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Lettre N° 32 - LE DERNIER REMPART
A l’occasion de son Assemblée Générale, le 4 avril, à Lyon, l’A.R.L.E. (Association Rhodanienne pour la Liberté de l’Enseignement), avait demandé à notre Président de donner une conférence sur le sujet suivant : Non, à la disparition du pluralisme scolaire. Le texte qui suit est constitué d’extraits de cette conférence reproduits en plein accord avec l’A.R.L.E. ENSEIGNEMENT ET LIBERTÉ Tout d’abord une définition : le pluralisme s’oppose au système du monopole. Il y a pluralisme lorsque les parents peuvent choisir l’établissement scolaire auquel ils confient l’éducation de leurs enfants (ou pour les jeunes adultes majeurs, choisir eux-mêmes), et cela sans préjudice financier. Le pluralisme recouvre le principe du libre choix et la faculté de créer des écoles. Voilà le principe dont nous pensons qu’il doit actuellement être défendu en France. Que ce principe soit en quelque sorte la mise en œuvre d’un droit fondamental de l’homme, qu’on apparente souvent à juste titre à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression, est un fait reconnu. Des textes fondamentaux de portée internationale lui confèrent ce statut. Ceci donne à la défense du pluralisme scolaire une espèce de légitimité morale, sinon juridique. Je citerai seulement l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948) : "Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental... Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants." Dire que le pluralisme scolaire est un principe affirmé par des textes presque sacrés est rassurant, mais ce n’est pas un motif sérieux pour se mettre en mouvement pour le défendre. La raison essentielle réside dans le fait qu’il est indispensable à la préservation des libertés individuelles. D’ailleurs les régimes totalitaires ne s’y sont pas trompés : ils ont toujours établi un monopole d’enseignement à leur profit. Ce lien du pluralisme scolaire et de la liberté individuelle fut très nettement perçu par Condorcet, qui s’exprime sur ce problème en termes particulièrement nets. Le ressort du raisonnement qui fonde l’opposition au monopole scolaire est simple "Tout pouvoir de quelque nature qu’il soit, est naturellement ennemi des Lumières". Disons qu’il est porté à l’intolérance et à l’abus des moyens dont il dispose pour régir les opinions. Les textes de Condorcet, dont nous avons déjà parlé dans cette Lettre ont exactement deux siècles. Ce qui était vrai hier ne l’est-il plus aujourd’hui ? Tout au contraire. Je pense que les conditions qui sont celles de la France contemporaine rendent encore plus indispensable le pluralisme scolaire. 1 - Nous vivons dans une société où le rôle de l’État va constamment en se renforçant (notamment à travers son aspect d’Etat providence). C’est dire que son pouvoir est de plus en plus menaçant. J’ajouterai que cette société va très naturellement vers l’uniformisation et la centralisation. Si on veut éviter cette tyrannie bienveillante que Tocqueville redoutait dans l’avenir des démocraties, il est de première urgence que soient préservées toutes les dispositions qui maintiennent quelques éléments d’autonomie et de diversification. Ce qui était vrai hier l’est a fortiori aujourd’hui. 2 - Par ailleurs, la crise extrêmement grave que subit l’institution - 1/3 de divorces - a entraîné une régression considérable dans l’influence familiale. Ceci concerne même les familles qui ne sont pas directement atteintes par cette crise. Que ce soit par souci, compréhensible, de ne pas trop s’éloigner des pratiques habituelles ou pour n’importe quelle autre raison, le fait est là : l’influence de la famille s’est beaucoup restreinte, à tel point que si on ôte aux parents la possibilité de choisir l’établissement scolaire auquel ils confient leurs enfants, il ne reste presque plus rien d’elle. Corrélativement, il y a la perte de prestige des "autorités morales" : l’Eglise ose à peine exercer son magistère. Beaucoup de clercs s’expriment comme s’ils redoutaient de choquer l’opinion publique. Diminution de l’autorité familiale, baisse de prestige des Églises, il ne reste pratiquement rien pour contrebalancer la toute-puissance de l’État si on porte atteinte au pluralisme scolaire. 