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Lettre N° 36 - EST-CE UN ACCORD HISTORIQUE ?
Faisons la part de l’enflure propre au discours médiatique qui repère au bas mot un événement par semaine dont l’Histoire devrait retenir le souvenir. Il demeure le fait que pendant tout un week-end des commentateurs zélés nous ont invités à chaque bulletin télévisé à nous extasier sur l’accord signé par M. Lang et le Père Cloupet. C’est le Ministre lui-même qui juste avant la séance de signature, (le samedi 13 juin) avait parlé d’accord historique. Son partenaire dit aujourd’hui (le Quotidien de Paris du 16 juin) que le qualificatif n’est pas faux, mais que c’est le Ministre et non lui "qui fait l’Histoire". Appréciation prudente, bien modeste, mais très généreuse ! Car, enfin, appliquée à l’accord en question, l’épithète "historique" ne relève-t-elle pas simplement de l’esbroufe et de l’art de la mise en scène où excelle le Ministre d’Etat ? La question n’a rien d’académique. Car si dans un compromis modeste et bancal, on nous invite à reconnaître "un geste de réconciliation nationale", si on parle "d’une page tournée dans l’histoire nationale" - et j’emprunte ces expressions au Cardinal Lustiger (Le Figaro du 16 juin), visiblement grisé par l’atmosphère ambiante -, c’est peut-être que le metteur en scène - illusionniste avait l’intention de nous tromper sur la portée du compromis, pour des raisons inavouables, mais faciles à déceler. UN MÉDIOCRE COMPROMIS. Est-ce l’armistice, ou même le traité de paix, au terme d’une guerre séculaire ? Pas du tout, ce sont les lois Debré-Guermeur (1959, 1977) qui sont dignes de cette comparaison. L’accord signé le 13 juin est microscopique comparé à ces œuvres législatives. Il ne concerne que la mise en application de diverses dispositions législatives (surtout les précédentes) avec apurement des comptes, règlement de quelques litiges relatifs à l’application de ces dispositions, il ne contient aucun principe fondamental nouveau. Contrairement à ce qu’on raconte, il n’établit aucunement la parité public-privé même s’il constitue un tout premier pas en ce sens. Le Vice-Président du S.N.E.C. C.F.T.C. remarque notamment que l’Etat ne prend en charge qu’une partie des retraites des maîtres (la part employeur), qu’il exclut la rémunération de certaines catégories de personnel, les indemnités pour les directeurs d’établissement, pour la formation des maîtres du second degré, etc... Et surtout les 38000 maîtres auxiliaires du privé (presque la moitié des enseignants du second degré !) nonobstant leur qualification, n’obtiennent aucune amélioration de leur situation : leur reclassement n’est pas prévu. On finit par se demander ce qu’a obtenu le Père Cloupet. Un ensemble de mesures techniques, non négligeables certes, chiffré par l’intéressé à 771 millions par an, concernant par exemple de simples décharges de service pour les chefs d’établissement ou les salaires des documentalistes. Ce n’est pas tout à fait négligeable, mais il n’y a pas de quoi pavoiser. Les deux problèmes de fond - la participation des collectivités territoriales aux investissements immobiliers et la prise en compte des demandes effectives des familles pour l’ouverture de classes - ne sont ni réglés, ni même abordés. Le négociateur dit du premier problème qu’il fut abordé lors de la première rencontre, mais qu’il ne pouvait en faire "une condition de règlement", que le problème "mûrit à gauche" mais qu’il ne faut rien casser : "il faut tirer sur la ficelle méthodiquement sans qu’elle casse". Soyons assuré qu’il trouvera en face de lui quelqu’un qui saura embrouiller la pelote de ficelle ! Quant à l’autre problème il est passé sous silence. Parler d’historique dans ces conditions prouve que M. Lang cultive le genre burlesque. LE CONCORDAT DE FAILLITE. Tous ces menus avantages vont se payer et au prix fort. La dette de l’Etat à l’égard de l’enseignement catholique pour ces dernières années (ce qu’on appelle le rattrapage du forfait d’externat) est estimée à 6,7 milliards, voire à beaucoup plus. Admettons que compte tenu d’accords anciens (de 1986) on la réduise à 4,3. Il s’agit alors d’un minimum incompressible. C’est de l’argent dû en vertu des dispositions législatives et réglementaires, et toutes les juridictions administratives qui ont eu à se prononcer confirment les droits du créancier. Aujourd’hui, dans une espèce de moratoire, de concordat (au sens du droit commercial et non du droit international !) la dette est réduite de 2,5 milliards. Non seulement par ce contrat léonin on remet à l’Etat plus de la moitié de sa dette, mais le payement est échelonné sur six ans. Une hypothèse assez vraisemblable veut que M. Lang laisse à ses successeurs le soin d’honorer ses engagements. Sans mettre en doute "la parole d’un Ministre d’Etat", le secrétaire général de l’enseignement catholique compte sur les trois années à venir pour vérifier que les engagements sont appliqués ! C’est dire que sa confiance n’est pas totalement aveugle et qu’il semble craindre, mais un peu tard, d’avoir conclu un marché de dupes. L’ETRANGE PACTE Comme le montre dans un remarquable article mon éminent collègue Jean Michel de Forges (Le Figaro, 17 juin 1992) ce type d’accord confine à l’extravagance lorsqu’on le considère sous son aspect juridique. D’abord ce ne peut être un contrat, puisque les promesses faites par le ministre ne relèvent pas du domaine contractuel : c’est au plus une simple déclaration d’intention. Quant aux engagements du Père Cloupet, ils concernent des créances dont les détenteurs sont non l’enseignement catholique, mais chacun des organismes de gestion des établissements concernés. L’accord n’engage donc aucun de ses signataires. On attend d’une loi qu’elle règle ces difficultés juridiques. Mais M. de Forges tient pour douteux sa constitutionnalité puisque elle violerait la liberté de l’enseignement et la règle selon laquelle toute victime doit pouvoir obtenir réparation des préjudices subis. Aussi juge-t-il souhaitable que chaque association gestionnaire introduise ou maintienne un recours administratif, car même si le parlement votait ce que M. Lequiller, député des Yvelines, appelle une loi d’auto-amnistie scolaire, il n’est pas certain qu’elle passe l’épreuve du Conseil Constitutionnel. Toutes ces difficultés ne pouvaient être ignorées. Alors pourquoi s’être engagé dans cette étrange démarche ? La réponse est manifeste. L’enseignement catholique vit dans la crainte d’être accusé de nuire à la gauche et dans l’illusion qu’elle seule peut assurer sa pérennité. Comme si l’accord de samedi empêchait ce qui reste de la F.E.N. et de ses satellites de s’indigner et de se préparer à la revanche. Quant au gouvernement, c’est une opération préélectorale de recentrage, un peu voyante à vrai dire. Vraiment, l’estrade de la rue de Grenelle fait un peu trop penser à d’autres tréteaux qui défrayent la chronique. Maurice BOUDOT
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