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Lettre N° 37 - RAPPORT MORAL
Qu’il me soit d’abord permis d’adresser mes vifs remerciements à la Présidence du Sénat qui veut bien nous accueillir à nouveau, comme pour notre première remise de Prix, dans ce magnifique palais tellement chargé d’histoire, asile naturel de tous ceux qui défendent les libertés. Nous sommes tous extrêmement sensibles à l’honneur qui nous est ainsi fait. Depuis notre précédente rencontre, ici même en juin 1990, que d’événements ont ébranlé le monde. Souvenez-vous : pour sanctionner une agression au Moyen-Orient, on organise une riposte sous les auspices des organisations internationales et, après le succès de cette entreprise (au début de 1991), on parle comme d’un fait acquis de l’instauration d’un nouvel ordre mondial. L’été 1991 est marqué par l’éclatement de l’U.R.S.S. et le reniement du communisme d’Etat. Enfin, de façon quasi simultanée, un conflit armé éclate sur notre continent et dégénère en une guerre particulièrement barbare dans diverses parties de ce qui fut la Yougoslavie. Vous me direz que je n’ai pas à parler de toutes ces données qui ne concernent pas la liberté d’enseignement dans notre pays, si ce n’est de façon très indirecte par le fait que les éditeurs de livres scolaires qui traitent d’histoire contemporaine sont dans l’obligation de changer en catastrophe quelques feuillets et qu’une portion notable du corps enseignant doit constater la faillite d’une idéologie qui lui était chère (le marxisme et tous ses produits de substitution). C’est à voir. Je redoute, en effet, qu’on ne tire pas les leçons des événements que nous avons vécus, que les institutions éducatives continuent à être régies par les mêmes principes (centralisation excessive, volonté de nivellement, interventionnisme étatiste) que par le passé alors que ces principes appliqués sur le plan général viennent de prouver leur nocivité. La révolution, fût-elle de velours, ne semble pas en France être pour demain en ce qui concerne le système de l’éducation. En règle générale, notre pays n’a été que très modérément affecté par les transformations qui se déroulaient hors de ses frontières. Mais pour tout ce qui concerne l’enseignement on constate une prodigieuse inertie alors qu’on nous parle sans cesse de rénovation. Au terme de deux années, presque rien n’a changé : on retrouve les mêmes problèmes irritants auxquels on apporte les mêmes solutions très imparfaites. On notera juste qu’il y a un nouveau titulaire du ministère. On m’objectera de noircir le tableau, car il y a eu malgré tout cet accord signé au mois de juin entre le secrétaire général de l’Enseignement catholique et le nouveau ministre de l’éducation, accord qu’on nous invite à considérer comme "historique". Mais en réalité cet accord n’est qu’un compromis très imparfait entre les demandes légitimes de l’enseignement privé et ce qu’est disposé à concéder l’Etat. Au prix de quelques améliorations de la situation de certaines catégories du privé, mais également d’une remise des dettes de l’Etat, la situation est en quelque sorte gelée sans que soit vraiment pleinement assurée la parité public-privé, ni résolus les deux problèmes fondamentaux : l’ouverture des classes en fonction des demandes effectives des familles et la participation des collectivités territoriales aux investissements immobiliers. De plus, il est manifeste que l’inquiétude est grande chez les défenseurs de la liberté d’enseignement en ce qui concerne les conditions dans lesquelles cet accord sera appliqué. J’ai dit avant les vacances ce qu’il fallait penser de cette situation, mais la décision est maintenant derrière nous et il n’y a pas lieu d’entretenir ce débat. Résumons-nous : sur ces questions, la situation n’a pratiquement pas évolué depuis 1985, malgré quelques escarmouches. On a beau traquer l’événement comme on est contraint de le faire lorsque l’on essaie d’établir un bilan quasi trimestriel, il n’y a rien de très notable à signaler, si ce n’est cette lente dégradation qui résulte, pour l’essentiel, des pesanteurs induites par la très nette aggravation de la situation de l’enseignement public. Que l’éducation nationale fonctionne mal, qu’elle subisse une très grave crise du recrutement des enseignants, que sa productivité soit alarmante, qu’elle multiplie les élèves en situation d’échec scolaire, nous l’avons dit à maintes reprises et tout le monde le sait. Mais il faut bien voir que ce n’est pas seulement de qualité qu’il s’agit, mais aussi de respect de la neutralité et de liberté. Nous avons déjà attiré l’attention sur des manuels scolaires souvent biaisés (en histoire ou en instruction civique, mais pas seulement là) ou les tâches intempestives scandaleusement confiées à l’école à l’occasion du débat qui vient de diviser l’électorat français. Or la première des libertés des citoyens c’est de disposer d’un enseignement public neutre sur les problèmes qui concernent la conscience de chacun : c’est de moins en moins bien assuré. Par ailleurs, la liberté est-elle garantie quand la sectorisation est étendue, quand on retarde certains élèves pour que tous aillent au même rythme, quand on impose à tous des classes hétérogènes, en réduisant au minimum la part de diversification qu’apportent les filières distinctes ? Y a-t-il enfin liberté lorsque le désordre et la violence règnent dans un certain nombre d’établissements scolaires ? Mais, là également, même si sous certains aspects des seuils sont franchis, notamment pour la violence - aujourd’hui l’enseignement