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Lettre N° 80 – 2ème trimestre 2003
LA RÉPUBLIQUE ET LES PROFESSEURS : de la passion au divorce
LA République ET LES PROFESSEURS : de la passion au divorce.
Longtemps, la République s’est légitimement enorgueillie de ses professeurs. Instituteur cher à Pagnol, normalien engagé en politique, professeur grand écrivain, universitaire maître à penser… chacun était au service d’une République qui le lui rendait bien. Fière de ses maîtres, la République pouvait transformer le petit-fils du paysan de Montboudif, fils d’instituteur et lui-même professeur, en Président de la République. Il faut dire que l’État leur avait confié la plus noble des tâches dans une société confiante en son avenir : transmettre les savoirs et les savoir-faire aux jeunes générations, assurer l’intégration de tous et la promotion sociale des meilleurs, et donc le brassage social pour éviter le risque d’une société oligarchique propre à tuer la République. Quand en plus ils pouvaient assurer la diffusion d’une culture commune, d’une morale civique et de l’universalisme républicain, alors chacun pouvait comprendre son voisin puisque, précisément, nos références et nos valeurs étaient collectives dans le cadre d’un idéal commun. Dans ces conditions, les professeurs étaient bien irremplaçables : sans eux point de République ! Et l’on comprend ainsi l’histoire de leur passion mutuelle.
Mais qui alors est responsable du divorce que l’on voit se consommer sous nos yeux ? Les deux, très probablement, car l’État a progressivement abandonné le modèle républicain et la plupart des professeurs qui manifestent aujourd’hui ont la ferme intention d’abattre la République.
L’État a cessé d’être républicain lorsqu’il a accepté que l’égalitarisme d’abord, et le communautarisme ensuite se substituent à la transmission des savoirs, à la promotion des meilleurs et à l’acquisition d’une culture universelle. Dans le premier cas, il a confondu l’égalité des chances et le nivellement par le bas. Dans le second cas, il a encouragé la dilution du lien social et la disparition des valeurs communes au profit de la multiplication de privilèges et de droits particuliers accordés à quelques groupes bien organisés. Ayant, par surcroît, chargé les maîtres de traiter tous les problèmes rencontrés par la société, l’État les a insensiblement transformés en animateurs d’élèves, dénués d’autorité, de charisme et d’ambition : au mieux des grands frères, au pire des gardiens d’enfants dissipés. On comprend mieux la violence alors puisqu’il n’y a plus de principe d’autorité, l’échec scolaire puisqu’il n’y a plus de transmission des savoirs, le repli sur eux-mêmes de très nombreux jeunes gens puisqu’il n’y a plus de valeurs communes. On comprend aussi pourquoi le sentiment d’inégalité se développe puisque l’ascenseur social ne fonctionne plus. Les élites pourront bientôt se reproduire entre elles…il leur faudra simplement trouver de quoi financer du pain et des jeux pour des masses de moins en moins laborieuses !
