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Apprentissage de la lecture : bilan et perspectives (Novembre 2006)
Après l’initiative prise fin 2005 par Monsieur Gilles de Robien Ministre de l’éducation nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche Ghislaine Wettstein-Badour le 15 novembre 2006 - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. -
L’initiative de Monsieur de Robien a trouvé sa conclusion dans le communiqué publié le 8 novembre 2006 par le ministre en même temps que le rapport commandé à l’inspection générale de l’éducation nationale pour évaluer l’application des nouvelles instructions données aux maîtres. Voici la conclusion de ce communiqué : « Le rapport indique notamment que les nouveaux textes (circulaire du 3 janvier 2006 et arrêté modificatif des programmes du 24 mars 2006) sont bien appliqués dans les classes : dans la très grande majorité des cas, les maîtres ont engagé le travail qui leur est demandé ». Ainsi donc, vu du ministère, les actions engagées en décembre 2005 pour réformer les méthodes d’apprentissage de la lecture ont débouché sur de « nouveaux textes » dont l’application est « engagée ». Le temps est donc venu de faire un bilan de ce qui s’est passé depuis les premières déclarations du ministre en décembre 2005 jusqu’au communiqué du 8 novembre 2006.
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-1- Le débat suscité par le ministre a été centré à juste titre sur la question essentielle du « mode opératoire » de l’enseignement du code alphabétique de la langue. Ne prenant que partiellement en compte les apports des travaux scientifiques et techniques sur ce sujet, les conclusions ont été insuffisantes pour trancher convenablement.
- Monsieur de Robien a eu le mérite d’ouvrir ce dossier ; il a très justement relevé le nombre anormalement élevé d’élèves arrivant en fin d’école primaire sans maîtriser leur langue (lecture, écriture, orthographe) et il a proposé de remédier à cette situation en agissant sur les pédagogies de l’apprentissage de la lecture.
- Il est le premier ministre de l’éducation nationale à avoir osé mettre fin au monopole détenu par les seuls chercheurs en « sciences de l’éducation », s’agissant de questions pédagogiques. Il a, en particulier, fait appel à des chercheurs en « psychologie cognitive ». Le débat scientifique et technique a été beaucoup trop bref et donc très largement insuffisant mais il a permis toutefois une avancée importante : lecœur du débat a bien été identifié car le « mode opératoire » utilisé pour enseigner le code alphabétique a été mis en cause.
Les trois approches possibles ont été clairement explicitées et publiées : -l’approche synthétique qui procède des parties (les graphèmes) vers le tout (les mots) ; c’est celle des méthodes alphabétiques et non syllabiques comme le langage courant les qualifie à tort ; -l’approche analytique qui procède du tout (le mot) vers les parties ( les graphèmes) ; c’est celle des méthodes globales ; -l’approchemixte qui combine les deux précédentes ; c’est celle des méthodes dites mixtes, semi-globales ou intégratives.
Par contre, un consensus exprimé dans deux textes cosignés par une vingtaine de chercheurs affirme que les études d'évaluation ne font pas ressortir de différences significatives d'efficacité entre les trois approches possibles.
Une vingtaine de chercheurs en sciences psycho-cognitives, en psycho-linguistiques ou en sciences de l’éducation ainsi qu’un certain nombre de pédagogues (notamment certains de ceux choisis comme experts par le ministre) se sont prononcés sur cette question de l’approche du code alphabétique dans deux textes publiés, l’un en février 2006 sur le site de Monsieur Franck Ramus (1) puis dans le Monde de l’éducation en mars 2006, l’autre fin octobre 2006 publié sur le même site. Voici ce que l’on peut y lire : - dans le texte de février 2006 : « du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l’approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe et le mot) » - dans le texte d’octobre 2006 : « Il faut enseigner les relations graphèmes-phonèmes (entre les lettres et les sons) de manière systématique et explicite, dès le début du cours préparatoire. Il existe de nombreuses manières d'enseigner les relations graphèmes-phonèmes: des approches synthétiques, combinant les phonèmes pour construire les syllabes et les mots; des approches analytiques, décomposant les mots en syllabes et en phonèmes; et des approches combinant à divers degrés les deux précédentes. Les études d'évaluation ne font pas ressortir de différences significatives d'efficacité entre ces différentes approches. Les résultats scientifiques actuels suggèrent donc d'écarter les méthodes qui n'enseignent pas les relations graphèmes-phonèmes, ou qui ne les enseignent pas de manière explicite et systématique, ou qui ne les enseignent pas suffisamment tôt (souvent appelées "méthodes globales", ou selon les acceptions, correspondant à une partie des méthodes globales). Toutes les autres méthodes semblent acceptables. »
Il est étonnant et regrettable que le ministre n’ait pas cru bon de consulter unensemble plus vaste de travaux, incluant ceux de la neurophysiologie (qui est une des branches des neurosciences) car cette prise en compte l’aurait conduit à un éclairage supplémentaire et surtout à une conclusion beaucoup plus tranchée, d’autant plus que les travaux théoriques qui concernent l’apprentissage de la lecture ont été confirmées, très récemment, par les résultats d’expérimentations très sérieuses !
