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Lettre N° 30 - LES 80 %, LES VOILA
Soyez rassurés. Je ne ferai pas de triomphalisme. A vrai dire, il n’y a pas lieu. En septembre, je notais que le calme apparent de la rentrée n’avait que le caractère provisoire d’une embellie, puisqu’on tournait le dos à la solution des problèmes fondamentaux, mais je n’annonçais ni l’imminence de l’orage, ni sa violence, ni l’état de désolation qu’il laisserait après son passage, ni que la tempête éclaterait d’abord dans les lycées. LES FAITS Mais que s’est-il donc passé au cours de ces quelques semaines de folie ? D’abord, presque rien, dira-t-on. Simplement, quelques incidents "déplorables", surtout en ce qu’ils risquent de choquer l’opinion. Les bandes qui sévissent depuis longtemps dans les lycées de la région parisienne ajoutent à la liste de leurs exploits habituels (chapardages, violences, trafic de drogue, rackets) des viols. Quel que soit le niveau d’abjection auquel on veut nous habituer, ce n’est pas du meilleur effet dans le panorama d’une France tranquille. Bien vite, jetons le manteau de Noé ! Mais, entraînés par leur mouvement propre, leur penchant à fouiner, les journalistes enquêtent, notamment dans les lycées de la banlieue parisienne. Et, on découvre le pot aux roses : c’est la violence généralisée, des écoles livrées aux saccages, aux règlements de comptes entre bandes rivales, la terreur permanente dans ces champs de bataille qui ne présentent que des locaux délabrés, immondes, lépreux, dans lesquels essaient de se faufiler en rasant les murs de malheureux professeurs qui n’y peuvent rien, et dont on se demande bien ce qu’ils peuvent encore enseigner à des masses d’adolescents hébétés. De mal en pis : je veux bien croire que, selon l’usage, la recherche du scoop ait poussé les médias à l’excès, à la simplification. Je sais, avec certitude, qu’il y a quand même d’autres conditions de vie que celles qu’on nous dépeignait. Mais enfin ce qu’on nous montre est bien réel et on est aux antipodes du tableau idyllique proposé par M. Jospin. Avec effroi, les Français découvrent ce qu’on leur cachait si pudiquement : les conditions dans lesquelles 80 % d’une classe d’âge accédera au baccalauréat. Si c’est là le résultat de la "priorité des priorités" accordée à l’éducation, qu’en serait-il autrement ? Qu’à cela ne tienne. La gauche, qui a plus d’un tour dans son sac, va mettre en branle ses organisations de lycéens pour noyer le poisson. Il est demandé à ces organisations d’encadrer le mouvement et de faire en sorte que les lycéens eux-mêmes réclament de meilleures conditions de travail, la sécurité (donc des surveillants), des professeurs qualifiés plus nombreux, des locaux en meilleur état, bref selon la vieille antienne de gauche, des moyens, c’est-à-dire de l’argent. Cela permettra à M. Jospin d’obtenir éventuellement une rallonge budgétaire et surtout d’éviter qu’on s’interroge sur les défaillances de la hiérarchie académique et de la police (car, en certains cas, les problèmes sont bien, hélas, de son ressort !). Tout ceci est bien sympathique. Le bon peuple est convié par le chœur des journalistes à s’émerveiller de cette "génération morale" qui ne songe qu’à travailler et à demander des surveillants alors qu’en 1968 leurs parents refusaient toute répression... On semble oublier que cette même jeunesse s’insurge contre toute mesure d’ordre et ne propose que des réformes qui visent à supprimer le peu qu’il reste de calme et de discipline. Il va d’ailleurs falloir bien vite déchanter. Qui est chargé de l’opération ? D’abord les diablotins de la F.I.D.L. (à prononcer "fidèle" !), organisation proche de S.O.S. racisme et du P.S. Il se peut d’ailleurs que M. Julien Dray, vrai patron de S.O.S. racisme, ait voulu rappeler au bon souvenir de M. Jospin le rôle de son organisation