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Lettre N° 67 - 1er trimestre 2000
DE JACK LANG A CLAUDE ALLEGRE ET RETOUR ! DE JACK LANG A CLAUDE ALLEGRE ET RETOUR ! Rien de nouveau sous le soleil socialiste ! Nommé ministre de l’Éducation nationale après Claude Allègre, Jack Lang avait déjà occupé ce ministère pendant un an du 2 avril 1992 au 29 mars 1993. Gardant parallèlement la Culture (où il s’était illustré avec les " grands travaux " mitterrandiens), il avait succédé alors à l’Éducation à Lionel Jospin, qui avait déjà à ses côtés comme conseiller spécial chargé du supérieur, Claude Allègre. Le successeur de Jospin-Allègre C’est d’ailleurs sur un projet de réforme du supérieur, contesté par les étudiants, que le ministère Jospin était tombé. Dès le 23 avril, Jack Lang suspendait cette réforme, puis la modifiait légèrement et la faisait adopter sans problème, montrant ses aptitudes pour la diplomatie politicienne et le consensus mou. En janvier 1993, il réussissait un nouveau " coup " : il signait un accord qualifié d’" historique ", avec l’Enseignement catholique sur la formation des maîtres du privé, les alignant sur ceux du public, mettant ainsi fin à un contentieux qui durait depuis le début de la " guerre " public-privé de 1981-84. Ce fut le fameux accord Lang-Cloupet dont nous avons dit en son temps le danger pour l’ enseignement catholique. Entre-temps, Jack Lang avait dès avril 92 remanié une autre réforme Jospin, elle aussi contestée, celle des lycées. Il avait rétabli le système d’options et tenté de mettre à " égalité de dignité " voies scientifiques et littéraires. La réforme cependant a fait long feu, son successeur François Bayrou, en adoptant une autre, elle-même remaniée ensuite par Claude Allègre. Jack Lang a également pris des mesures anticipant celles du tandem Allègre-Royal : relance des ZEP " seconde génération ", développement des langues en primaire, introduction du suivi individualisé en collèges, lancement de l’idée d’internats nouveau modèle pour les enfants en difficulté de vie, lancement d’une " journée nationale des parents ", plan de modernisation de l’administration ministérielle avec début de " déconcentration ", introduction d’appelés dans les écoles préfigurant les " emplois-jeunes ". En revanche, il avait signé un accord sur la formation continue des enseignants, " une exigence et un droit ", un peu mis à mal ces dernières années faute de moyens de remplacement. En mars 1993, enfin, à quelques jours de la chute du gouvernement socialiste, il avait prévu une relance des enseignements artistiques qui n’a pu être mise en œuvre. Le successeur d’Allègre De Lang à Lang - comme de Jospin-Allègre à Allègre -, l’histoire socialiste se répète donc dans un cycle particulièrement vicieux. On peut reprendre ici ce que nous écrivions après son arrivée à la rue de Grenelle à la suite de Jospin (Lettre n° 36) : " Il n’y avait pas besoin d’être grand clerc pour prévoir que M. Lang ne voudrait pas écorner sa popularité par des réformes aussi malencontreuses et mal accueillies que celles décidées par son prédécesseur. A peine nommé à la tête de l’Éducation nationale, il annonce qu’il diffère la réforme des premiers cycles universitaires dont la seule annonce avait jeté les étudiants dans les rues et qu’il gomme les aspects les plus choquants de la " rénovation " des lycées. " Est-ce à dire que le nouveau ministre va s’engager dans une voie différente de celle choisie par son prédécesseur, qu’il fondera son action sur d’autres principes, comme l’avait fait, en apparence au moins , M. Chevènement qui s’était attiré à bon compte une popularité auprès des maîtres après l’intermède Savary-Legrand en rappelant que l’école a pour fonction de transmettre savoir et apprentissage ? Probablement non. M. Lang n’en a pas le temps, ni les moyens, et rien ne prouve qu’il en ait la volonté. " Le système mis en place au fil des années a son inertie. Comme une machine emballée, il ne peut s’arrêter. Il faudrait un extraordinaire courage politique et probablement une conjoncture autre que celle que nous connaissons pour changer notablement sa trajectoire. N’attendons rien de semblable dans l’immédiat. Tout au plus peut-on espérer qu’on différera ou atténuera les modifications institutionnelles les plus choquantes, œuvres