Les professeurs, de leur côté, sont, ou bien les victimes de l’abandon du modèle républicain, et on comprend alors qu’ils soient désespérés ou à tout le moins désabusés, ou bien ils en sont les complices. Les premiers se retournent vers l’État à qui ils demandent aide et assistance : ils ne sont pas entendus. Les seconds se retournent contre l’État : on n’entend qu’eux. Les uns doivent être aidés, les autres combattus avec la plus grande intransigeance. Combattus, en effet, les seconds car ils sont porteurs de germes encore plus destructeurs pour la République que toutes les réformes dues à l’impéritie et à la faiblesse de tant de ministres chargés de l’Éducation nationale. Leur projet est authentiquement révolutionnaire. Dans la forme, d’une part, puisque à l’exemple des méthodes les plus totalitaires, les livres sont brûlés et les élèves sont pris en otage. Au fond, surtout, ces enseignants-là veulent imposer à nos enfants, et donc à la France en devenir, un autre modèle de société : une société dans laquelle tout vaut tout parce que rien ne vaut, dans laquelle chacun ne doit connaître de limites que celles de son bon plaisir, dans laquelle il n’est nul besoin de comprendre l’autre pour exister, dans laquelle celui qui a plus ou qui " est mieux " sera toujours suspect, fautif et de toute façon redevable, dans laquelle l’individu doit toujours pouvoir imposer sa volonté au groupe sans obligation ni sanction… Ce n’est plus d’une société organisée et collective tendant vers un idéal commun qu’il s’agit mais de multiples communautés, individualistes et hédonistes, corporatistes, envieuses, égoïstes et violentes, redistributrices de l’argent des autres, intransigeantes et intolérantes, sans foi ni loi, sans Dieu ni maître… à l’exception des gardiens de ce totalitarisme pour l’instant moral. Un peu de Marx pour faire égalitaire et du Trotski pour faire éternellement jeune, du Freud pour le plaisir, du consumérisme à la MacDonald’s pour les parents, une touche empruntée aux libertariens pour faire croire à la liberté et un zeste de Bourdieu pour faire progressiste en saccageant l’ordre établi … Voilà l’idéologie à combattre et sans concession car elle est mortelle pour la République.
Voilà aussi pourquoi une vraie réforme de l’Éducation est plus qu’urgente. Elle ne peut être assise que sur des fondements républicains ; elle ne pourra être réalisée qu’avec l’aide des professeurs républicains. A l’État de retrouver les voies de la République…il retrouvera les voix de ses professeurs.
Armel PECHEUL
Hommage au professeur Maurice BOUDOT (1931-2003)
président d’honneur d’Enseignement et Liberté
Maurice BOUDOT est né à Lyon le 3 mai 1931. C'est dans sa ville natale qu'il a fait ses études, d'abord au lycée Ampère, puis à l'université, où il mène de front une licence en Philosophie et une licence de Mathématiques. Après l'obtention des deux licences, en 1952, il opte pour la Philosophie; mais il devra à sa formation mathématique non seulement la compétence qu'il utilisera plus tard dans ses travaux de Philosophie des sciences et de Logique, mais aussi, dans l'immédiat, la possibilité d'occuper un poste de maître auxiliaire pour financer la fin de ses études. Il est reçu aux épreuves théoriques du Capes en 1955. A la fin de son année de stage, il se marie (en juin 1956) et reçoit sa première affectation pour la rentrée de l'automne 1956: ce sera Bordeaux, où il devait rester vingt-quatre ans.
Le hasard des nominations lui vaut un poste à l’école normale d'instituteurs puis, au bout d'un an, à celle d'institutrices. Il y découvre un milieu dont il ignorait tout, celui de la pédagogie, ou plutôt du "pédagogisme" alors curieusement divisé entre les " Anciens", contemporains spirituels du petit père Combes, et les "Modernes", dont les idées devaient fleurir par la suite: égalitarisme qui équivaut à un nivellement par le bas, recherche de l'épanouissement de l'enfant plutôt que de son éducation, ouverture sur la vie plutôt qu'apprentissage des savoirs, valorisation du ludique et dévalorisation de l'effort... L'antipathie de Maurice Boudot pour ces thèses est immédiate et ira croissant au cours des années. Tout en assumant ses tâches, il se consacre de plus en plus à ses travaux personnels.
Agrégé depuis 1958, il obtient en 1962 son détachement au C.N.R.S., ce qui lui permet d’œuvrer à sa thèse, sous la direction du Professeur René Poirier: Logique inductive et probabilités. Il la soutiendra en juin 1970, et elle sera éditée chez Armand Colin en 1972. Durant ses années de C.N.R.S. déjà, il avait été chargé de quelques cours complémentaires à la faculté des lettres. En 1966, il est chargé de maîtrise de conférences (1), puis devient professeur sans chaire en 1971 et enfin titulaire de chaire en 1974. Il enseigne donc à l'université lorsque se produisent les événements qui vont agiter cette vénérable institution et en modifier définitivement les structures et l'esprit.