dans le déroulement des manifestations contre la loi Devaquet (donc dans l’échec de Jacques Chirac). Peut-être a-t-il son jeu personnel... Toujours est-il que l’occasion est donnée de mettre sur orbite médiatique M. Nasser Ramdane qui ravit la vedette à des demoiselles d’Henri IV, lycée décidément un peu trop huppé. Toutefois, à gauche, indépendamment des innombrables factions socialistes, il y a les communistes, qui ne participaient pas au Congrès de Rennes, et qui ne peuvent laisser un mouvement de masse de gauche se développer sans y participer. Or, s’il y a de moins en moins d’électeurs communistes, il reste encore des adhérents aux Jeunesses communistes, qui sont, comme on le verra, fort bien organisées. Des rivalités entre tous ces groupes résulteront les meetings incessants, les réunions houleuses au cours desquelles se chamaillent deux "coordinations", l’une et l’autre nationales, chacune essayant de tirer la couverture à elle. On n’a guère dû travailler dans certains lycées, mais enfin on repensait l’enseignement et on préparait l’action. Vint enfin le 12 novembre, jour tant attendu de la grande manifestation. Les médias tiennent tellement à couvrir l’événement qu’ils participent à son organisation. On donne tout renseignement sur les parkings, les lieux de rassemblement, etc... Dans de telles conditions, comment la manifestation ne serait-elle pas un succès ? Les lycéens convergeront vers Paris de toute la province : ici ou là des maires (d’opposition, comme il se doit) dégagent une subvention pour contribuer au déplacement, ailleurs les lycéens se font menaçants et exigent de la S.N.C.F. sinon la gratuité du moins un tarif réduit. Ainsi Papa qui donne déjà l’argent de poche payera-t-il une seconde fois comme contribuable local et une troisième comme usager de la S.N.C.F. Les répétitions du grand événement avaient montré que des incidents étaient à redouter. Aussi avait-on pris toutes les précautions convenables avec la collaboration généreuse de la C.G.T. qui prêtait ses "gros bras" (sic) (fait savoureux) et d’un syndicat de policiers proche du pouvoir qui, s’investissant d’une mission particulière de maintenir de l’ordre, envoyait ses adhérents retraités pour encadrer les manifestants et éviter les contacts avec l’autre police (fait scandaleux) ! Bien sûr pour faire bonne mesure, il y avait quelques professeurs, délégués syndicaux qui font profession de défiler. Dès le départ, le gigantesque troupeau qui sautillait, rappait, poussait des cris inarticulés, exhibait des calicots miteux, n’offrait pas un spectacle de très bon augure. A peine la Seine passée avaient lieu les premiers incidents : on taggait et on chapardait tandis que les passants cherchaient au loin un abri. A partir de Montparnasse, ce fut un pillage en règle. Et lorsque le pont de l’Alma s’avéra impraticable, on passa au saccage gratuit. Nulle intervention policière avant une heure tardive. Quant aux bergers volontaires, ils s’étaient évanouis en fumée : ce n’était pas très glorieux de la part de policiers, même retraités ! Ceci n’empêchait pas le Président de la République de recevoir la délégation de lycéens qui s’entretenait avec M. Jospin : mieux vaut s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints. Et, on apprend que M. Mitterrand avoue à ses interlocuteurs qu’il ne sait pas où passe l’argent du budget de l’Education nationale, mais qu’il veut bien leur consentir 4 milliards et demi de supplément, dont l’usage est à fixer en accord avec MM. Rocard et Jospin, comme s’il s’agissait de disposer de sa cassette personnelle et non du budget de l’Etat. A entendre l’espèce de conférence de presse que donnent M. Ramdane et ses copains dans la cour de l’Elysée, sans être plus impressionnés par la fulgurante ascension qu’ils viennent de connaître, à constater leur assurance, on a très vite compris