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Lettre N°12 - UNE VICTOIRE A EXPLOITER
Parmi les défenseurs de la liberté de l’enseignement, nul ne songe à dire que le 16 mars nous sommes passés des ténèbres, à la lumière. Ce n’est pas la crainte du ridicule, désormais attaché à l’usage de cette formule, qui nous arrête, ni le dédain pour des résultats électoraux tellement prévisibles que certains ont fini par les juger décevants, ni une méfiance injustifiée à l’égard du gouvernement actuel, mais simplement une appréciation lucide de la situation. A l’Assemblée Nationale siège une nette majorité de parlementaires qui se sont prononcés sans équivoque en faveur de la liberté de l’enseignement. Vraisemblablement, le souvenir du 24 juin 1984 aura joué un rôle important dans les choix électoraux des Français. ENSEIGNEMENT ET LIBERTE est en droit de s’en réjouir, puisque sans nous laisser intimider par les admonestations de certains, qui n’ont pour fonder leur autorité que l’officialité de leur fonction, nous avons clairement affirmé que la liberté de l’enseignement était bien un enjeu électoral. Cette victoire électorale, nous y avons contribué ; elle est un peu la nôtre. C’est dire que nous ne saurions la mépriser. Sans nouveau changement politique majeur, il n’y aura pas de nouvelles attaques contre la liberté de l’enseignement. Bien plus, tant dans le texte qui lui sert de référence (la plate-forme commune du gouvernement) que dans la déclaration de politique générale du Premier Ministre, le gouvernement a proclamé sa volonté de réparer les attaques qu’a subies cette liberté, de l’étendre et d’en confirmer solennellement les principes. En face de cette situation nouvelle, je serais porté à parler d’une victoire emportée par tous les Français attachés à la liberté de l’enseignement, si je ne savais qu’il n’est pas de situation plus désastreuse pour le vainqueur que celle qui consiste à ne pas savoir, à ne pas vouloir ou à ne pas pouvoir exploiter sa victoire. Or j’ai quelques raisons de craindre que, par maladresse ou par défaillance de la volonté politique, cette victoire soit pour le moins insuffisamment exploitée. ·Ne sous-estimons pas les obstacles que rencontrera inévitablement toute action cohérente dans le domaine qui nous préoccupe. Il y a d’abord ceux qui résultent de ce qu’il est convenu d’appeler la "cohabitation". Par exemple, nul n’attend de M. MITTERAND qu’il soumette au Congrès un projet de révision de la constitution dont le but serait d’y inscrire le libre choix de l’école ! Mais il y a aussi - ce qui est moins visible - toutes les limites et tous les retards apportés dans les changements pourtant indispensables des hauts fonctionnaires qui régissent l’Education Nationale. De plus, ce gouvernement sait que son temps est compté : deux ans au maximum, sans qu’on puisse affirmer que ce délai sera atteint. En matière d’éducation, deux ans c’est insuffisant pour qu’on puisse réellement apprécier l’effet de certaines réformes. Enfin, personne n’ignore qu’il y a d’autres questions d’autant plus urgentes que l’opportunité des solutions qui leur seront apportées jouera un rôle fondamental dans les prochains débats électoraux. Ainsi, on comprend aisément que le gouvernement tienne pour prioritaire le problème du chômage. Ajoutons à ces facteurs qui relèvent de la situation politique générale, l’entrave réelle apportée par l’étrange attitude de certains représentants qualifiés de l’enseignement privé. Après s’être voilé la face devant la dimension politique du problème, ces bons pacifistes, sous prétexte de ne pas rallumer une guerre scolaire mal éteinte, se font les plus ardents défenseurs du traité inégal conclu à leurs dépens. Ils ne veulent que la loi, toute la loi et rien que la loi ; la loi JOXE-CHEVENEMENT, naturellement. La loi appliquée "dans sa lettre et dans son esprit", ajoutent-ils souvent. Et par "esprit", il faut entendre la loi appliquée de façon bienveillante. Ils semblent oublier que la loi qu’ils acceptent aujourd’hui est, de l’aveu même de son principal auteur, identique quant au fond à la loi SAVARY contre laquelle ils avaient été contraints de nous mobiliser hier. Ils feignent aussi d’ignorer qu’on ne saurait tenir pour bonne une loi qui garantit insuffisamment les libertés des citoyens dans le cas où le Gouvernement serait très malveillant ! Manifestement, de tels partenaires, tellement soucieux de solliciter les crédits dont ils ont effectivement besoin qu’ils finissent par en oublier d’affirmer leurs principes, ne sont guère de nature à aiguillonner un Gouvernement embarrassé. ·Toutes ces données négatives peuvent expliquer, sans les excuser, des retards excessifs et une certaine timidité dans l’action gouvernementale. Elles sont heureusement contrebalancées par des facteurs positifs qui rendent possibles des réformes décisives. Je n’évoquerai pas le mythique état de