÉTRIQUÉ Hors du cercle des professionnels de la politique ou des faiseurs d’opinions des médias, je pense que le projet d’élargir le champ des questions qui peuvent être soumises au référendum n’a guère rencontré d’opposition dans le corps électoral. Peut-être n’a-t-il pas été tenu pour la panacée, mais sans aucun doute on n’y a vu nul danger pour le régime républicain. Or, ce qui est frappant, c’est de voir combien ce projet a été rogné par ceux-là même qui prétendaient en assurer la défense. Au cours de la campagne présidentielle, l’école constituait le premier exemple d’un problème objet du référendum. Les choses en sont arrivées au point qu’on finit par se demander si constitutionnellement, les Français pourront être consultés sur toutes les dimensions de la question. M. Toubon était chargé de présenter et de défendre le projet gouvernemental de révision de la Constitution. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a surtout consacré toute son énergie à éviter tout dérapage qui aurait pu conduire à l’instauration d’un référendum d’initiative populaire, procédure à laquelle il oppose l’étrange argument selon lequel : "on ne peut introduire le référendum d’initiative populaire dans une période de crise comme celle que nous connaissons" (J.O. p. 893). Cette phobie de l’appel au peuple conduit fort loin M. Toubon : devraient être exclues du champ de référendum les questions concernant le droit pénal. Soyons rassurés, il n’y aura pas de référendum sur la peine de mort ! Ou les lois de finance : pas de proposition comme celle adoptée par les électeurs californiens qui interdit l’augmentation des taux d’imposition. De fil en aiguille, M. Toubon redoute tellement le mauvais usage qu’on peut faire du référendum - usage qui exige pourtant l’accord du président de la République - qu’il exclut que les libertés publiques figurent explicitement dans le champ des questions à poser au peuple. Et, même si ses réponses sont un peu hésitantes à ce sujet, il considère, argument décisif à ses yeux, qu’il ne faut pas se risquer sur le terrain des libertés publiques, de peur de remettre en cause les principes fondamentaux reconnus par le Conseil constitutionnel (J.O. p. 914). Comme si le peuple était par nature plus liberticide qu’un collège de "sages" ! Notons-le, c’est avec un argument de ce type qu’on pourrait refuser de soumettre à l’avis populaire une décision qui remettrait en cause l’arrêt du Conseil constitutionnel qui rejetait la révision de la loi Falloux. Avec un référendum dont le champ sera aussi bien cadré, il est à redouter que, lorsque l’école sera en cause, il ne soit guère question de liberté de l’enseignement. LA COMMISSION FAUROUX Tout aussi inquiétante est l’installation d’une commission "chargée de conduire la consultation sur le système éducatif", dont la présidence a été confiée à M. Fauroux. Aussi bien la composition de la commission que les missions qu’elle doit remplir peuvent déconcerter. Dès le 17 août, Le Figaro annonçait que M. Fauroux s’était vu confier cette mission. Cet ancien ministre d’ouverture de M. Rocard aurait l’avantage de "ne pouvoir être soupçonné de partialité politique", d’après l’opinion de M. Bayrou. Effectivement, les organisations de gauche n’auront aucun motif de contester cette personnalité à classer parmi les chrétiens de gauche qui leur ont rendu tant de services notamment en ce qui concerne les problèmes scolaires. Il sera opportun de rappeler, car les faits sont anciens, que le 23 septembre 1983, au plus chaud de la bataille contre le projet Savary d’intégration dans le service public, c’est-à-dire de l’étranglement de l’enseignement privé, M. Fauroux était l’un des signataires d’un "appel aux chrétiens pour la paix scolaire" qui leur demandait en fait de capituler en renonçant au statut garanti notamment par la loi Debré : "Le statu quo ne peut être prolongé pas plus que les écoles catholiques ne doivent disparaître". Pourquoi ? C’est le "bien commun" des citoyens et des chrétiens qui l’exige : "le statu quo signifie la frustration durable d’une fraction de l’opinion." Cet appel publié dans La Croix devait recevoir une réponse énergique d’Etienne Borne (publiée le 1er octobre 1983 dans le même quotidien). Ce penseur qui n’a jamais passé pour un conservateur note que "les frustrés dont on nous parle se ramènent à une étroite minorité et à un groupe de pression" [...] qu’ils "resteront de toute manière des frustrés, car, prisonniers de l’héritage empoisonné d’une intolérance devenue pathologique [...] ils se battent contre les fantasmes d’un autre âge". M. Fauroux était-il le mieux désigné pour présider cette commission ? Et quand on voit que Mme Bourchardeau, également ancien ministre socialiste, y appartient, on a un peu l’impression qu’il s’agit d’un club pour retraités de la vie politique