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Lettre N° 55 - 1er trimestre 1997
L’ÉTAPE Peut-on se permettre de revenir une fois de plus sur la réforme des premiers cycles universitaires dont nous avons déjà parlé si longuement, alors qu’elle ne devrait intéresser que quelques spécialistes ? Mais notre principale excuse, à peu près sans réplique, est que si on en juge par les descriptions données par la presse habituelle - celle qui préfère laisser dans l’ombre les dysfonctionnements perturbateurs, les incidents violents qui émaillent la vie de certains établissements scolaires - il n’y a strictement rien d’autre dans l’actualité en matière d’éducation. D’ailleurs, nous avions laissé la réforme en chantier. Il nous reste à estimer l’achèvement de la phase présente. Nous sommes en mesure de le faire, puisque le 4 février, M. Bayrou a publié ce qu’il nomme un rapport d’étape et, depuis un peu plus d’un mois, se sont multipliées les réunions de mise en œuvre de ce rapport qui viennent enfin apparemment d’aboutir. De quoi s’agit-il ? Le rapport d’étape Édité officiellement, sous le titre de Rapport d’étape, amplement diffusé à la presse et à de nombreuses instances plus ou moins officieuses, souvent investies d’un pouvoir consultatif (type conférence des présidents d’université), le texte de M. Bayrou décrit de façon relativement précise ses projets relatifs à la réforme des premiers cycles d’abord, mais en définitive à l’ensemble de l’Université. De façon stupéfiante, ce texte a été très favorablement accueilli par la grande majorité des forces concernées, qui avaient d’ailleurs participé à son élaboration. Il serait, en quelque sorte, la quintessence des propositions élaborées au cours des insipides états généraux du printemps 1996, consultation promise au cours du mouvement tumultueux de fin 1995. Comment ces affrontements violents ont-ils pu produire un unanimisme béat ? Cela reste à expliquer. La plus importante des réformes annoncées, c’est l’organisation de "l’année universitaire par semestre" (p. 2 du rapport). Entendons-nous, c’est la vie universitaire qui est divisée en semestres et non en années. Le motif essentiel, c’est qu’on veut consacrer tout entier le semestre d’entrée à l’université au choix par l’étudiant de son orientation future, le second semestre étant consacré à la confirmation de cette orientation. De là, une première année fortement hétérogène. Mais, il ne faut pas s’illusionner c’est progressivement tout le cursus universitaire qui vivra au rythme du semestre : on nous parle déjà d’une organisation analogue pour "chacun des semestres de la deuxième année" (p. 4) et il apparaît dans la suite que la même division s’appliquerait au second cycle. Certes, parmi les raisons invoquées pour justifier un changement aussi radical encore qu’il ne semble pas au premier abord soulever des questions de principe, hormis la nécessité du semestre préalable d’orientation, figure "la meilleure utilisation des locaux universitaires", dont le vide au milieu de l’été fait pleurer tous les gestionnaires, une gestion plus souple du temps de travail des enseignants chercheurs, entendez que toujours plus d’étudiants défileront dans des locaux toujours aussi exigus, et enfin une meilleure cohérence avec le calendrier européen. Et, comme plus loin (p. 7), on parle du semestre passé dans une université d’un autre pays européen et validé dans le cursus, ce qui est déjà le cas dans le cadre des conventions Erasmus ou Socrates, on en vient à penser qu’il y a dans cette réforme la volonté d’appliquer quelque directive née dans une officine de Bruxelles afin de nous modeler sur le régime de la majorité de nos partenaires européens. Car si le passage de l’année au semestre ne pose pas de question de principe, elle a des conséquences considérables. Exigeant une réorganisation fondamentale, elle risque de susciter, assez inutilement, un chapelet de difficultés, surtout si on veut l’appliquer sans délai, dès la prochaine rentrée universitaire. La dernière réforme du premier cycle date de l’an dernier, et c’est cette année seulement que ses effets se font sentir au niveau de la licence. Est-ce bien raisonnable de réformer à nouveau et d’ériger ainsi l’instabilité institutionnelle en disposition permanente de la vie universitaire ? Sur le plan pédagogique, le bénéfice sera en définitive