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Lettre N° 28 - RAPPORT MORAL
Tout au long de l’année qui nous sépare de notre dernière Assemblée générale, l’Ecole a été mêlée contre son gré à des affaires qui la débordaient amplement. Aujourd’hui, c’est le tumulte né à Carpentras qui y trouve des échos puisqu’on cherche dans telle ou telle Université ceux qui, par leur idéologie, auraient pu inspirer, fût-ce de façon lointaine, ces actes ignobles, ce qui donnera vraisemblablement prétexte à ce qu’il faut bien appeler une chasse aux sorcières. Mais, souvenons-nous. L’année avait commencé avec l’affaire du foulard islamique, qui devait agiter l’opinion, diviser les familles politiques et spirituelles, et surtout révéler les contradictions d’une idéologie qui entend soutenir simultanément que toutes les différences sont respectables et que les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme sont universellement reconnues. Avouons que si ces parents, peut-être manipulés (n’avez-vous pas remarqué combien les fameux foulards ont soudainement disparu ?) n’avaient pas à imposer la loi de leur religion exigeante à une école publique qui se veut neutre, on doit par ailleurs reconnaître qu’ils avaient quelques raisons de s’inquiéter de l’éducation qui est donnée dans une société dont l’affaissement moral peut être mesuré par le fait qu’au moment même où on s’indigne des profanations, on offre comme nourriture spirituelle au public la diffusion à une heure de grande écoute de Tenue de soirée ! Sur cette affaire, qu’on aurait naturellement étouffée sans l’exemplaire courage du principal de Creil, nous nous sommes exprimés en temps utile. Nous l’avons fait, sans déroger à nos principes, et nous manifesterons à l’avenir le même souci de préserver notre liberté d’expression. Mais les problèmes que nous venons d’évoquer ont, en quelque sorte, agressé l’Ecole de l’extérieur, sans la concerner directement et exclusivement ; leur acuité prouve d’ailleurs l’imprudence qu’il y avait à vouloir ouvrir l’école sur la cité, à en faire un "lieu de vie". Mais qu’en est-il des problèmes strictement scolaires ? La vérité nous oblige à dire qu’il n’y a eu aucun événement spectaculaire en ce qui concerne le statut de l’enseignement privé. Mais en un domaine aussi sensible - et qui laisse à certains un cuisant souvenir depuis 1984 - on peut agir de façon discrète, mais assez efficace. Disons que depuis un an, on assiste à une action de grignotage et de harcèlement. Je note deux tentatives significatives ; mais si aucune n’a vraiment abouti, soyons assurés qu’elles peuvent être reprises : la première sous le prétexte apparemment bénin (et donc incontestable) de réaménager la semaine scolaire visait (en proposant un échange déloyal) à supprimer en fait le temps prévu pour que les parents qui confient leurs enfants à l’école publique puissent faire assurer leur éducation religieuse. C’était revenir sur une garantie acquise depuis Jules Ferry ! Cette tentative a été heureusement stoppée. Il n’en est pas exactement de même pour la seconde, beaucoup plus perfide. Elle a consisté à susciter un avis du Conseil d’Etat sur les subventions d’investissement accordées par les collectivités locales à l’enseignement privé. Le Conseil ne pouvait que renvoyer à la législation existante, et notamment la loi Falloux de 1850, qui les plafonne très strictement. Il est assez cocasse de voir les socialistes s’abriter derrière une loi si ancienne tenue jusque-là pour réactionnaire. Mais ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Il n’y eut naturellement aucun projet de loi d’origine gouvernementale pour remédier à cette situation et donner aux collectivités locales la faculté de contribuer au développement de l’enseignement privé. C’est une proposition de loi déposée sur le bureau du Sénat qui cherche à trouver un remède à cette impasse juridique. Ce qu’on note en ces deux cas, dont le rapprochement est significatif, c’est la volonté de gêner au maximum une institution qu’on tient pour adverse et lui faire sentir qu’elle est sous contrôle permanent sans toutefois déclencher l’offensive. Quant à l’enseignement public, il poursuit à un rythme accéléré l’inexorable dégradation qui est la simple conséquence des principes contenus dans la loi que M. Jospin a fait voter au milieu d’une regrettable inattention. C’est avant tout la formation et le recrutement des enseignants qui sont atteints. La mise en place des instituts universitaires de formation des maîtres est en fait un moyen de réaliser la dernière