Mai 68 va jouer un rôle décisif sinon dans sa carrière, du moins dans son évolution. Sa position sur l'échiquier politico-universitaire est du reste hautement significative, non tant de sa propre transformation que de l'effondrement d'une partie notable des "élites".
Maurice Boudot n'a jamais été marxiste - ce qui constitue déjà une rareté dans le milieu des étudiants et des professeurs de Philosophie de sa génération. Au cours de ses années d'étudiant il s'était opposé aux groupes communistes qui cherchaient à faire la loi dans les facultés. Mais, à la veille du séisme qui va ébranler le pays, et, avant tout, le monde de l'enseignement, il n'a pas de position politique définie; en tout cas, il n'a aucune prise de position publique. En outre, il ressent bien un certain malaise dans l'Université, sans doute parce qu'il appartient à la nouvelle génération, mais aussi, tout simplement, parce qu'il voit ce qu'il a devant les yeux. Il perçoit la nécessité de prendre en compte certains faits nouveaux, à commencer par l'augmentation considérable du nombre des étudiants en lettres, due à l'arrivée des jeunes du "baby boom". (2). Mais cette lucidité n'est pas partagée par tous. Lorsque, au tout début des "événements", est soulevée au Conseil de Faculté la question d'éventuelles réformes, c'est une touchante unanimité : nous sommes bien, nous sommes parfaits, ne changeons rien à rien, et tout sera pour le mieux dans la meilleure des universités possibles. Cette unanimité n'est brisée que par trois voix... dont celle de M.B., qui fait alors figure sinon de révolutionnaire, du moins de manque de respect à l'égard de l'alma mater.
Quelques jours plus tard, tout a changé. A la proposition de réformes limitées et raisonnables, fait place ce que le général de Gaulle devait appeler la "chienlit". L'objectif marxiste et révolutionnaire s'affiche au grand jour et, plus encore, on assiste à une véritable hystérie collective : occupation et dégradation des locaux universitaires, substitution aux cours d'interminables et stériles "assemblées générales", débauches et désordres de toutes sortes. C'est ce que Maurice Boudot ne peut tolérer, et les "enragés" vont trouver en lui un de leurs adversaires les plus résolus. Dans le même temps, un bon nombre des mandarins qui, la veille encore, se livraient aux délices de l'autosatisfaction, vont s'effondrer lamentablement, les positions allant de l'admiration pour "notre admirable jeunesse" jusqu'à la lâcheté déguisée en sagesse ("faisons des concessions, cela va isoler les extrémistes et nous concilier la majorité des étudiants").
Cette attitude de démission n'est du reste pas une spécialité locale, comme Maurice Boudot le constate à l'occasion du concours d'agrégation. Nommé membre du jury en 1970 (il le restera les deux années suivantes), et participant, comme c'est l'usage, à la surveillance des épreuves à Paris, il lui faudra affronter la contestation d'une partie des candidats, qui refusent de composer, et empêchent les autres candidats de travailler dans la sérénité. Mais le Ministère, dans sa sollicitude pour ces chers petits, et au mépris des électeurs qui l'ont porté au pouvoir, organisera une session spéciale pour les candidats contestataires (qui ne vont pas, cependant, jusqu'à contester leur statut de fonctionnaire en cas de succès), au détriment manifeste de ceux qui ont accepté de composer. C'est là un échantillon entre cent du jeu de subversion, d'un côté, et de démission, de l'autre, auquel Maurice Boudot a tenté de s'opposer en vain, le plus souvent.