grâce. Mais je constate que l’état de l’opinion publique est très favorable aux mesures que nous souhaitons. Le fait est que les Français ont pris conscience de l’échec du système scolaire préconisé par les Socialistes et partiellement mis en place sous les gouvernements d’avant 1981 à la demande de la F.E.N. Le long débat relatif à l’école libre a fortement contribué à cette prise de conscience. Aujourd’hui, sur les problèmes scolaires et universitaires, leur siège est fait. Un sondage publié dans LE MATIN (23 avril 1986) constate que parmi les mesures énoncées par Jacques CHIRAC, la plus populaire (à égalité avec la création d’une allocation parentale d’éducation pour les familles de trois enfants) c’est "la suppression de la carte scolaire, c’est à dire d’avoir (sic) désormais le libre choix géographique de l’école". Elle suscite le consensus : 86 % d’opinions favorables contre 8 % d’hostiles. D’ailleurs, on conçoit mal que l’opinion tienne à une disposition qu’on a pu caractériser comme l’instauration d’une carte de rationnement en matière scolaire. Il n’y a que la socialisante Fédération des Conseils de Parents d’Elèves (ex-Cornec, ex-Andrieu) pour pousser par dogmatisme l’audace jusqu’à préconiser le maintien de la carte scolaire, au moment même où on apprend qu’elle a perdu en 10 ans le quart de ses effectifs ! Les parents sont indifférents aux arguments de gauche selon lesquels on risque de créer ainsi des inégalités entre écoles. Ils ne souhaitent pas une égalité toute abstraite ; ils veulent simplement pouvoir choisir pour leurs enfants l’école qu’ils estiment être la meilleure. Ceux qui s’acharnent à ne pas le comprendre dépenseront en vain leur salive et leur encre. Il faut également prendre en compte la considérable perte d’influence des syndicats de la F.E.N. et des mouvements proches d’elle. Ce phénomène indéniable qui ne se mesure pas exclusivement à la baisse des suffrages dans les élections professionnelles, tant sont tenaces les habitudes de vote, est facilement compréhensible. Les enseignants qui militaient dans les syndicats de gauche depuis longtemps ont été déçus par cinq années de pouvoir socialiste. Tous ceux qui tenaient au laïcisme triomphant ont connu l’amertume de voir le gouvernement socialiste submergé par une vague qu’ils n’avaient pas prévue, contraint de dissimuler ses desseins et de ne les réaliser qu’imparfaitement. Ceux qui croyaient voir leur situation matérielle améliorée n’ont rien obtenu. Les plus candides qui estimaient le socialisme seul capable de régénérer les institutions scolaires ont vu les rivalités entre corps s’accroître, le désordre dans la gestion s’aggraver, l’inefficacité du système devenir chaque jour plus manifeste. Certes, M. CHEVENEMENT est venu panser les plaies de leur découragement par quelques paroles creuses. Mais le caractère illusoire du remède ne pouvait longtemps abuser. De cette déception aussi générale qu’elle est rarement avouée résulte que les syndicats de gauche sont actuellement incapables de mobiliser efficacement leurs troupes. Ils pourront se livrer à quelques gesticulations, complaisamment amplifiées par les médias qui leur sont favorables. Ils ne constituent plus dans l’immédiat cette force politique redoutable qu’ils furent dans le passé. En revanche, tous les membres de l’Education Nationale favorables aux principes d’une politique scolaire libérale sortent mûris, et comme aguerris, de cinq années d’opposition. Ils ont acquis l’habitude de prendre leurs responsabilités, habitude dont ils ne se dessaisiront pas. Ils ont affiné leurs réflexions, contribuant dans des groupes divers, souvent sans liaison organique, mais dont la convergence est remarquable, à l’élaboration de projets de réforme précis. C’est dire qu’un gouvernement résolu disposera, à l’intérieur même du corps enseignant, de forces appréciables, prêtes à l’appuyer sous réserve qu’on ne leur demande ni de mettre une sourdine à leurs exigences, ni de renoncer à leur indispensable indépendance de jugement et d’action. Malgré les obstacles qu’on ne pouvait taire, l’occurrence me semble donc particulièrement favorable à la mise en œuvre d’une nouvelle politique éducatrice. Je confirmerai ce diagnostic par l’évocation d’un fait. M. MONORY vient d’annoncer trois mesures qui sont toutes bénéfiques : l’abrogation de la sectorisation (qui sera effective en 1987, puisqu’il est trop tard pour qu’elle le soit en 1986), l’arrêt du recrutement des P.E.G.C. auxquels seront substitués des professeurs certifiés, l’abrogation de la réforme des lycées prévue par M. CHEVENEMENT. Chacune de ces mesures aurait suscité un tollé en d’autres temps. Les syndicats de la F.E.N. se sont pour l’instant contentés de protestations de pure forme. Il suffisait donc de vouloir pour réussir. ·J’irai plus loin : la conjoncture actuelle constitue une occasion très favorable qu’il ne faut pas laisser