étape du plan Langevin-Wallon, une même formation pour tous les maîtres de l’école primaire à la fin du secondaire ou encore selon le slogan de 1968 "un seul corps de la maternelle au Collège de France". La formation des instituteurs sera peut-être allongée sans qu’on soit assuré que ceci suffise à la rendre meilleure : en revanche, celle des professeurs perdra beaucoup de sa qualité. En même temps se multiplient, notamment dans l’enseignement supérieur, les recrutements latéraux dans de nouveaux corps au statut incertain, recrutements qui n’offrent pas toutes les garanties d’équité souhaitables. Il en résulte une grave altération de la formation des maîtres et des conditions d’exercice du métier d’enseignant. Ce n’est qu’à moyen terme que les effets se feront sentir, lorsqu’il sera trop tard. Jusque-là, on espère parer en apparence aux difficultés les plus criantes, c’est-à-dire réussir à "caser" des flots d’étudiants toujours plus nombreux, puisqu’on s’acharne au nom du refus de l’exclusion à condamner toute sélection. Bien entendu, l’énormité des difficultés rencontrées conduira inévitablement le gouvernement à imposer de façon autoritaire ses solutions. Ainsi en est-il pour la restructuration des Universités d’Ile-de-France. On nous parle déjà de pratiquer une "sectorisation douce", absurde principe qui consiste à assigner aux étudiants leur université en fonction de leur lieu de résidence. Comme on le voit, le tableau qu’on peut faire de la situation n’a rien d’encourageant. Mais il n’y avait pas de fait suffisamment caractéristique pour entreprendre à partir de lui une action. C’est pourquoi nous nous sommes essentiellement attachés à rappeler, en chaque occurrence, les principes fondamentaux qui sont les nôtres. Dans cette perspective, la décision que vous aviez prise de créer les Prix d’Enseignement et Liberté était particulièrement opportune. Elle a été mise en application. Je ne veux pas anticiper sur le rapport de M. CAZENEUVE, mais je crois pouvoir dire que la qualité de certains travaux, la variété des perspectives qu’ils éclairent montrent qu’il y a lieu d’encourager des recherches qui nous permettent de dépasser le niveau des événements éphémères. Il s’ensuit que nous jugeons qu’il sera peut-être bon de renouveler cette initiative, sans pouvoir prendre d’engagement strict à ce sujet. Certes, les ressources de notre association ne sont pas inépuisables, l’organisation du concours est une tâche matérielle lourde et complexe et enfin les travaux de qualité demandent du temps pour être réalisés. Il s’ensuit qu’on ne peut concevoir au maximum qu’un rythme biennal. C’est ce qui vous sera proposé tout à l’heure dans une résolution. Qu’il me soit permis pour l’instant d’adresser mes plus vifs remerciements aux membres du jury qui se sont joints aux administrateurs désignés et qui ont bénévolement mis au service de notre initiative leur prestige, leur compétence et leur temps. Je veux parler de M. Jean CAZENEUVE, du Recteur Yves DURAND et de Maître Jean-Marc VARAUT. Notre association leur doit beaucoup. Enfin, je dois vous rappeler que nous avons adhéré à l’OIDEL 1 qui regroupe sur le plan international des associations qui ont des buts comparables aux nôtres. Ceci nous a notamment permis de nouer des contacts avec certains pays de l’Est. Nous aurions également voulu aider matériellement (par l’envoi de livres) le plus malheureux de ces pays, celui qui était le plus atteint dans son âme, la Roumanie ; nous n’avons pas encore pu mettre à exécution notre dessein et d’ailleurs les récents développements politiques dans ce pays justifient pleinement notre prudence. Mais nous espérons bien réaliser un jour ce projet pour l’instant différé. S’il me faut conclure ce rapport sur une note optimiste, elle sera la suivante. En octobre, je me rendrai à Genève pour participer au colloque de l’OIDEL consacré à la liberté d’enseignement dans les pays de l’Est. Qu’on soit assuré que j’y vais beaucoup moins avec le dessein d’enseigner aux autres ce qu’ils doivent faire que pour recevoir leurs leçons. Ceux qui ont d’abord le droit de parler de liberté, ce sont ces peuples qui ont souffert de l’un des plus monstrueux systèmes d’oppression qu’ait conçu l’esprit d’hommes pervertis et qui ont su s’en libérer parce qu’ils étaient animés d’une force spirituelle. Dans ce monde plein de bruits et de fureur, dans cet univers forgé sur le mensonge, la seule lumière qui puisse nous guider, c’est celle qui vient de l’Est. Maurice BOUDOT.
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