Si l'université de Bordeaux, comme toute la province, ne s'est jetée dans la bataille qu'après la capitale, elle connaîtra en revanche une très longue période de désordre. Bien sûr, ce désordre n'est ni constant, ni général: il y a des périodes où les enseignants enseignent et où les étudiants étudient. Mais le campus est le lieu d'affrontements très violents, état de choses favorisé par la faiblesse, puis la complicité, des présidents qui vont se succéder à la tête de ce qui est désormais l'université de Bordeaux III (en gros, l'ancienne faculté des lettres et des sciences humaines).
La période la plus violente, si l'on excepte la fin de l'année universitaire 67-68, n'est pas celle qui suit immédiatement, mais la période 77-78. Il y a à cela diverses raisons, dont la principale est la présidence de l'Université par Robert Escarpit, systématiquement favorable à la contestation. Comme professeur jugé "réactionnaire", voire "fasciste", comme directeur-adjoint, puis directeur de l'U.E.R. de philosophie, à partir de janvier 1977, M.B. est la cible d'attaques d'une rare violence : occupation des salles où il doit faire cours par des groupes menaçants, tracts et inscriptions injurieux et même jets de peinture et d’œufs sur sa personne et sur sa voiture. Il est conduit à porter plainte en justice ou à témoigner dans plusieurs affaires le concernant ou concernant certains de ses collègues. La période la plus troublée se situe en décembre 76 et janvier 77, où l'Université, où l'U.E.R. de philosophie en particulier, seront fermées à plusieurs reprises.
En sus de ses responsabilités d'enseignant et de directeur d'U.E.R., Maurice Boudot participe activement aux activités du Syndicat autonome, et il est élu à différentes instances nationales : Comité consultatif des universités, Comité du C.N.R.S...II ne néglige pourtant pas ses recherches personnelles : il organise un congrès sur le grand historien des sciences Pierre Duhem, il publie différents articles.
La situation devient enfin plus calme à Bordeaux III, qu'il quitte du reste à la fin de l'année scolaire 1979-1980; en effet, il a été élu à la prestigieuse Université de Paris IV, dans la chaire de philosophie des sciences et logique. Il pense y trouver, avec une atmosphère plus sereine, la possibilité de travailler davantage dans sa spécialité, le petit nombre d'enseignants dans les universités de province contraignant les professeurs à une plus grande polyvalence. Effectivement, il trouve bien ces avantages, et c'est à cette période qu'il se spécialise plus particulièrement en logique chronologique et en logique modale, spécialités très "pointues" qui ne donnent aucune chance d'être invité sur un plateau de télévision, mais qui lui vaudront de participer à différents colloques ou d'être invité dans des universités étrangères (comme celle de Malaga).
Mais le bruit et la fureur du monde vont le rattraper et l'arracher à nouveau à la pure spéculation. Avec l'arrivée au pouvoir de la coalition socialo-communiste, c'est d'abord la loi Savary, puis les menaces sur l'école libre. Bien que formé lui-même dans l'enseignement public, y ayant effectué toute sa carrière, ainsi que son épouse, Maurice Boudot est trop attaché à la liberté et trop conscient de ce qu'il faut entendre à ce moment par la "laïcité" pour rester sans réaction. Il recommence donc la lutte. Les conditions ne sont plus celles des années 68-78 : d'une part parce que ses propres conditions d'enseignement ne sont pas en cause - en un sens, il n'est pas personnellement concerné - et d'autre part parce qu'il a en face de lui un adversaire bien défini, ce qui constitue à certains égards une situation moralement plus acceptable que lorsqu'il avait le sentiment d'être "lâché" par ceux-là mêmes qui auraient dû soutenir son action, ou plutôt la rendre inutile, comme aux temps de la fameuse loi Edgar Faure. La lutte nouvelle prend différentes formes : depuis quelques années déjà il participe aux réunions et aux travaux du Club de l'Horloge; il est en relations avec l'UNl et avec les Cercles universitaires. Mais son engagement principal est la création d'Enseignement et Liberté, dont il assurera la présidence jusqu'en 2000. Il assumera en outre pendant plusieurs années la charge de directeur de l'U.F.R. de philosophie. Charges qui, ajoutées à son enseignement, lui laisseront trop peu de temps pour ses travaux personnels et l'empêcheront, notamment, de mener à bien l'ouvrage sur Leibniz qu'il projetait depuis plusieurs années, en collaboration avec sa femme, elle-même professeur de philosophie en khagne au lycée Fénelon.