Cependant, la dernière phrase de la citation rapportée ci-dessus permet de conclure qu’à l’exception de la méthode globale, formellement exclue, toutes les autres pédagogies étant « acceptables », la méthode alphabétique l’est également ! C’est bien la première fois que certains signataires ont accepté d’apposer leur nom au bas d’un tel texte ! C’est cette opportunité que je me suis permise de signaler au ministre dans ma très récente lettre ouverte » pour lui donner les moyens de corriger les effets des ses initiatives plus que malheureuses.
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-2- La volonté du ministre s’est concrétisée par deux textes qui ne changent rien de significatif par rapport aux programmes 2002 et qui interdisent juridiquement aux maîtres qui le souhaitent le choix d’enseigner le code avec une « approche synthétique » (alphabétique).
-21- circulaire du 5 janvier 2006
En voici les passages concernant l’apprentissage du code que le ministre a lui-même considéré comme les plus importantsen les publiant en caractères gras.
« Apprendre à lire résulte de la découverte du principe alphabétique de notre langue. Les chercheurs en France et à l’étranger, en sont d’accord : l’apprentissage de la lecture passe par le décodage et l’identification des mots conduisant à leur compréhension » …………/………….. « L’automatisation de la reconnaissance des mots nécessite des exercices systématiques de liaison entre les lettres et les sons et ne saurait résulter d’une mise en mémoire de la photographie de la forme des mots qui caractérise les approches globales de la lecture : j’attends donc des maîtres qu’ils écartent résolument ces méthodes qui saturent la mémoire des élèves sans leur donner les moyens d’accéder de façon autonome à la lecture Déchiffrer les mots dans l’ordre constitue un savoir-faire indispensable, mais ne suffit pas : le but de la lecture est d’accéder au sens précis des mots, puis des phrases, puis des textes et non seulement au bruit des mots »
Constat : Le ministre insiste sur le fait qu’il faut pratiquer le décodage. Il l’écrit dans ces passages et dans d’autres de sa circulaire mais il ne précise nulle part selon quel « mode opératoire » il faut procéder. Il estime d’ailleurs, et ce à juste titre, que ce n’est pas son rôle en précisant que: « Apprendre la lecture à un enfant est l’affaire des maîtres et des maîtresses : je veux leur exprimer ici toute ma confiance » et il ajoute ensuite que ceux-ci serontmieux formés et que les inspecteurs, les conseillers pédagogiques, les formateurs des IUFM sont les premiers responsables de la mise en œuvre de la circulaire qui sera complétée par des instructions plus détaillées.