active. La liste des vingt-quatre membres la constituant réserve d’ailleurs d’autres surprises, même si elle comprend au demeurant quelques personnalités éminentes et incontestées. De toute façon, ce n’est pas en répétant à tout propos qu’il s’agit de "sages" qu’on fera échapper à toute critique les avis émis par cette commission. Mais quelle sera donc sa tâche ? Préparer un rapport sur les consultations qu’elle va entreprendre. M. Fauroux est disposé à ne pas limiter son champ d’investigation ("L’éducation c’est vaste. On va tout prendre [...] en profiter pour dire et faire dire ce qu’on a sur le cœur" rapportait Le Figaro), alors que M. Juppé souhaite qu’elle s’attache prioritairement à trois questions : les rythmes scolaires, la formation professionnelle et les premiers cycles universitaires. Et là on rencontre une difficulté : ou bien la commission parle de tout, et elle risque de ne jamais conclure, ou bien elle est cantonnée à des questions partielles, découpées de façon plus ou moins arbitraire. Par exemple, je ne disconviens pas que les difficultés les plus graves rencontrées par les universités se situent au niveau des premiers cycles. Mais peut-on traiter sérieusement ce problème sans aborder l’étude du fonctionnement des lycées et collèges ? En 1992 M. Lang avait "rénové" ces premiers cycles, rénovation qui entre tout juste en application à l’heure actuelle. Faut-il que le système éducatif soit condamné à une instabilité perpétuelle, faute d’avoir été conçu selon un projet global cohérent ? J’ai bien peur que la commission Fauroux, dont les auditions seront publiques et télévisées, comme pour la commission réunie en 1987 pour réviser le code de la nationalité, ne serve pas à grand-chose et qu’elle n’aboutisse qu’à des suggestions issues d’un consensus mou, à moins qu’elle entérine des propositions fondées sur une idéologie de gauche. L’ALLOCUTION PRÉSIDENTIELLE J’ai crainte que le référendum sur l’école soit une occasion manquée. Les propos tenus par le président de la République sur les problèmes d’éducation, au cours de son intervention télévisée du 5 septembre, confirment mes craintes. Il est frappant de constater que le discours présidentiel reste dépendant d’une vieille conceptualisation : l’idée d’instaurer ou de restaurer l’égalité des chances en mettant des moyens supplémentaires à la disposition des moins favorisés y joue un rôle fondamental. Ainsi affectera-t-on des moyens supplémentaires en personnel dans les zones défavorisées et on se propose notamment d’inciter les "meilleurs enseignants, les plus expérimentés" à "aller dans les quartiers difficiles". Mais il faut d’abord remarquer que beaucoup de mesures proposées sont déjà en application, avec une efficacité inégale. Par exemple, pour ce qui concerne la répartition des enseignants, les avantages de carrière ou de rémunération ne suffisent pas à convaincre la plupart d’entre eux de se porter volontaires pour certains postes particulièrement difficiles. D’ailleurs, qu’est-ce qu’un bon professeur dans une banlieue agitée ? Il n’est nullement certain que le brillant normalien agrégé convienne. La question n’a jusqu’à maintenant été que trop superficiellement traitée. Et cette "égalité des chances" a-t-elle un sens précis ? Certains penseurs en ont douté. Si elle a un sens, il est d’ailleurs à craindre que la seule façon d’essayer de la réaliser soit constituée par un faisceau de mesures autoritaires qui conduiront à séparer le jeune de son milieu naturel, de sa famille notamment. Il nous est dit que "les enfants ne sont pas égaux", entendons à leur entrée à l’école, et qu’il faut "rétablir l’égalité". Programme inquiétant : C’est au nom de tels principes qu’on traite inégalement, en fonction de leur groupe d’origine des individus égaux dans beaucoup d’universités américaines comme le montre très clairement M. D’Souza. Il semble que le président de la République lui-même reste prisonnier de tels idéaux qui se rattachent à la pensée sociale-démocrate et qu’il ne soit pas parvenu à exprimer sa volonté de rupture. Quant aux problèmes des rythmes scolaires, dont il a été parlé assez longuement, je ne nie pas sa réalité : il a d’ailleurs donné lieu à de nombreux études et rapports ; l’un de nos administrateurs, le recteur Magnin, y a largement contribué. Je ne nie pas non plus l’intérêt de l’initiative prise à Épinal par M. Séguin. Mais je ne crois pas que ce type de mesures, qui d’ailleurs ne concernent pour l’instant que le primaire, constituent la panacée ni que la clé des difficultés du système scolaire soit la solution du problème des rythmes. Bref, j’ai vainement cherché dans cette allocution le signe de cette volonté réfléchie d’une réforme radicale que laissait augurer l’annonce du référendum. Cela aussi doit être compté au nombre des signaux inquiétants. Tweet |