que l’intendance ministérielle suivra et qu’ils viennent de recevoir une onction qui leur permet, sinon de donner, au moins de transmettre des ordres. Ajoutons que l’insolence avec laquelle on éconduira les représentants des lycéens qui ne sont pas de gauche lors des rencontres avec M. Jospin, prouve qu’eux seuls bénéficient de ce pouvoir sacré. COMPLOT OU ACCIDENT J’ai voulu rappeler en détail le déroulement d’un processus présent à toutes les mémoires, mais qui est allé si vite - presque aussi vite que la débâcle de 40 ! - qu’on risque d’embrouiller les phases. Comme toujours, lorsque les faits sont opaques, on hésite sur leur interprétation : est-on en présence d’accidents qu’on grossit parce qu’on tente vainement de les dissimuler, ou d’un complot machiavéliquement ourdi par les socialistes eux-mêmes ? La seconde thèse a ses partisans. Ils expliqueront que tel camp socialiste a voulu nuire à l’autre (M. Fabius à l’axe Rocard-Jospin ou Mitterrand à Rocard, etc...). Je ne doute pas que ces hostilités qui n’ont rien d’imaginaire aient joué un rôle au moment où il s’agissait de rejeter la responsabilité sur le voisin... mais qu’elles expliquent tout, j’en doute. De même il y a, sans doute, des enchaînements d’événements qui sont intentionnels, mais penser que tout était savamment calculé c’est une autre chose. J’ai entendu affirmer que M. Joxe avait délibérément attiré les manifestants dans une souricière puisque aucune manifestation n’a traversé la Seine sur un pont du centre, et que la résistance opposée à leur passage sur le pont de l’Alma devait déclencher leur colère. Tout cela, parce qu’on voulait que la violence des casseurs dissuade les lycéens de toute récidive. Je veux bien croire que le Ministre de l’Intérieur, qui après avoir tout promis n’a toujours rien trouvé à Carpentras, soit capable de pas mal de machiavélisme. Mais pourquoi cette manœuvre qui ne tourne pas à son avantage ? Est-il si dévoué à M. Rocard ? Toutes les hypothèses de ce genre ne sont pas absolument insoutenables, mais pour l’instant très fragiles. Si complot il y a eu, il n’a pas profité à ses auteurs. C’est bien évident. Ni d’ailleurs à une opposition qui ne fut pas à la hauteur de la situation sauf au moment où on a renvoyé les lycéens aux régions, désormais chargées de l’entretien des bâtiments et qu’ils ont trouvé en face d’eux des interlocuteurs dont la vigueur nous a agréablement surpris. Il reste M. Le Pen, le seul homme politique qui ait eu le courage de dire que les 80 % de bacheliers constituait un objectif démagogique, qui voit ses analyses sur les méfaits d’une immigration incontrôlée entièrement vérifiées, tandis que même à gauche les grands journaux publient des textes analogues à ceux qui valent à des membres du Front National des poursuites judiciaires ! Mais, enfin, M. Le Pen ne tire pas les ficelles de S.O.S. racisme et n’administre pas les lycées. Un complot, donc, dont aucun de ceux qui auraient pu l’organiser ne tire profit (à l’exception peut-être du seul M. Dray) ; j’ai déjà dit qu’il y a des machinations qui se retournent contre leurs auteurs. L’hypothèse n’est donc pas totalement exclue, mais elle apparaît assez gratuite. D’autant plus qu’elle est inutile. Les choses s’expliquent plus simplement par la volonté de dissimuler les faits gênants, et de substituer aux questions précises une problématique verbeuse qui noie la difficulté. Technique chère aux socialistes. Par la surenchère due aux rivalités entre les deux coordinations, par l’émergence de groupes qu’on ne contrôle pas, le processus échappe à ceux qui croient le diriger et les mensonges doivent toujours devenir plus gros et plus inefficaces. Aujourd’hui on en est au "mal des banlieues" et à la lutte contre les ghettos : on compte ainsi faire oublier la sécurité dans les lycées. Il fallait une grande gesticulation