Dès la fin des années 80, sa santé commence à se détériorer. Son état de fatigue semble d'abord lié à une sorte de dépression, elle-même mise sur le compte du désenchantement devant l'inutilité de la lutte et l'irrémédiable déclin de l'Université. Ce désenchantement est très réel - mais il n'explique pas tout. Vers 1995, l'insuffisance respiratoire dont il souffre depuis plusieurs années atteint un degré préoccupant. Il est contraint de prendre sa retraite à la fin de l'année scolaire 1996-97, alors qu'il pouvait rester en poste encore deux ans. L'automne 1999 voit une soudaine aggravation et, en décembre de la même année, il doit faire à l'hôpital le premier d'une longue série de séjours. Désormais sous alimentation permanente d'oxygène, il voit toutes ses fonctions vitales s'altérer. Depuis le début de 2001, il a perdu toute autonomie. Le 26 février 2003 il faut, une fois de plus, faire appel au SAMU. Hospitalisé au service de réanimation de l'hôpital Saint-Joseph, il meurt dans cet établissement au matin du 5 avril.
Il laisse une œuvre réduite, en partie parce qu'il a consacré beaucoup de temps et de forces à la défense de sa conception de l'enseignement, en partie parce qu'il a toujours refusé les facilités de la production d’œuvres capables de séduire, mais sans solidité. Elle consiste en articles, généralement très techniques, dont la plupart seront sans doute bientôt réunis en une publication.
Anne-Marie Boudot
(1) Les maîtres de conférences de cette époque ne sont pas les maîtres de conférences d’aujourd’hui (qu’on pourrait plutôt rapprocher de ce qu’étaient alors les assistants). Ils constituaient le premier niveau des professeurs. On pouvait être chargé d’une maîtrise de conférences avant d’avoir soutenu sa thèse, si elle était suffisamment avancée.
(2) On. peut se faire une idée de l'aveuglement – réel ou volontaire – des mandarins de l’époque grâce à l’anecdote suivante: quelqu'un ayant soulevé la question des débouchés pour les très nombreux étudiants en lettres, le Doyen a répondu : "Bah, i l y a beaucoup de filles, elles se marieront ! ". A la fin des années soixante, le fait sociologique du travail féminin n’était pas encore perçu par ceux-là même qui avaient pour mission la formation des jeunes !
Au nom de tous ceux qui sont attachés à Enseignement et Liberté, j'exprime ma très grande reconnaissance à Mme Boudot, pour avoir bien voulu nous donner les lignes que l'on vient de lire sur l'action de son mari, le professeur Maurice Boudot.
Dans le récit très instructif qu'elle fait des événements de mai 1968 à Bordeaux, on ne peut qu'admirer le courage qu’il eut de faire son devoir, alors que tant d’autres y avaient renoncé.
Mme Boudot a voulu nous laisser rappeler ce qu'a été l’action de son mari, en tant que fondateur et président pendant dix-sept ans d'Enseignement et Liberté. Je n'ai connu notre association qu'en 1996, lorsque le jury des Prix nous a fait l'honneur, à Bernard Kuntz et à moi, de nous récompenser pour le livre Les Déshérités du savoir que nous avions écrit ensemble. Ce jury m'ayant ensuite appelé à siéger en son sein, j'eus ainsi l'occasion de rencontrer M. Boudot et d'admirer le talent qui était le sien de présenter clairement les questions complexes.