assez mince, car sur le fond on condamne tout simplement les cursus monodisciplinaires, sous prétexte de laisser ouvertes les possibilités de réorientation. Trois "unités d’enseignement" par semestre, soit douze pour les deux ans des D.E.U.G., ce qui ne change rien à l’état de choses actuel dans la majorité des cas. Simplement, les dénominations accordées à ces unités d’enseignement peuvent recouvrir des contenus extrêmement flous. Il est d’autant plus légitime de s’inquiéter de ce que sera le contenu de cet enseignement de premier cycle que la vacuité, l’indétermination se mêlent à des marques de prétention évidentes. Ainsi, nous apprend-on, "en fin de premier cycle... l’étudiant bénéficie (sic) sous forme d’un court mémoire, d’un premier contact avec la recherche", comme si l’exercice n’était pas beaucoup trop anticipé pour avoir un minimum de sérieux. Quant au régime des examens, il n’est guère modifié dans ses principes généraux : capitalisation et globalisation, c’est-à-dire qu’on peut être reçu pour toutes les épreuves ou pour une partie qui sera conservée ultérieurement. Bien entendu deux sessions par an et donc trois en tout. Vraisemblablement un mois d’arrêt en janvier pour les examens du semestre initial, première session, avec une seconde session renvoyée en septembre ! L’éventuelle réorientation n’est qu’incitative et non obligatoire. Bref, beaucoup de désordre pour peu d’innovations aux objectifs clairement définis. D’ailleurs, c’est aux arrêtés de la réforme Lang que renvoie l’essentiel des références marginales : ces arrêtés sont simplement approfondis et inclinés, toujours dans la même direction. Si l’on cherche les raisons de cette réforme dont les intentions sont si peu transparentes, c’est ici qu’on va les trouver. L’arrogance des vainqueurs Les modifications apportées aux textes antérieurs ont toutes la même finalité : rendre les examens plus faciles, afin qu’on puisse se vanter d’avoir diminué le taux d’échec. Toute mesure qui entraverait cette marche vers la facilité est abolie. Lorsque, après la publication du rapport d’étape, dans la commission de "mise en application" compétente pour les disciplines juridiques, les doyens ont tenté de maintenir le régime un peu plus sélectif (sans capitalisation des notes) qu’ils avaient préservé, les étudiants ont rompu la négociation et les mandarins ont été contraints (vraisemblablement par des pressions ministérielles) à une honteuse capitulation. Il ne s’agit pas seulement de faciliter le déroulement des études, mais d’exclure toute contrainte, tout jugement qui irait de haut en bas. Tandis qu’on multiplie les garanties données aux étudiants qu’ils ne sont pas victimes de fantomatiques brimades ou d’injustice - bien sûr, l’examinateur doit justifier sa note et on publiera une "charte des examens", codifiant ces garanties (p. 7) -, on leur distribue généreusement des pouvoirs : une vice-présidence étudiante est prévue dans chaque université ; des fonds d’amélioration de la vie étudiante seront distribués sur des rapports présentés par des élus étudiants (p. 15-16). La distribution de la manne officielle, le pouvoir pour les étudiants élus (vraisemblablement syndiqués) et, de plus, des parchemins : "les activités des étudiants au sein de l’établissement sont reconnues. Cet investissement peut être reconnu sous forme de validation dans le cursus" (p. 15). On ne saurait mieux contribuer à la formation d’un corps de professionnels du syndicalisme étudiant. Et, poussant encore plus loin le renversement de la hiérarchie traditionnelle, on met en quelque sorte les professeurs sous le contrôle des étudiants : "les étudiants ont le droit d’évaluer les enseignements qu’ils reçoivent" (p. 8). Il y a, notamment, un questionnaire individuel et anonyme qui permet cette évaluation. On dira que cette porte ouverte aux sycophantes concerne les "enseignements" et non les enseignants, mais comme il est dit quelques lignes après que cette évaluation est destinée à l’enseignant concerné, on voit que cette distinction est tout à fait illusoire. Quant aux carrières des enseignants, les instances qui en décident sont soumises au même contrôle tatillon que les simples jurys d’examen et, bien entendu, les critères liés à la production intellectuelle sont renvoyés au second rang, subordonnés à des critères d’appréciation à la fois plus