pour faire passer une grosse dissimulation. Et une fois déclenché, le processus ne pouvait plus s’arrêter. Dans l’état de déliquescence intellectuelle et morale atteint par notre société où les parents refusent d’éduquer, où l’Eglise abandonne son magistère, où les maîtres n’ont plus rien à dire, ou n’osent plus rien dire, où les journalistes tiennent lieu de maîtres à penser, où les hommes politiques sont plus soucieux de leur cote de popularité que d’avoir le moindre dessein, où les "zoulous" sont tenus pour des garnements un peu turbulents, l’usage de la drogue pour une petite peccadille, où les chaînes de télévision vendues aux annonceurs d’un capitalisme sans âme offrent comme leçons des clips décérébrants, où le Ministre de la culture lui-même érige le rap et les tags au nombre des beaux-arts, n’importe quel incident peut révéler l’étendue du désastre et soulever une lame de fond. Il n’y a plus aucune force de résistance pour s’opposer à elle : tout ce qui était susceptible de résister a été systématiquement et volontairement détruit. L’ETAT DES LIEUX Chacun va alors tenter de tirer son épingle du jeu ou de toucher son petit bénéfice. M. Jospin ne sort pas grandi de l’affaire. Il vient d’apprendre à ses dépens qu’on ne calme pas les appétits des lycéens en leur promettant 1 000 surveillants, soit moins de un par lycée (pauvre pion isolé dont on se demande bien ce qu’il fera face aux gangs organisés !). Il ne peut promettre à M. Ramdane ces innombrables professeurs qualifiés dont on exige le recrutement immédiat. Mais il peut avancer la réalisation de quelques projets chers à son cœur : la transformation des lycées en "lieux de vie", le recrutement de professeurs-animateurs au rabais, l’allégement des programmes, la suppression progressive du baccalauréat qu’on réduira à un simple examen interne à l’établissement, que tout le monde réussira car dans les conditions actuelles quel professeur commettra la folie de le refuser à l’un de ses élèves. Tout le monde en sera très content : les jeunes qui n’auront plus à travailler, les parents qui n’auront plus à constater l’échec de leur progéniture et le Ministre aussi qui aura supprimé l’un des derniers repères qui permet de mesurer la dégradation de l’enseignement. Et naturellement, tous ces bacheliers iront dans des Universités qui se tireront d’affaire comme elles pourront ; mais on aura gagné quelques années de répit. Les membres de deux coordinations vont "cogérer" les activités socio-culturelles ; ils exerceront leur pesante tutelle dans les lycées, champs clos de leurs querelles et dépenseront leurs milliards. Mais il y a ceux qui perdent sur tous les tableaux : les chefs d’établissement qui voient leur autorité encore rognée. Les professeurs surtout ceux qui, syndiqués à gauche, ont cru habile de faire un bout de chemin avec leurs élèves, le 12 novembre. Eux n’ont pas obtenu un sou et devront attendre des mois les audiences officielles. Il se peut qu’il y ait du côté de la F.E.N. et du S.G.E.N. quelques explications orageuses entre la direction et ses mandants. Plus gravement, le spectacle offert va tarir le recrutement d’enseignants qualifiés. Qui peut encore vouloir exercer ce métier, à moins d’avoir une âme de kamikaze ? Ajoutons que ceux qui attendaient de la seule décentralisation le remède miracle découvrent qu’elle consiste surtout à faire payer aux régions des bâtiments que la police nationale ne protège pas. Beau marché de dupes. La crise est provisoirement résolue. Chacun peut se frotter les mains de s’en tirer à si bon compte. Mais nous n’avons pas vu le pire, nous sommes encore loin des 80 %. Tous, pourtant, refusent de voir le désastre d’un système inadapté, reposant sur des principes absurdes. Ils courent, donc, inexorablement à leur perte. Maurice BOUDOT
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