est un métier dangereux ! -, il n’y a rien de très nouveau. Tout découle des principes sur lesquels repose la loi d’orientation qui reprend le plan Langevin-Wallon, loi que fit voter Monsieur Jospin en 1989, et qui est mise progressivement en application. L’unification de la formation des enseignants (de l’école primaire jusqu’aux universités), par la mise en place des I.U.F.M. et la réforme des premiers cycles universitaires devaient en être le couronnement. On sait que ces dernières dispositions se heurtent à une forte opposition du corps enseignant qui voit l’absurdité des conséquences des principes qu’ils avaient assez largement approuvés par inclination politique... Bien entendu, attendre de ceux qui nous gouvernent qu’ils confessent leurs erreurs, changent radicalement de principes, c’est illusoire. Dans ces conditions, tout ce que nous pouvions faire c’était nous joindre au chœur des protestations et, inlassablement, quitte à être fastidieux, montrer d’où viennent les difficultés, ou lutter contre les imperfections d’une information médiatique qui trop souvent sur ces questions confine à la désinformation. Mais on ne pouvait en ce domaine attendre de notre part actions d’éclat ni miracles. Aussi, je me félicite que nous ayons décidé de renouveler le concours pour l’attribution des prix, attribués par le même jury ; je remercie Monsieur Cazeneuve de bien avoir voulu assurer à nouveau sa présidence. Ce concours est une façon importante d’attirer l’attention sur un problème que notre société découragée feint d’oublier. L’effervescence des années 1981-84 est peut-être retombée, et la production abondante qu’elle avait suscitée. Mais il y a des livres nouveaux dignes d’être couronnés. D’ailleurs, certains prouvent qu’il y a encore des vocations d’enseignant qui apportent l’épanouissement. Je crois que les candidatures reçues, et le palmarès qui va être rendu public montrent qu’il y aura intérêt à renouveler l’entreprise en essayant de respecter un rythme biennal. Une initiative nouvelle réside dans l’attribution d’une bourse à l’auteur d’un manuel de biologie qui traite les programmes officiels tout en respectant les consciences et le choix des familles. Bien entendu, c’est le sentiment largement répandu que, dans cette discipline, l’énorme majorité des ouvrages, sous couvert d’informer, inclinent les jeunes esprits vers des attitudes éthiquement discutables selon beaucoup de parents, qui motive notre entreprise. Nous avons essayé de susciter la publication d’un livre différent qui respecte l’objectivité sans choquer personne ; bien sûr il ne s’agit pas d’opposer idéologie à idéologie. Nous verrons comment le jury scientifiquement, pédagogiquement et moralement incontestable, qu’a présidé le Recteur Magnin, a résolu le problème. Sans prendre d’engagement strict, l’expérience nous semble digne d’être renouvelée, soit avec un autre manuel dans la même discipline mais destiné à un autre niveau, soit dans une autre discipline. En tout état de cause, il s’agira d’ouvrir de nouvelles possibilités de choix à ceux qui participent à l’entreprise d’instruction, la diversité des instruments dont ils disposent étant une condition de la liberté. Quand et sous quelle forme exacte sera renouvelée l’entreprise ? Je crois qu’il faut attendre la publication de ce premier ouvrage et le résultat de sa diffusion pour en décider valablement. Aussi, je souhaite qu’on en reste aujourd’hui à une simple décision de principe. Enfin, nous avons multiplié nos relations avec les associations de province. Ce matin même, nous avons suscité une réunion avec un certain nombre de leurs responsables. Ces rapports, ces échanges d’informations et d’opinions sont d’autant plus importants que l’essentiel après l’accord du 13 juin devrait se jouer sur le terrain. Aussi, nous les développerons. Depuis 1989, nous adhérons à l’O.I.D.E.L, organisation qui regroupe diverses associations analogues à la nôtre, avec les mêmes objectifs. L’O.I.D.E.L. nous permet de disposer d’une documentation extrêmement précise sur les engagements internationaux en faveur de la liberté de l’enseignement. Elle nous aide à confronter l’expérience de notre pays avec d’autres expériences. A la fin de 1990 un colloque nous a fait saisir comment se posait le problème de la liberté d’enseignement dans les pays qui accédaient à la démocratie. Nous avons demandé au professeur Czartoryski de faire un bref exposé sur la situation actuelle en Pologne. Ceci nous permettra de mieux mesurer les difficultés, mais aussi les chances d’une entrée brutale dans un régime de liberté. J’espère que des échanges de cette nature se poursuivront : il ne s’agit pas d’aller chercher ici et là des modèles presque jamais transposables, mais de tirer les leçons d’expériences très diverses. Cette orientation, nous l’avons manifestée dès notre premier colloque en 1985, que M. Peyrefitte avait présidé, et qui avait pour thème la comparaison de la France avec des nations proches d’elle quant à la façon dont chacune abordait les problèmes de la liberté d’enseignement. Notre vocation est donc ancienne. Les actions que je viens d’évoquer constituent à mon sens un programme suffisant pour une association de la taille de la nôtre. Je veux remercier les adhérents de leur générosité et de leur fidélité en dépit du caractère stagnant de la situation. Mais il est bon que nous restions regroupés, car une tempête peut toujours s’élever brutalement dans ce qui se présentait comme de l’eau morte. Maurice BOUDOT
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