Aussi lorsque, il y a trois ans, devant abandonner la présidence d'Enseignement et Liberté pour des raisons de santé, il m'a demandé de lui succéder, j'ai pu accepter en ayant une idée nette du rôle qu'avait joué notre association et de celui qu'elle pourrait continuer à jouer.
Je me suis dès lors attaché à connaître une histoire, déjà longue, puisque Enseignement et Liberté est né en 1983, en réaction au projet de grand service public, unifié et laïque de M. Savary. La mémoire de l'association, entretenue par ses adhérents et par l'organisation réduite qu'avait su mettre en place M. Boudot nous permet aujourd'hui de rappeler les conditions dans lesquelles il l'a créée et la façon dont il l'a développée et maintenue sur une durée peu courante pour une organisation née pour parer à un danger immédiat.
Alors qu'en 1968 il avait été amené, sans l'avoir voulu, par les événements à défendre courageusement le droit d'enseigner, rien ne le destinait particulièrement à s'engager dans le débat de 1983. S'il l'a fait, et le manifeste qu'il a publié à cette époque le dit très clairement, c'est parce qu'il estimait qu'avec la liberté d'enseignement, telle qu'on la comprend dans notre pays, à travers le dualisme public/privé, c'étaient aussi les libertés de l'enseignement qui étaient en cause.
De quoi s'agissait-il ? Tout simplement de faire la preuve que la liberté d'enseignement ne pouvait pas se limiter à un simple objet de négociations entre états-majors, mais qu’elle concernait chacun de nous.
Maurice Boudot a créé Enseignement et Liberté avec quelques associés et les quelque milliers de francs qu’ils avaient apportés. À partir de cette base de départ modeste, il a édifié une association réunissant,
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Après avoir participé aux manifestations de 1984, Enseignement et Liberté a organisé des colloques, en 1985 avec M. Alain Peyrefitte, en 1989 avec M. Jean Foyer et, depuis 1990, attribue tous les deux ans des prix à des auteurs de livres ou de travaux consacrés à la liberté d'enseignement.
Maurice Boudot a souhaité que ces prix soient remis à leurs bénéficiaires dans le cadre prestigieux du palais du Luxembourg, lors d’une journée placée sous le haut patronage du président du Sénat et au cours de laquelle des débats permettent de traiter, avec des invités français et étrangers, de questions telles que la réforme des lycées, l’avenir des grandes écoles ou le financement de l’éducation.
Ces manifestations auraient pu valoir à notre association et à son président un rôle confortable et flatteur dans le concert de ceux qui, devant la dégradation du rayonnement culturel de la France, de la qualité de notre langue et de la faculté de raisonnement des jeunes générations, se contentent de penser " ces événements nous dépassent, feignons de les avoir organisés ".
Bien au contraire il a, en toute indépendance et avec le soutien du conseil d’administration et des adhérents, porté au fil des jours un regard dont le recul nous permet d’apprécier la clairvoyance, tant sur la politique de l’enseignement que sur les rapports entre le public et le privé. En témoignent parfaitement les analyses qu’il a publiées dans notre Lettre trimestrielle, du numéro 1, de septembre 1983 dans lequel il prévoyait que la mobilisation de l’opinion publique ferait échouer le projet Savary, au numéro 69 de septembre 2000, où il faisait le bilan de l’action de M. Allègre.
Cette chronique de vingt ans de lutte pour la liberté et la qualité de l’enseignement reste aujourd’hui précieuse pour ceux qui cherchent à comprendre comment ont pu se créer des situations aussi intolérables que celles de l’illettrisme ou de la violence à l’école par exemple.
C’est pourquoi je suis heureux que notre Conseil ait souhaité la publication en un recueil de ces textes, estimant à juste titre que leur présence sur notre site Internet ne suffit pas à leur pleine utilisation pour la défense de nos idées.
La publication de cet ouvrage sera la meilleure façon de rendre hommage à son action et de la continuer.
Armel Pécheul Tweet |