-22- l’arrêté du 24 mars 2006 publié au journal officiel le 30 mars 2006 (2)
Ce texte, destiné à amender les programmes de 2002, est, quant à lui, très précis en ce qui concerne le « mode opératoire » que les maîtres sont tenus de respecter pour enseigner le code alphabétique. Voici les dispositions prévues :
« Le III, intitulé « Cycle des apprentissages fondamentaux - cycle 2 », de l'annexe de l'arrêté du 25 janvier 2002 susvisé, partie « Maîtrise du langage et de la langue française », est modifié comme suit :
- au troisième alinéa du 2 « Lecture », la phrase : « La plupart des méthodes de lecture proposent aujourd'hui des programmes de travail équilibrés » est supprimée ;
- Constat :Il suffit de savoir lire pour reconnaître le « mode opératoire » imposé par ce texte. Il s’agit bien évidemment de « l’approche mixte » des méthodes semi-globales décrite ci-dessus. Le fait que le texte indique de façon impérative« on utilise deux approches complémentaires », impose cette complémentarité et élimine donc les méthodes alphabétiques qui n’utilisent que l’approche « synthèse à partir de leurs constituants, de syllabes ou de mots réels ou inventés ». Autrement dit, dans ce texte, le ministre a été plus restrictif que ses experts alors que ses orientations auraient du le conduire au moins à suivre leur avis !
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-3- un rapport sans surprise de l’inspection générale de l’éducation générale publié le 8 novembre 2006(3)
Les modifications des modes opératoires prévus par les nouveaux textes sont « de l’ordre de la légère inflexion », comme l’a très justement déclaré, non sans ironie, une personnalité du monde pédagogique lors du séminaire académique sur la lecture organisée dans les Hauts de Seine en mai dernier.En fait elles se limitent, pour faire plaisir au ministre, à demander aux enseignants de donner un peu plus de place qu’auparavant au travail pratiqué sur le code mais en leur imposant « l’approche mixte ». Dans ces conditions, pratiquement rien n’étant à modifier, le résultat d’une inspection était connu d’avance !
Néanmoins, ce rapport de 15 pages est édifiant et j’en recommande très vivement la lecture à tous ceux que cette très importante question intéresse et en particulier aux parents ayant des enfants bientôt en âge d’apprendre à lire. Je ne suis pas certaine qu’après avoir pris connaissance de ce texte ils soient rassurés mais, au moins, ils seront informés !
Je n’évoquerai qu’un seul point abordé dans ce texte car il ne manque ni de sel ni d’audace de la part de ses rédacteurs. Ceux-ci soulignent, en effet, (page 9) et même dénoncent (page 13) ce qu’ils appellent « les malentendus » ou « l’amalgame fait entre manuels et méthodes ». Certes, de tous temps, les maîtres se sont appuyés sur des manuels pour faire leur cours en y ajoutant leur valeur ajoutée personnelle et professionnelle, ce qui est tout à leur honneur ! De ce point de vue, les manuels sont une chose et les cours une autre. Cependant on ne peut pas soutenir sérieusement que, pour enseigner à lire, le choix du manuel par l’enseignant n’est pas un indice sérieux sur le « mode opératoire » qu’il utilise pour enseigner le code alphabétique. C’est ainsi que les manuels bien connus utilisés dans les 200 classes visitées par les inspecteurs et cités dans le rapport (page 7) proposent et induisent tous une « approche mixte » du code qui est, d’ailleurs, celle imposée aux enseignants ! Les textes sont donc parfaitement appliqués !
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-4- Après cet épisode quelles sont les perspectives si rien n’est modifié ?
- 41- Il n’y a aucune raison objective pour que les résultats s’améliorent puisque rien de substantiel n’est changé ; en effet, engager comme l’écrit l’inspection générale(page 12) « l’étude systématique des relations graphèmes phonèmes » n’est pas une nouveauté mais une très petite inflexion, d’autant que le « mode opératoire » employé ne change pas ! Pour mémoire voici ce qui peut être lu actuellement sur le site du ministère (4), s’agissant de la dernière évaluation nationale publiée concernant les élèves entrés en 6éme en septembre 2005.
« …/… Lecture des résultats Remarques générales Le score moyen global en français en sixième est de 58,45 % ; cependant on note que l’amplitude entre les 10% des élèves les plus faibles et les 10% les plus forts est de 60 points environ.
- 42- Juridiquement, les enseignants sont tenus de respecter les programmes 2006 qui constituent pour eux des instructions impératives. Ces instructions sont claires et interdisent l’utilisation du « mode opératoire » synthétique (ou alphabétique). Or un certain nombre d’enseignants courageux ayant donné la priorité à la réussite des enfants avant celle de leur carrière ont mis en place des pédagogies alphabétiques, avec succès. Il est probable que leur encadrement hésitera à les sanctionner tant que l’actuel ministre sera en place mais après….. ??? !!! Le programme 2006 de Monsieur de Robien est donc, pour eux, une véritable bombe à retardement.