de M. Jospin. " Les données sont aujourd’hui les mêmes : il suffit de remplacer le nom de son prédécesseur : Allègre au lieu de Jospin-Allègre. A deux ans de l’élection présidentielle, Lang ne jouera pas plus au " kamikaze " qu’il ne l’a fait entre avril 1992 et mars 1993. Sa mission est simplement de veiller à " garder " l’électorat enseignant, traditionnellement à gauche, mais dont les derniers manifestants brûlaient leur carte d’électeur en promettant à Jospin de ne pas voter pour lui s’il continuait à vouloir passer en force. Allègre et le Mammouth Allègre restera quant à lui comme un ministre atypique, quelque peu mythomane, avec certaines lueurs de lucidité et de courage dans un délire idéologique de réformes spectaculairement funestes. Si tous les ministres de l’Éducation, ou presque, depuis 68, ont connu manifestations de rue et mouvements d’enseignants ou d’étudiants, peu ont vécu ce point de non-retour où toute tentative pour relancer le dialogue était vouée à l’échec. Dans sa dernière prise de parole publique au Sénat, il a encore lancé cet avertissement : " Au-delà de la personnalité du ministre, c’est la modernisation du pays qui est en jeu... Beaucoup de réformes ont été enterrées dans l’Éducation nationale, toujours par la même méthode. " Lorsqu’il a succédé à François Bayrou, ministre très politicien, attaché au consensus mou, soupçonné même de " co-gérer " l’Éducation nationale avec le SNES (principal syndicat d’enseignants très à gauche), Claude Allègre s’est mis rapidement à dos tout ce grand monde corporatiste, parlant d’abord de " dégraisser le mammouth Éducation nationale, trop souvent traité d’Armée rouge ". Puis, il visera directement les syndicats dont il taxera les membres de " révolutionnaires du statu quo ", lançant notamment : " La cogestion avec le SNES, c’est fini ! ". Sans parler de ses sorties sur l’absentéisme des enseignants, sur l’intégrisme de la moitié des maîtres auxiliaires enseignant l’arabe, sur le " fatras " des programmes, etc. Autant de " petites phrases " plus ou moins sympathiques, mais qui en resteront au niveau des mots, la machine continuant de s’emballer et de s’engraisser dans une surenchère de réformes multiples et variées (du primaire, du collège, du lycée, de l’enseignement professionnel, de la carte scolaire...), réformes toutes désastreuses parce que demeurant avant tout dans la logique d’un étatisme incompétent et inconséquent. Un constat réaliste Il est intéressant à cet égard de constater combien ce totalitarisme touche jusqu’à l’enseignement libre à travers la réaction d’un directeur d’école sous-contrat à l’occasion d’une " information aux familles " pour la grève générale du 16 mars dernier : " La prochaine réforme des lycées, qui vient après tant d’autres, a mis le comble à l’exaspération. Non seulement elle se fait dans l’improvisation (programmes, horaires, moyens, nouvelles disciplines, délais toujours dans le flou, alors que les prévisions de rentrée sont demandées pour le 22 mars !), mais les généreux objectifs avoués (égalité des chances, parité garçons-filles dans les études scientifiques, adaptation de l’enseignement à l’entreprise, etc...) cachent en réalité une profonde misère... " Le fond du problème, auquel il n’est répondu que par des replâtrages, est que le Ministère est débordé par l’inflation des dépenses et la baisse de niveau liées aux conditions d’enseignement dans les secteurs difficiles, sans compter l’effet pernicieux de certaines théories éducatives. Les solutions imposées vont dans le sens de l’égalisation des exigences par le bas, afin que tous les élèves, sans distinction, réussissent au moins un " petit quelque chose " dont on dira qu’il correspond à un niveau " très suffisant ". C’est ainsi que l’on a bonne conscience. " Dans toutes les disciplines, à tous les degrés, poursuit ce directeur, le problème est le même : suppression du travail à la maison en primaire et utilisation de la méthode globale, passage automatique en classes supérieures, classes de latin et de grec qui ne doivent plus s’intéresser qu’au " culturel " sans apprentissage de fond de la langue, aide individualisée au détriment de l’horaire global, géométrie vectorielle supprimée en seconde, suppression de la dissertation exercice trop élitiste, etc. Et de conclure : " L’hétérogénéité des classes sans seuil de limites maximum ou le mélange des niveaux sans contrôle des effectifs ne peut qu’accentuer problèmes et malaises. C’est toujours ainsi que les choses se passent quand on s’interroge sur les conséquences sans le faire sur les causes. " La malédiction du Mammouth Si toutes les réformes, depuis des années, ont été enterrées ou ont tourné en eau de boudin, c’est bien aussi pour cette raison essentielle et non pas seulement à cause de la " méthode " dénoncée (ci-dessus) par Allègre. Loin de s’attaquer aux racines profondes du mal, on s’en est toujours pris à ses effets, dans une " logique de prothèse ", sans doute bien intentionnée, mais incapable d’assouplir les membres sclérosés du Mammouth. Que reste-t-il du long passage de François Bayrou à l’Éducation nationale ? Que reste-t-il et que restera-t-il des réformes Allègre eu égard aux ambitions utopiques affichées au départ avec l’aide du fameux rapport Meirieu (Lettre n° 63) ? Que reste-t-il déjà du projet de rénovation du collège présenté l’an dernier par Ségolène Royal (alors ministre délégué à l’enseignement scolaire), qui visait notamment à " prendre en compte la diversité des élèves, aiguiser l’appétit d’apprendre et améliorer la qualité de la vie à l’intérieur des établissements " ? Cela fait tristement sourire dans le contexte barbare qui règne actuellement dans tant d’écoles, surtout lorsqu’on entend " la " ministre expliquer gravement ce point rousseauiste de " sa " réforme qu’elle jugeait sans doute capitale : « Je souhaite que tous les mots qui peuvent marquer un élève - passable, médiocre, etc. - disparaissent des bulletins trimestriels au profit de commentaires constructifs, qui mettent l’accent sur les défauts mais aussi la qualité et les compétences de chaque élève. » Peu importe au demeurant le contenu de ces réformes au départ comme à l’arrivée. Car derrière le concept de lycée light par exemple (allégement des programmes, réduction d’horaires, suivi individualisé...) demeure intrinsèquement la lourdeur graisseuse du Mammouth qui rend dérisoire toute velléité de changement (en son sein). Et fait même que le monstre s’enlise toujours davantage dans les sables mouvants des réformes ministérielles crachant de plus en plus d’illettrés, de délinquants et de chômeurs, bref de " mal-appris " selon le mot de Bayrou. C’est la logique infernale qui, de plan Chevènement en plan Jospin-Allègre et de plan Bayrou en plan Allègre (pour ne parler que des derniers), nous conduit à l’échec scolaire toujours plus cuisant de la " Déséducation nationale ", chantier permanent de Pénélope, dont on mesure depuis des lustres les vertus d’autodestruction ! Chaque ministre est condamné ainsi à pousser inutilement " sa " réforme au sommet de son mandat, comme le boulet de Sisyphe dont on sait qu’il retombera inévitablement . Chaque ministre doit ainsi recommencer sans fin cette comédie de la réforme inédite et inutile : c’est la malédiction du Mammouth ! De réforme en réforme, elle l’engraisse toujours plus dans l’obésité suicidaire et la mène au malheur. Et si après l’égalité on essayait la liberté ? Comme les papillons reviennent se brûler aux ampoules électriques qui les attirent, tous les soi-disant réformateurs de l’Éducation nationale reviennent lamentablement échouer sur les mythes idéologiques de l’étatisme, de l’intégration et de l’égalité scolaires. Incapables d’avouer, de reconnaître, de discerner et combattre les causes majeures de l’échec tenace de l’Institution, de son diabète à haut risque. De l’autre côté, parents et professeurs s’en prennent à ces Sisyphes successifs et à leurs réformes-placebos, en réclamant toujours plus de moyens en personnels et en argent, comme des diabétiques qui se révolteraient contre un traitement, non parce qu’il est ridiculement inadapté ou hors-sujet, mais parce qu’il tente quelquefois (maladroitement) de diminuer leur sucre ! C’est le cercle vicieux entretenu par les ministres et les syndicats depuis des décennies, qui exclut systématiquement l’hypothèse et l’expérience de la liberté de l’enseignement, c’est-à-dire l’affranchissement de l’école du syndicalisme, du pédagogisme, du freudisme, de la marxisation, etc. pour lequel nous combattons.
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