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Lettre N°17 - DIRE LA VÉRITÉ
Nous remercions très vivement Monsieur Guy BAYET, Président de la Société des Agrégés, de nous avoir communiqué le texte de la conférence de presse qu’il a tenue à Rennes le 14 mars 1987. Ce texte a été publié dans le Bulletin de la Société des Agrégés d’avril-mai 1987 (p. 203). "La crise la plus grave que connaît l’enseignement en France est celle du recrutement des instituteurs et des professeurs. En 1986, notre pays connaît la situation la plus dramatique de son histoire récente, comparable à celle des années 1960. Et tout laisse craindre une aggravation de cette crise. 1. Le recrutement des instituteurs Pour la première fois en septembre 1986 tous les instituteurs devaient être recrutés par concours départemental parmi les titulaires d’un diplôme de premier cycle (BAC + 2) : DEUG (Diplôme d’Etudes universitaires générales délivré par les universités) ; D.U.T. (diplôme universitaire de technologie délivré par les I.U.T.) ; B.T.S. (Brevet de technicien supérieur délivré aux lycéens ayant subi avec succès l’examen à l’issue de deux années en section de techniciens supérieurs) ou tout diplôme jugé équivalent. En fait, la très grande majorité des candidats sont des étudiants littéraires qui le plus souvent ont échoué à des concours de recrutement de professeurs certifiés de lycée. Déjà spécialisés dans une discipline (langue vivante, histoire/géographie...) ils sont rarement bien préparés - malgré l’existence de cours organisés à leur intention dans certaines universités ou dans des écoles normales - à avoir les connaissances de base indispensables à tout futur instituteur en français et en calcul notamment. Les résultats des concours 1986 ont été les suivants : Pour 5.200 places offertes, moins de 4.500 ont été pourvues. Hommes : inscrits : 3.816 ; présents : 2.066 ; admissibles : 1.370 ; admis : 966 ; liste complémentaire : 94. Femmes : inscrites : 13.528 ; présentes : 7.579 ; admissibles : 4.768 ; admises : 2.801 ; liste complémentaire : 915. Le concours est beaucoup plus difficile pour les femmes que pour les hommes en raison de l’existence de concours séparés (hommes et femmes). Dans de nombreux départements, le taux d’absentéisme est très élevé, de l’ordre de 45 %. Le ministère a été obligé d’organiser de nouveaux concours dont il est clair que le niveau sera très faible et de procéder aussi, après sélection, à la titularisation d’instituteurs suppléants qui n’avaient pas auparavant réussi à un concours. Mais M. René Monory a pris une mesure que la Société des agrégés préconisait depuis des années. Par un décret paru au Journal Officiel des 2 et 3 février 1987, à partir de 1987 les concours de recrutement d’instituteurs seront mixtes mais ils continueront d’être organisés dans un cadre départemental. Les disparités de niveau de recrutement entre hommes et femmes disparaîtront, ce qui est une bonne chose ; en revanche, les disparités de département à département subsisteront. Ne pourrait-on pas au minimum envisager un recrutement dans le cadre académique ? Il est à souhaiter que la formation assurée pendant deux ans après le succès au concours soit davantage consacrée à l’acquisition des connaissances et des méthodes de transmission du savoir dans les disciplines qui constituent l’essentiel de l’enseignement élémentaire (français et calcul) et que des perspectives de carrière soient offertes aux instituteurs dans le cadre de l’enseignement élémentaire. En ce sens, le nouveau statut des maîtres directeurs est une bonne chose. 2. Le recrutement des professeurs du second degré (collèges et lycées) Contrairement à une idée reçue, la pénurie en maîtres compétents ne se limite pas aux mathématiques. Elle concerne toutes les disciplines techniques (en 1986, au CAPET, il y a eu 502 reçus pour 960 places offertes) et, de plus en plus, les disciplines littéraires : en lettres classiques, 539 places sont offertes aux CAPES en 1987 alors que seulement 381 licences de lettres classiques (diplôme nécessaire pour s’inscrire à ce concours) ont été délivrées par les universités en 1984 (dernières statistiques connues). Non seulement on ne recrute pas assez de professeurs certifiés (en physique-chimie : 283 reçus au