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Lettre N° 101 - 3ème trimestre 2008
La liberté de l'enseignement supérieur en Europe et l'exception française
La liberté de l’enseignement supérieur en Europe
Curieux pays que la France qui, au moment où il met en œuvre une loi sur l’autonomie de l’Université – par ailleurs bienvenue -, phagocyte dans le même temps l’enseignement supérieur privé, comme si la liberté accordée d’une main devait être reprise de l’autre. Curieux pays aussi que celui qui se veut tout à la fois le chantre de la construction européenne et qui raidit sa position sur les libertés de l’enseignement, pendant que les autres Etats membres de l’Union européenne s’attachent à développer les libertés universitaires dans le cadre de la stratégie dite de Lisbonne ou du processus dit de Bologne.
Dans l’Europe des droits de l’homme, c'est-à-dire dans le cadre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du Conseil de l’Europe, la liberté de l’enseignement voit sa protection renforcée à chaque nouvelle intervention de la Cour européenne des droits de l’homme. Le «juge de Strasbourg», comme on le nomme dans nos bonnes vieilles facultés de droit, fait une chasse quasi systématique à toutes les discriminations entre les différentes formes d’expression de la liberté de pensée, de la liberté de conscience et de la liberté de religion. La Convention européenne des droits de l’homme impose aussi aux Etats de respecter le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques, y compris pour les convictions religieuses minoritaires. Il va sans dire que cette prohibition des discriminations est le gage de la défense de la liberté de l’enseignement supérieur libre.
De son côté, le droit communautaire favorise la libre circulation des personnes et donc, notamment, la libre circulation des étudiants et des professeurs. Ce principe général de libre circulation s’est considérablement développé dans sa mise en œuvre et dans son champ d’application depuis le traité de Rome de 1957. Il est aujourd’hui accompagné ou complété par les politiques menées au niveau européen en matière de recherche, la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et des diplômes, la liberté d’établissement des universités publiques ou privées. Au demeurant, pour la Cour de justice des communautés européennes, l’enseignement dispensé par des établissements financés essentiellement par des fonds privés constitue une prestation de service régie, non par le droit national, mais par le droit communautaire (CJCE 11 septembre 2007, Commission c/ Allemagne, aff. C-318/05).
Les évolutions qui en résultent sont certainement de nature à remettre progressivement en cause les monopoles nationaux de collation des grades et à créer – à très court terme – un espace européen totalement libre de l’enseignement supérieur.
Au demeurant, ces deux branches du droit européen (c'est-à-dire le droit européen des droits de l’homme avec la CEDH et le droit communautaire avec la CJCE) sont appelés à se renforcer mutuellement. On songe naturellement ici à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui reprend pour l’essentiel la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Pour le dire autrement, l’utilisation de cette charte par la Cour de justice des communautés européennes, devrait conduire le juge de Luxembourg à conjuguer l’interdiction des discriminations au regard du droit communautaire (liberté de circulation des citoyens de l’Union, liberté d’établissement, libre prestation de service) avec l’interdiction des discriminations au regard des droits fondamentaux des droits de l’homme (liberté de pensée, liberté de conscience, liberté de religion).
Vis-à-vis de ces évolutions, la France est singulièrement crispée sur ces positions à l’encontre de l’enseignement supérieur privé. On a même l’impression qu’elle veut se livrer à une sorte de planification impérative comme on n’en connaît plus depuis la disparition de feue l’URSS.
Alors que la liberté de l’enseignement privé est proclamée en France depuis 1875, alors qu’elle a valeur constitutionnelle depuis au moins deux décisions du Conseil constitutionnel rendues en 1977 et en 1999, tout se passe comme si les établissements d’enseignement supérieur privés devaient être condamnés à devenir les supplétifs des établissements d’enseignement supérieur public les plus proches.
Quelques exemples seulement pour éviter un propos trop technique et trop fastidieux.
Une intéressante réforme pour l’Université française a consisté à créer l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). C'est une autorité administrative indépendante chargée d’évaluer l’enseignement et la recherche dispensés dans les Universités publiques. La création de cette agence constitue un progrès par rapport à la situation antérieure. Il n’était sans doute pas sain que l’évaluation fût effectuée par des autorités émanant du système universitaire lui-même et/ou du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Oui, mais rien n’a été prévu pour tenir compte des spécificités de l’enseignement supérieur privé. Il est évalué par cette autorité pour ouvrir ses formations, c’est une condition sine qua non, mais les critères d’évaluation sont ceux qui sont utilisés pour les universités publiques. Dans ces conditions, évidemment, les spécificités de l’enseignement supérieur privé ne lui permettent pas d’être sérieusement jugé, pour autant que cette évaluation conditionnant l’ouverture des formations ne soit pas, en elle-même, contraire à la liberté. Cette situation est d’autant plus absurde que, grâce à la liberté d’établissement, toute université étrangère publique ou privée pourrait venir s’installer en France et délivrer ses diplômes LMD sans aucun contrôle de l’AERES !
Du point de vue européen, une autre réforme intéressante est celle des LMD (licence, master, doctorat). Certes. Mais, le niveau supérieur, c'est-à-dire celui du master recherche et surtout celui du doctorat n’est pas ouvert aux établissements d’enseignement supérieur privé. Ceux-ci, notamment, ne peuvent pas avoir d’écoles doctorales qui doivent être – toutes – publiques. Sans doute, les établissements d’enseignement supérieur privé peuvent-ils s’associer à des universités publiques. Mais, ce n’est bien évidemment pas la même chose, car cela conduit nécessairement à une subordination du privé au public. Fermée donc la recherche autonome pour le privé !