subjectifs et plus" démocratiques". Je ne dirai pratiquement rien de la réforme du système d’aide sociale aux étudiants. Personne ne doute qu’il fallait le simplifier et le rationaliser. Mais la liste des critères selon lesquels sera attribuée la nouvelle "allocation sociale d’études" qui vient se substituer à l’ensemble des aides existantes est significative. En tête figurent les revenus de l’étudiant ou ceux de ses parents, avec cette obsession du social à laquelle nous sommes habitués et ce n’est qu’en quatrième position qu’apparaît "le déroulement des études" (p. 12-13). Incontestablement, cette réforme va beaucoup plus loin à gauche que tout ce qui avait été fait ou projeté par les différents gouvernements jusqu’à maintenant. Il y a d’ailleurs des experts qui ne s’y sont pas trompés : ce sont les dirigeants des syndicats étudiants. Il suffisait de lire dans Le Monde du 5 février 1997 les cris de triomphe du président d’U.N.E.F.-I.D., syndicat fortement lié à l’aile gauche du parti socialiste et à des organisations comme S.O.S.-Racisme : "Pour la première fois, les étudiants ont imposé une réforme. Il est acté dans la société française qu’il ne peut y avoir de retour en arrière, comme en 1986." Et, en un langage très combatif, il nous explique que tout est né avec le mouvement de l’automne 95 et que "les annonces du ministre sont, pour une large part, issues du rapport de force que les étudiants ont maintenu" (p. 9). La seule question qui se poserait concernerait la mise en application effective des mesures annoncées. Mais elles semblent dépendre de la seule volonté ministérielle, puisque, comme Le Monde nous le dit avec gourmandise, "à l’exception des mesures fiscales pour le statut des étudiants, le passage devant le Parlement a été limité à son strict minimum et pour des changements mineurs" (Ibid). Il faut reconnaître à M. Bayrou une prodigieuse habileté manœuvrière pour parvenir à élaborer une réforme que personne n’ose attaquer frontalement et qui ne suscite dans le pire des cas que de timides réserves. Ses mérites sont-ils donc si éclatants ? Ce que nous avons dit permet d’en juger. Il est naturel que les forces de gauche, bénéficiaires dans l’affaire, approuvent et ne manifestent qu’une vigilance sourcilleuse. Mais les conservateurs, les modérés, pourquoi se taisent-ils ? Pour les partis politiques, il se peut qu’à quelques mois des élections la quête des investitures ait apaisé de nombreuses critiques. Mais l’explication ne peut concerner les milieux corporatifs. Là joue vraisemblablement le désir de ne pas nuire au gouvernement ; et puis on a entendu tant de beaux discours comme les propos de M. Bayrou non suivis d’effets que, par lassitude, on laisse passer l’orage sans rien dire, quitte à déchanter demain. Enfin, M. Bayrou a su ramener la paix. "La paix universitaire règne" et on craint de troubler la situation. Que cette paix soit souvent plus apparente que réelle, que par exemple l’important centre de premier cycle de Tolbiac qui dépend de Paris I ait vu son fonctionnement entravé par des groupes violents est un fait qui reste inconnu du public : la presse n’en parle pas. Bref, très lâchement on se contente des apparences, apaisantes dans une situation si difficile. Il n’est pas jusqu’au président de la République pour être tombé sous le charme de son ministre. Dans sa récente allocution du 11 mars, l’impasse a en quelque sorte été faite sur les problèmes concernant en propre l’éducation nationale. On s’est contenté d’objectifs flous et anodins, comme l’extinction de l’illettrisme d’ici la fin du septennat. Au sujet de l’enseignement supérieur, on apprendra juste que M. Chirac est favorable à l’orientation au début de l’université et qu’il fut toujours hostile à la sélection, ce qui ne semble pas être l’opinion d’U.N.E.F.