- 43- Compte tenu de l’extrême importance de la qualité de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture de leurs enfants, il appartient aux parents de prendre leurs responsabilités en ayant à l’esprit que, malheureusement, il est actuellement très risqué de faire confiance « les yeux fermés » à l’école (qu’elle soit publique ou privée sous contrat). Sur le plan pratique les conseils que je leur donne sont donc les suivants : - ne pas « croiser le fer » avec les enseignants qui sont, dans leur immense majorité, des professionnels dévoués et des gens de qualité convaincus de bien faire dès lors qu’ils appliquent ce qui leur a été enseigné dans les IUFM ainsi que les programmes qui leur sont imposés. S’en prendre à eux est injuste, inefficace et ne peut mener qu’à de l’animosité malsaine. - observer régulièrement les progrès de son enfant au fil des semaines et des mois. Si dès la grande section de maternelle, il s’adapte mal aux activités portant sur le langage écrit et si, à plus forte raison, au plus tard à la Toussaint en CP, il ne progresse pas et semble perturbé dans son comportement scolaire alors qu’il ne manifestait pas, auparavant,d’anomalies de nature physique ou intellectuelle, il y a de fortes chances pour que la pédagogie qui lui est proposée ne lui convienne pas. Dans ce cas, il est indispensable de prendre à son compte cet apprentissage à l’aide d’un ouvrage mettant en œuvre une pédagogie qui utilise une approche synthétique (alphabétique) pour lui permettre d’accéder à la lecture dans de bonnes conditions. Ceci ne pose aucun problème avec l’école si cette situation est gérée avec tact et diplomatie car l’objectif est d’appendre à lire à son enfant et non de faire la guerre à qui que ce soit !
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-5- Conclusion –
Bien entendu personne ne peut se féliciter de la situation créée par les textes que Monsieur de Robien va léguer en héritage à ses successeurs car elle perpétue :
- le taux d’échec dans la maîtrise du langage écrit (lecture, écriture, orthographe) constaté depuis de nombreuses années par le ministère lui-même (cf : (4) ses propres évaluations à l’entrée en 6ème ) ;
- l’inégalité entre les enfants qui ont la chance d’appartenir à des familles qui ont les moyens de venir à leur secours en cas d’échec et ceux qui ne l’ont pas.
Bien entendu, depuis maintenant 20 ans que je travaille sur ce dossier, mon propos n’est pas de prendre date et d’attendre passivement, pour les dénoncer, les résultats des évaluations en Français, à l’entrée en 6ème des enfants qui sont actuellement en CP et constituent la première « promotion » à « bénéficier » des programmes 2006 de Monsieur de Robien.
Mon espoir est que, le plus tôt possible, soient pris en compte les arguments théoriques et expérimentaux dont on dispose aujourd’hui et que le ministre n’a pas retenus dans sa réflexion. Ils démontrent en effet très clairement que, contrairement à ce qui a été écrit par les experts qu’il a choisis et quelques autres, il importe que le « mode opératoire » utilisé pour enseigner le code alphabétique obéisse à la seule approche synthétique qu’offrent les méthodes alphabétiques.
Je prendrai très prochainement une initiative pour tenter de porter ces arguments à la connaissance de tous ceux qui voudront bien les prendre en considération. Pour qu’on puisse un jour avoir une chance sérieuse de permettre à la presque totalité des enfants d’apprendre à lire sans difficultés majeures, il faut en premier lieu bâtir un consensus scientifique et technique, indépendant de toute considération d’ordre politique ou idéologique, entre tous ceux qui peuvent valablement apporter une contribution sur ce sujet afin que les pouvoirs publics puissent ensuite en tirer les conséquences au niveau des textes juridiques. Monsieur de Robien a malheureusement choisi la démarche inverse.On ne peut que le regretter.
G Wettstein-Badour
(1) adresse site Monsieur Franck Ramus : www.ehess.fr/centres/lscp/persons/ramus/lecture/index.html (2)site www.legifrance.gouv.fr (rechercher journal officiel du 30 mars 2006) Tweet |