CAPES pour 590 places offertes), mais trop souvent, le niveau des derniers reçus est d’une extrême faiblesse, pour ne pas dire d’une nullité évidente. Et là encore, le phénomène n’est pas limité aux disciplines scientifiques : en histoire-géographie, au CAPES, en 1986, la moyenne des derniers est de 6,5 sur 20 ; elle était de plus de 10 sur 20 en 1980. En mathématiques, depuis deux ans, le ministère ne publie plus le rapport des jurys de CAPES afin de cacher le niveau très bas du concours. Dans cette discipline le jury a pris pour habitude de recevoir autant de candidats que de places offertes. En 1986, 840 admis. Je suis en mesure de révéler que la moyenne des notes des derniers admis est de 3,5 sur 20 en 1986. Je demande à M. René Monory de ne pas cacher la vérité aux parents d’élèves. Et je signale que le ministère est obligé, dans de nombreuses disciplines, de recruter de nombreux maîtres auxiliaires parfaitement incompétents. De très nombreux chefs d’établissement pourraient témoigner sur ce sujet. Il ne faut pas s’étonner de la dégradation accélérée du niveau des études au collège, au lycée et demain dans les classes supérieures de lycée (classes préparatoires aux grandes écoles, sections de techniciens supérieurs) car la qualité et le niveau de l’enseignement passent d’abord par la compétence scientifique et pédagogique des professeurs. Et même, pour l’agrégation, j’exprime des inquiétudes dans la mesure où beaucoup de bons candidats potentiels ne la présentent pas toujours (ex : élèves de l’ENS Ulm/Sèvres), et où beaucoup d’agrégés auxquels on refuse systématiquement des responsabilités en rapport avec leur compétence (notamment pour les têtes de liste car l’écart peut être très grand : ainsi à l’agrégation de mathématiques 1986, le premier a 19 de moyenne et le 180e et dernier 7,42) vont faire carrière en dehors des lycées et de l’université. Je reçois des témoignages de plus en plus nombreux. Si le ministère veut recruter des professeurs agrégés et certifiés compétents, il doit :
La crise est très grave et le ministère est dans l’incapacité de la maîtriser. Les horaires d’enseignement sont beaucoup trop lourds dans les lycées (2e, 1re et terminale) et dans les classes supérieures (classes préparatoires aux grandes écoles et sections de techniciens supérieurs). La carte scolaire est anarchique. Des collèges et des lycées n’ont pas la taille minimale nécessaire pour assurer un bon enseignement à des coûts non prohibitifs. Des pressions politiques locales - surtout avec la décentralisation - aboutissent à des doubles emplois ou à des créations non justifiées. L’ÉDUCATION NATIONALE EST MENACÉE D’ASPHYXIE Je demande une "véritable mobilisation générale pour l’enseignement", mais cet ordre ne peut être suivi que si préalablement le gouvernement, les ministères concernés, les collectivités territoriales prennent conscience de la situation et décident en commun une rationalisation de la carte scolaire et universitaire. Il faut aussi une meilleure utilisation des compétences. Il est absurde de se priver des services de professeurs retraités auxquels il est interdit de donner le moindre enseignement dans les établissements publics ou privés sous contrat (alors qu’ils le peuvent dans l’enseignement privé hors contrat). Il est injuste que les chercheurs du C.N.R.S., après une période de 4 à 6 ans consacrés à leur thèse, ne soient pas tenus à un léger service dans les universités. On pourrait multiplier les exemples. Ma conclusion paraîtra peut-être pessimiste, mais je la crois réaliste. La France est mal partie avec des slogans démagogiques de 80 % de bacheliers en l’an 2000, d’examen-guillotine (pour le brevet 1986 avec 50 °/o de reçus), de passage automatique de l’école au collège, d’un accès libre de n’importe quel bachelier dans la discipline de son choix dans une université. On s’apprête à brader le brevet et le bac 1987, et la fuite en avant vers des formations BAC + 2 n’est que la conséquence de la dévalorisation du BAC. On berce la jeunesse d’illusions. Il faut lui dire la vérité. Refuser l’effort, la compétition et la sélection à l’école, c’est inévitablement la refuser dans la vie. Or l’avenir du pays dépend de sa capacité à s’adapter à l’ouverture sur le monde." Guy BAYET Tweet |