-I.D. qui évoquait la date de 1986 ! Mais on n’entre pas dans les détails et on laisse à M. Bayrou l’initiative des opérations : "La réforme de l’éducation est engagée. M. Bayrou l’a engagée, bien engagée, je crois." Quant au référendum, il n’est plus à l’ordre du jour : "Je n’ai pas actuellement de projet à cet égard". Attendons la suite des événements, car il n’y a pas dans le système éducatif, que le seul premier cycle universitaire, pour important qu’il soit, le seul actuellement à être touché par la réforme. Maurice Boudot L’EMPLOYEUR DES MAÎTRES DE L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ Dans son numéro du 13 février, l’hebdomadaire Famille chrétienne vient de publier un excellent dossier sur une question débattue depuis plus de dix ans, qui soulevait déjà des remous au moment où a été fondée notre association et sur laquelle les positions en conflit n’ont guère évolué depuis ce temps. Le texte qui suit en donne les idées essentielles. Il s’agit de déterminer quel est l’employeur des maîtres de l’enseignement privé : l’établissement représenté par le chef d’établissement ou l’État ? Le débat semble d’abord relever des aspects les plus techniques du droit, mais il apparaît vite dans le dossier réuni par Denis Lensel que selon la réponse qui est apportée, les conséquences varient du tout au tout en ce qui concerne le statut des maîtres. Comme l’explique très clairement M. Verrier, président du S.N.E.C.-C.F.T.C., "ces maîtres ont un statut particulier qui leur accorde des avantages - en matière de protection sociale, de retraite, de déroulement de carrière et de rémunération pour les titulaires - équivalents à ceux des fonctionnaires de l’Éducation nationale. En outre, ils bénéficient de la couverture du Code du travail". Toutefois, le statut de l’enseignement privé a déjà été écorné lors des accords Lang-Cloupet : Toute une partie de la formation professionnelle initiale des maîtres du privé a été confiée aux I.U.F.M., organismes d’État. M. Verrier y voit, à juste titre, l’abandon du principe "à enseignement spécifique, formation spécifique" et "le début de la logique identitaire : même formation, même métier". A terme, la menace c’est l’intégration de l’enseignement privé sous contrat dans le service public, qui est en réalité souhaitée par le secrétariat général de l’enseignement catholique. Le chef d’établissement deviendrait un subordonné de l’État. L’État qui deviendrait l’arbitre des éventuels conflits entre enseignants et chefs d’établissement. Le "caractère propre" perd son caractère d’obligation professionnelle, mais en même temps les maîtres verraient disparaître les garanties que leur donne le Code du travail. D’un tout autre point de vue, naturellement, le principal "acteur" du Comité national de l’enseignement catholique : M. Pierre Daniel que nous avions connu, il y a une dizaine d’années dans un autre rôle - celui de président de l’U.N.A.P.E.L. - a donc changé de fonction, mais ni de personnalité ni d’orientation. M. Verrier attribue de façon globale aux dirigeants nationaux de l’enseignement catholique le raisonnement : "Agissons en sorte que l’employeur des maîtres du privé soit demain l’État et ainsi nous ne serons plus contraints de payer certaines charges." Il s’agit notamment des indemnités de départ en retraite, des heures de délégation pour mandat syndical. En fait, la position de M. Daniel est assez étonnante : il considère que l’État est déjà le seul employeur dans les établissements sous contrat d’association, encore qu’il nomme les enseignants sous des conditions précises. Privé de ses prérogatives d’employeur il ne tient pas du tout à payer les charges liées à ce statut. Quant à la situation matérielle des maîtres, M. Daniel en vient à redouter qu’elle soit trop avantageuse : ils ne doivent pas cumuler des avantages de droit privé et de droit public : "Cela pose une question morale." Enfin, pour ce statut qui garantit la spécificité de l’enseignement catholique, M. Daniel ne conçoit pas qu’il ait beaucoup de résonance professionnelle. En revanche, "ce qui est important, c’est que les maîtres passent un contrat moral avec le caractère chrétien de l’enseignement". Et il ajoute : "On n’est pas chrétien par un bulletin de salaire." Belle façon d’évacuer les questions précises en élevant les débats au plan sublime de la morale ! Les positions n’ont donc nullement évolué depuis l’époque de M. Savary. On devine quels motifs poussent les autorités de l’enseignement catholique à l’intégrationnisme. Un mélange de lâcheté, d’avarice sordide, de souci du conformisme idéologique. Si les positions ont si peu évolué, elles sont très clairement définies dans l’excellent dossier de M. Denis Lensel 1. 1 Rappelons que M. Lensel fut chronologiquement le premier lauréat du prix qu’Enseignement et Liberté réserve aux journalistes.
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