3 - Rien ou presque, parce que pour régler les opinions, les diffuser et les gouverner, demeurent ces redoutables puissances que sont les médias et notamment le plus puissant d’entre eux, la télévision ! Ces médias qui vivent dans l’éphémère, nous font oublier chaque semaine ce qu’ils présentaient comme la question essentielle - l’événement d’importance historique - de la semaine précédente. Médias à la fois manipulateurs et manipulés qui risquent, par le caractère presque exclusif de leur influence, de créer une génération sans mémoire, sans constance, sans caractère ni capacité de résistance, sans plus de fermeté dans la volonté que d’ordre dans la pensée. Non que ceux qui fabriquent les médias soient plus mauvais que d’autres, mais parce qu’ils obéissent à la loi du genre, qu’ils sont soumis à une logique qui leur est propre. Or les médias ne nous offrent qu’une apparence de pluralisme. Les sommes nécessaires pour créer et développer un système d’information efficace sont d’un ordre tel qu’il est, dans certains cas, assez fictif de parler de la liberté qu’a le citoyen particulier de "faire connaître ses idées au public". Les médias sont soumis au contrôle des financiers (les agents de publicité) et au contrôle de l’Etat. A ceux qui douteraient du caractère très fictif de leur pluralisme, je suggère de confronter les divers bulletins d’information de la télévision : dans les sujets retenus (ou exclus) et dans les commentaires, il y a une très grande uniformité et souvent tel bulletin ne fait que reprendre les titres d’un "grand quotidien du soir". C’est stupéfiant de ressemblance, même dans la mise en page. Ces médias, dont la vocation était primitivement de nous informer, s’érigent volontiers en maîtres à penser ; ils nous donnent des leçons de morale. Mais comment le leur reprocher alors qu’ils sont presque les seuls à le faire et qu’ils remplissent ainsi une fonction essentielle ? La nature a horreur du vide : ils occupent une place laissée vacante. Il est trop manifeste que le pouvoir politique qui entretient avec les médias une "relation dialectique" a naturellement tendance à les contrôler. Par des moyens plus ou moins détournés, il y parvient assez facilement dans une large mesure. Je pense qu’il est plus facile d’infléchir presse et télévision qu’un réseau d’écoles indépendantes. Dans les circonstances actuelles, s’il était porté atteinte sérieusement au pluralisme scolaire, il n’y aurait plus aucune institution susceptible de résister à la puissance de l’Etat. L’école constitue éventuellement le dernier refuge qui permette à l’enfant de résister à des influences délétères, à la volonté de modeler sa personnalité. C’est pourquoi plus que jamais le pluralisme scolaire doit être préservé. Mais il est d’autres arguments en faveur du pluralisme scolaire, qui consistent non à se fonder sur des principes, mais à établir ses conséquences bénéfiques. Condorcet notait déjà (dans un rapport sur un projet de décret présenté à la Législative) que si tout citoyen peut librement former des établissements d’instruction "il en résulte pour les écoles nationales l’inévitable nécessité de se tenir au moins au niveau de ces institutions privées". C’était fort bien vu : tout système de monopole est sans efficience ! La découverte de la réalité des pays de l’Est {notamment en matière d’équipement industriel) constitue une preuve sans appel. Ce qui vaut de façon générale s’applique parfaitement aux systèmes d’éducation. Notons qu’en accordant aux défenseurs des régimes totalitaires de l’Est que s’ils échouaient en économie, ils réussissaient mieux dans d’autres domaines, notamment dans l’organisation de l’enseignement, on leur avait probablement beaucoup trop concédé. La réalité serait moins riante qu’on voulait bien nous le dire : l’illettrisme n’est pas un phénomène propre aux pays capitalistes. Il est difficile pour l’instant de faire un bilan exact mais on ne trouve pas là le contre-exemple qui montrerait que certains systèmes de strict monopole sont néanmoins efficaces. Tout le monde sait que la rentabilité du système éducatif français est consternante : de maigres résultats eu égard aux investissements financiers et à la perte de temps pour les intéressés. Mais on ne conserve une idée de ce gâchis, qu’on essaye de nous dissimuler, que parce qu’il y a des termes de comparaison à l’intérieur même de notre société. Et c’est la crainte du résultat funeste de ces comparaisons qui nous préserve encore des pires aberrations. La meilleure façon de s’y prendre pour ruiner toutes les écoles publiques, c’est de supprimer le privé (et tout mécanisme de concurrence entre ces écoles). Sans le pluralisme, la dégénérescence sera inexorable parce que invisible. Nous assistons à l’heure actuelle à une prodigieuse opération pour briser les traditions culturelles et religieuses de la France, pour couper les nouvelles générations de notre passé, pour changer les mentalités comme on disait au beau temps du premier septennat. C’est une révolution culturelle en douceur qui s’effectue sous nos yeux et il ne faut pas s’illusionner : tel était l’objectif prioritaire de ceux qui nous gouvernent. Pour ces idéologues, les transformations économiques ne sont jamais qu’un moyen, ce sont les mentalités qui les intéressent. Cette révolution peut réussir : le pluralisme scolaire est évidemment un obstacle sur son chemin, le dernier rempart de la liberté. C’est pourquoi on s’acharne à le restreindre. C’est aussi pourquoi il faut tout mettre en œuvre pour le défendre.
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