Enfin, dernier exemple, les établissements d’enseignement supérieur privé ne peuvent pas délivrer eux-mêmes des diplômes de licence ou de master. Pour délivrer les diplômes, les universités privées doivent nécessairement conclure une convention avec une université publique. Dans le cas où cette convention n’est pas signée, le recteur d’académie peut désigner un jury rectoral chargé de délivrer le diplôme en cause. Le ministère exigeait même jusqu’à une date très récente que la convention soit conclue avec l’université publique la plus proche et presque en fonction des besoins de cette université publique. Mais dans ces conditions, l’établissement d’enseignement supérieur privé perd toute autonomie. D’ailleurs ses étudiants doivent avoir la double inscription, ils sont obligatoirement étudiants des deux universités, les jurys d’examen sont nommés par l’université publique, les cours sont aussi contrôlés par cette dernière, etc. C’est dire que, grâce à cette manœuvre, les parents des étudiants qui ont choisi l’enseignement supérieur privé n’ont pas d’autre choix que d’inscrire aussi – et de façon obligatoire – leurs enfants dans une université publique.
Il est certain que ce système ne saurait se pérenniser. Refuser la liberté de l’enseignement supérieur ne débouche sur rien d’autre que sur une nationalisation de la pensée. Cette discrimination – car cela en est bien une – ne résistera pas longtemps devant les évolutions du droit communautaire et/ou devant celles du droit européen des droits de l’homme. Il est plus que probable que le système français serait sanctionné par les deux cours européennes, celle de Strasbourg comme celle de Luxembourg. Faudra-t-il aller jusque-là ?
Recteur Armel Pécheul
Enseignement et Liberté a organisé les 26 et 27 septembre avec l’Organisation Internationale de défense de la liberté d’enseignement et l’Institut catholique d’enseignement supérieur de La Roche-sur-Yon, dans ses locaux, un colloque sur la liberté d’enseignement.
Notre éditorial reflète les conclusions dégagées de la partie de ce colloque portant sur la situation de l’enseignement supérieur libre en France, moins favorable que ce qu’elle était du temps de Jules Ferry.
En ce qui concerne l’enseignement primaire et secondaire, autre thème du colloque, nous avons débattu du rapport 2007/2008 de l’OIDEL sur les libertés éducatives dans le monde. Ce rapport donne une évaluation de ces libertés dans cent pays regroupant 95 % de la population mondiale.
Les notes attribuées à chaque pays prennent en compte la possibilité de créer des écoles libres, le financement qu’elles reçoivent de l’Etat et leur autonomie en matière de programmes et de méthodes d’enseignement, ainsi que le choix de l’école par les parents et l’école à la maison.
Dans ce classement, la France occupe une assez peu glorieuse vingt-neuvième place, entre la Roumanie et la Thaïlande. C’est dire que si la décision prise par
M. Darcos de supprimer progressivement la carte scolaire va dans le bon sens, il reste beaucoup à faire.
La suppression de la carte scolaire est en grande partie illusoire, dans la mesure où est maintenue la règle actuelle qui fige, sans aucun fondement légal, le rapport entre le nombre de postes du public et celui du privé à quatre pour un. Les parents qui souhaitent faire passer leurs enfants du public au privé se trouvent ainsi dans la situation du voyageur mécontent de son hôtel qui aurait la possibilité de changer de chambre mais pas celle de changer d’hôtel.
Si deux entreprises se partageaient un marché, comme le font l’enseignement public et l’enseignement privé, une telle entente, imposée par le plus fort, serait durement sanctionné par les autorités de Bruxelles.
Cette situation est-elle figée ? Il semble que non, à en juger par les exemples suivants.
Dans l’enseignement public, la suppression de la carte scolaire et le droit à l’expérimentation, institué par la loi Fillon et dont ont su profiter des défenseurs des méthodes alphabétiques d’enseignement de la lecture.
Luc Cédelle, spécialiste des questions d’enseignement au journal Le Monde, vient de publier Un Plaisir de collège, histoire d’un collège public expérimental créé à Bordeaux en 2002. La liberté de sélection des élèves et de recrutement des maîtres par l’école sont deux des explications données de la réussite de ce collège. Que demander de plus ?
Dans l’enseignement catholique, le temps semble passé où le président des parents d’élèves ne voulait de mesures de justice envers l’enseignement libre que si elles étaient acceptées par le « peuple de gauche » et où le secrétaire général de l’enseignement catholique abandonnait à l’Etat la formation des maîtres et quelques milliards de francs qui étaient dus.
Cette évolution tient pour une part à une évolution des mentalités, mais résulte aussi du succès de l’école libre face aux difficultés de l’école publique. La règle indexant le nombre de postes de professeurs sur celui du public devient plus pesante quand il faut refuser des dizaines de milliers d’élèves. De même la part de plus en plus grande prise par les collectivités locales pose, même quand elles ne sont pas politiquement hostiles, des difficultés financières à l’école privée. C’et ainsi que l’obligation qui vient d’être faite aux écoles d’assurer la garde des enfants les jours de grève sera prise en charge par les communes pour les seules écoles publiques.
Les écoles privées hors contrat, même si leurs effectifs restent marginaux, se développent rapidement sans aucun concours financier de l’Etat.
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