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Lettre N°18 - LA FEN, SYSTEME ET ESPRIT DE SYSTEME
La Fédération de l’éducation nationale (FEN) n’est pas seulement une force syndicale. C’est aussi une puissance économique et une matrice idéologique. Le système est complet. Ainsi s’explique son influence politique. * L’empire de la FEN est un véritable système. C’est-à-dire, pour reprendre la définition du dictionnaire Robert, un "ensemble structuré d’éléments naturels de même espèce ou de même fonction". Force syndicale, force économique et force politique, l’empire de la FEN est tout cela à la fois. La partie la plus apparente de cet empire, c’est la FEN elle-même, en tant qu’organisation syndicale. UNE FORCE SYNDICALE Avec quelque 450 000 adhérents déclarés, la FEN peut aisément être comparée aux autres confédérations de salariés. Par ses effectifs, elle se situe même en quatrième position, après la CGT, la CGT-FO et la CFDT. Dans la Fonction publique, la FEN se situe en première place des organisations syndicales dans les secteurs de l’enseignement et de la formation. Son audience, quoique subissant une certaine érosion, ainsi que la récente concurrence de Force ouvrière, reste encore très forte. Le taux de syndicalisation est, dans l’Éducation nationale, un des plus élevés de tous les secteurs d’activité de notre pays. Reconnue représentative depuis 1954, la FEN est présente, à travers ses 49 syndicats, dans tous les milieux de l’enseignement et dans toutes les catégories de personnel. Contrairement à une idée répandue, la FEN n’est pas une fédération regroupant seulement des enseignants. Environ le tiers de ses membres remplissent des fonctions d’administration, de gestion, de service, etc. Cette force numérique et cette audience permettent à l’organisation de se poser en interlocuteur redoutable des responsables de l’Éducation nationale. Ces derniers étant, en fait, souvent empêtrés dans le gigantisme des structures, l’organisation syndicale exerce plus le pouvoir véritable qu’elle ne joue un rôle équilibrant de contre-pouvoir. Nombre de décisions - à commencer par celles concernant les changements d’affectation des professeurs - sont étroitement contrôlées par la FEN. Les commissions paritaires créées à la Libération lui ont progressivement donné cette possibilité. Ainsi, les postes de direction de l’Éducation nationale, au niveau académique mais aussi au niveau national, ont été mis, par ses soins, "sous influence". Dans le livre "Tant qu’il y aura des profs" (Le Seuil, 1984), Hervé HAMON et Patrick ROTMAN rappellent une légende - étayée de diverses sources - selon laquelle l’état-major de la FEN était informé heure par heure des rendez-vous et déplacements de Christian BEULLAC, lorsque celui-ci était ministre de l’Éducation. Dans un entretien accordé aux deux mêmes auteurs, Jean-Claude BARBARRANT, secrétaire général des instituteurs, avoue crûment : "Il est évident que nous avons les moyens d’avoir la peau d’un ministre"(page 228). Propos repris à la télévision quelque temps après, en des termes proches, par le secrétaire général de la FEN. Ce comportement quasi-hégémonique est porteur de corporatisme et, plus encore, de blocages de notre système éducatif et de menace pour la liberté d’enseignement. "Jamais, écrit Jacques POMMATAU, secrétaire général, la FEN n’acceptera que soit accordée une autonomie aux établissements, particulièrement en matière de projet éducatif, aussi longtemps que subsisteront des établissements de statut privé, et conservant leur "caractère propre" (lettre publiée par "La Croix", 6 janvier 1984). Ainsi, la force syndicale de la FEN se nourrit-elle d’un profond esprit corporatiste, auquel elle donne une orientation militante. Cette force syndicale n’est cependant pas née du hasard. Et elle ne se maintient pas par extraordinaire, au moment où l’ensemble des autres organisations syndicales connaissent une chute rapide et forte de leurs effectifs et de leur audience. UNE PUISSANCE ÉCONOMIQUE L’appareil syndical est soutenu par une formidable infrastructure économique qui a su, elle aussi, conserver sa fougue militante. La FEN se trouve l’élément moteur d’un vaste réseau de coopératives, mutuelles, banques, associations, etc. qui contribue en retour à lui assurer la fidélité de ses membres et sympathisants, pour lesquels il est devenu l’environnement naturel. En effet, le million de membres de l’Éducation nationale et leurs familles (soit, au total, plusieurs millions de personnes) peuvent trouver dans ce qu’il est convenu d’appeler "l’empire" de la FEN réponse à quantité de leurs besoins : banques, assurances, santé, loisirs, logement, vente par correspondance, etc. Pour ce faire, la FEN et ses syndicats (notamment celui des instituteurs) ont aidé à la création puis ont contrôlé et géré depuis parfois plus d’un siècle quelque 64 organisations dont le champ d’activité est, au total, très vaste. Les plus importantes de ces organisations sont :