passer sans agir, car on n’est pas certain de la retrouver demain. A la longue, les syndicats de la F.E.N. finiront bien par sortir de leur relative léthargie. Supposons que la politique libérale rencontre des difficultés dans certains domaines, par exemple en économie. Alors, les Français se détourneront des principes philosophiques qui la fondent (la valeur du mérite, de la concurrence, de la liberté de choix, etc...). Du coup leur opinion au sujet des problèmes scolaires risque de s’en ressentir : les solutions étatistes retrouveront un certain crédit, le libre choix de l’école perdra de son prestige. Le souvenir des manifestations de 1984 finira lui aussi par s’estomper. Bref, pour ce qui tient à l’état de l’opinion publique, il serait imprudent d’espérer dans l’avenir une conjoncture aussi favorable que celle que l’on connaît aujourd’hui. C’est pourquoi il ne faut pas différer la mise en œuvre du programme gouvernemental. L’urgence d’une action est particulièrement manifeste dans deux domaines. L’enseignement supérieur est théoriquement régi par la loi SAVARY de 1984, inappliquée dans la moitié des Universités puisque les universitaires eux-mêmes ont utilisé toutes les ruses pour différer sa mise en œuvre. L’abrogation de cette loi a été solennellement promise. Mais on ne peut vivre indéfiniment dans le vide juridique ou dans le désordre institutionnel, avec des conseils-croupions qui se dépeuplent à chaque départ à la retraite et des "administrateurs provisoires" nommés à la place des responsables élus. L’adoption d’une nouvelle loi ne saurait être plus longtemps différée. Compte tenu des délais qu’exigera la mise en place des diverses instances qu’elle prévoira nécessairement, on courrait le risque de passer toute la prochaine année universitaire dans le provisoire si elle n’était pas adoptée avant les vacances. Il y a d’autant moins lieu de tergiverser qu’existe un texte parfaitement satisfaisant en ce qu’il accorde aux Universités les moyens de leur autonomie. Déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale par Jean FOYER, il a été contresigné par les deux Présidents du groupe parlementaire, tous les anciens premiers ministres, anciens ministres de l’Education Nationale ou universitaires qui siègent sur les bancs de la majorité. Pourquoi ne pas le soumettre au vote du Parlement ? La triste situation de l’enseignement privé exigeait des mesures urgentes. Certaines ont déjà été prises. On doit féliciter le nouveau Ministre de l’Education Nationale d’avoir obtenu l’inscription au collectif budgétaire d’un crédit important (100 millions de Francs) pour l’augmentation des forfaits d’externat. Mais des mesures de ce type ne sauraient suffire. Pourquoi M. MONORY se sentirait-il obligé d’appliquer les textes que lui a légué son prédécesseur en essayant de leur ôter leur venin ? Aurait-il l’imprudence de le faire et soyons assurés que M. CHEVENEMENT saura faire en sorte pour que le mérite en retombe tout entier sur les vertus apaisantes de sa propre loi et non sur l’esprit d’équité de son successeur. Il faut donc changer rapidement un certain nombre de textes. D’abord le décret relatif à la nomination des maîtres ; puisqu’il s’agit d’un simple décret, il n’y a pas lieu d’invoquer l’encombrement du calendrier parlementaire. Ensuite l’article 119 de la Loi de Finance dont le second alinéa au moins peut être abrogé sans créer de lacune juridique, puisqu’il n’a pour fonction que de rappeler le principe des crédits limitatifs ; il s’agit donc d’un changement législatif facile à réaliser. Enfin, il faudra supprimer des textes inscrits dans la loi de décentralisation tout ce qui constitue des entraves au développement et au fonctionnement régulier de l’enseignement privé. En tout état de cause ce serait créer un dangereux précédent que de faire une rentrée scolaire sans que soit modifié aucun des textes que nous ont laissés les gouvernements socialistes. ·Un corps électoral se laisse difficilement dépouiller des libertés auxquelles il a déjà goûté. Il sera donc extrêmement difficile de revenir sur les changements qui auront été effectués et qui tous consistent à étendre les libertés ou à mieux les garantir. Raison de plus d’aller vite. J’ai simplement voulu indiquer quels changements me semblaient les plus nécessaires ou les plus faciles à réaliser, bref tracer les voies d’une exploitation cohérente de la victoire. Ce point de vue, nous avons pu l’exprimer aux nouveaux responsables de la politique de l’éducation. Un mois après la formation du Gouvernement, nous avions déjà été longuement reçus, M. AUBERT et moi-même, par M. MONORY, Mme. ALLIOT-MARIE et M. le Recteur DURAND, Conseiller du Premier Ministre. Notre Association n’est donc pas restée inactive depuis le 16 mars. Elle ne le sera pas plus dans les mois qui viennent. Maurice BOUDOT.
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