Citons également la Mission laïque française, dont les démêlés avec la Cour des comptes ont naguère fait la "une" des journaux, ou la Ligne française de l’enseignement, créée en 1866 et qui regroupe 1 million d’adhérents encadrés par 2 000 permanents et 100 000 bénévoles. Ces organisations atteignent ensemble une dimension financière impressionnante. Mais, plus que leur taille, c’est leur complémentarité qui assure la solidité de l’édifice. Celui-ci se trouve piloté par un discret mais influent "Comité de coordination des œuvres mutualistes et coopératives de l’Éducation nationale", le CCOMCEN (prononcer "c’est-comme-scène"). Officiellement constitué sous la forme d’un groupement d’intérêt économique, le CCOMCEN constitue en fait l’outil de contrôle de la FEN sur son "empire" économique. Les 64 associations et organismes contrôlés par la FEN concourent à faire du "monde enseignant" une sorte de monde clos, de société fermée, qui peut trouver en son sein réponse à tous ses besoins, même les plus insignifiants. Tout autant que les avantages matériels présentés par ces organismes (réductions, prix préférentiels, etc.), c’est bien le poids, la force de persuasion du système qui pousse un enseignant à faire appel à lui plutôt qu’à des organismes extérieurs. UNE MATRICE IDÉOLOGIQUE Mais ce monde clos n’est pas un monde sans projet. Cet empire économique est aussi, pour la FEN, un outil militant, ayant pour vocation de façonner un véritable modèle social, une certaine conception de la société et d’œuvrer pour sa réalisation. Il n’est pas, à la différence d’autres pays, la traduction concrète d’un "syndicalisme de services", dont le but se limiterait à "concurrencer le capitalisme sur son propre terrain, sans être pour cela inspiré par l’esprit de profit". Le projet commun à cet appareil syndical et à cet appareil économique est la défense de la laïcité, principe inscrit à l’article premier des statuts de la FEN. Cette dernière est donc aussi - et peut-être d’abord - une matrice idéologique. L’idée est ancienne. Elle remonte aux débuts de la Troisième République. En affirmant "qu’œuvre sociale et œuvre scolaire sont les deux parties complémentaires d’un même effort de libération et de progrès", les maîtres de l’enseignement laïque qui venait d’être instauré en France entendaient mettre sur pied un ensemble de structures laïques capables de rivaliser avec les puissantes structures religieuses d’alors. Ils mettaient ces principes en pratique tant dans leur enseignement qu’en créant, pour eux et pour leurs élèves (touchant aussi par là les familles), les mutuelles, coopératives et associations diverses que nous connaissons actuellement. Aujourd’hui encore, ce projet n’a rien perdu de sa vigueur. Au dernier congrès de la FEN, en février 1985, Michel BOUCHAREISSAS, secrétaire général du Comité national d’action laïque s’adressait ainsi aux délégués que la manifestation du 24 juin 1984 aurait pu ébranler dans leurs convictions : "Vous savez, de bien des manières, ce combat ne fait encore que commencer. Il n’existe pas quelque vertige de l’Histoire qui devrait, sur le fond des choses, nous conduire à une révision déchirante". Et il concluait : "Il est inscrit dans l’Histoire que viendront nous rejoindre un jour ceux qui, pour l’heure, sont encore à l’écart de la grande route laïque". Dans son rapport d’activité à ce même congrès, Jacques POMMATAU, secrétaire général de la FEN, rappelait clairement la nature de ce combat et, par là, la signification de la notion de laïcité. Il s’agit du combat de la philosophie rationaliste contre la religion. "C’est, disait-il, le combat entre la vérité toujours à construire et la vérité possédée ou révélée". Autrement dit : la priorité donnée au devenir et non à l’être, le primat de la praxis et non celui du logos. L’empire de la FEN, véritable maçonnerie extérieure, est tout entier nourri de cette vision rationaliste de la laïcité. La conquête des institutions, tant politiques (Assemblée nationale, Sénat) qu’administratives (ministères) ou sociales (la FEN a démultiplié sa présence dans quantité d’organismes de représentation du monde social) a effectué depuis quelques années de nombreux progrès. L’influence politique de la FEN et de son "empire" sur notre société et sur nos institutions s’explique ainsi par la cohérence du système et par son réel... esprit de système. Bernard VIVIER Tweet |