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Lettre N° 64 - ATTALI ET L’AVENIR DES GRANDES ECOLES ET DES CLASSES PREPARATOIRES (2)
LE RAPPORT ATTALI ET L’AVENIR DES GRANDES ECOLES ET DES CLASSES PREPARATOIRES Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, je suis très honoré d’avoir été appelé à prendre la parole devant vous. Le thème qui m’a été proposé est " Le rapport Attali et l’avenir des grandes écoles et des classes préparatoires " . Je voudrais d’abord vous rappeler un certain nombre de données concernant les grandes écoles, après m’être présenté. J’appartiens au Corps des mines, mais j’ai fait l’essentiel de ma carrière dans l’enseignement supérieur et la recherche, dans un cadre un peu particulier qui relève du ministère de l’Industrie. J’ai commencé par passer quinze ans à l’école des mines de Saint-Étienne et, depuis longtemps déjà, je suis à l’école des mines de Paris. L’école des mines de Paris a contribué à mettre sur pied une association qui s’appelle la Conférence des grandes écoles. Elle joue, je crois, un rôle assez important et a la particularité d’avoir 50% de ses membres seulement qui appartiennent au ministère de l’Éducation nationale. C’est un groupe qui permet d’avoir une bonne vision de ce qu’est l’enseignement supérieur technique et de gestion dans le pays et qui, en même temps, de par sa position un petit peu indépendante, a une liberté de parole que d’autres n’ont peut-être pas Quelques mots d’abord sur les grandes écoles, puisque l’on en parle beaucoup, en particulier dans le rapport Attali. C’est un terme qui recouvre une réalité qui n’est pas bien connue et qui évoque, en général, des institutions emblématiques qui sont l’École polytechnique, l’École nationale d’administration et l’École normale supérieure ou HEC. Mais, en dehors de ce champ de vision, dans lequel entrent peut-être aussi les écoles d’application de l’X, le terme grandes écoles n’évoque pas vraiment ce qui correspond à la réalité. Je conviendrai sans difficulté que ces écoles emblématiques jouent un rôle très particulier et que c’est pour cette raison que ce sont elles qui sont attaquées le plus fréquemment, mais il faut savoir que derrière il y a tout un ensemble d’établissements qui ont des caractéristiques intéressantes. Historiquement, ces écoles étaient des écoles professionnelles qui se sont développées à partir du XVIIIe siècle puisque l’École des ponts et chaussées a été créée en 1747 et celle des mines de Paris en 1783. Cette notion d écoles professionnelles de haut niveau, appelées à fournir à l’industrie des cadres supérieurs, est antérieure à la Révolution et correspond à une réalité économique et au fait que les établissements d’enseignement qui existaient à l’époque n’avaient pas pour vocation de former des professionnels. Dans les statuts de l’école des mines de Paris, la mission de l’école consistait à cette époque à fournir des cadres à l’industrie minière et dans l’arrêt du roi du 19 mars 1783, figure une expression que j’aime beaucoup qui est la mission de cet établissement de fournir à l’industrie minière des " directeurs intelligents ". Je reprends à mon compte cette mission que je crois d’une grande modernité. Les écoles se sont développées au XIXe siècle et il y a eu une mutation assez sensible de la mission vers la formation d’ingénieurs disciplinaires : chimistes, électroniciens, de nos jours informaticiens. Le grand mouvement de création des écoles date de la fin du XIXe siècle. L’École centrale a été créée en 1829, avec une mission que je trouve aussi assez jolie qui consiste à fournir " des médecins des ateliers et des fabriques " . C’est différent de l’École des ponts et chaussées ou de celle des mines de Paris mais c’est aussi, une manière très imagée de dire ce que font les ingénieurs, l’idée de l’École centrale étant de fournir des ingénieurs à l’industrie privée alors que les autres écoles étaient en lien très étroit avec les services de l’État. Je vais insister sur ce point de la relation avec l’État. Il est tout à fait clair, toutes les analyses conduisent à cette conclusion, que le prestige associé aux formations d’ingénieurs est une conséquence du lien qu’a établi l’École polytechnique entre la formation d’ingénieurs et l’accès à des postes de haut niveau dans l’appareil de l’État. C’est lié à la structure de la société française. Ce prestige résulte en partie du fait que l’entrée dans ces établissements relève d’un concours, la notion de concours étant elle consécutive à la Révolution et étant devenue d’ailleurs une modalité fondamentale d’accès à la fonction publique, ce que je crois personnellement tout à fait essentiel dans le fonctionnement de la République. Le prestige en question a rejailli sur l’ensemble des écoles et l’on peut constater que, à l’heure actuelle, dans la plupart, si ce n’est la totalité, des pays industrialisés le nombre des étudiants candidats à des études scientifiques et à des études d’ingénieur a diminué drastiquement, depuis cinq ans, à l’exception de la France. Ce n’est pas que la technologie ou la science soient véritablement plus populaires en France qu’ailleurs, mais le fait de faire des études d’ingénieurs, des études scientifiques prédispose à avoir un statut social enviable. Donc, de ce point de vue, comme je pense aussi que la possession d’un bon potentiel scientifique et technique est importante pour un pays, je pense que le système est plutôt un atout pour la France. À l’heure actuelle, en 1998, il y a un peu plus de 200 formations d’ingénieurs qui sont habilitées par la commission des titres d’ingénieurs, selon une procédure qui consiste à soumettre le dossier pour expertise et avis à la commission des titres, la décision revenant pour le secteur public au ministre de l’éducation nationale. Ceci ne veut pas dire qu’il y ait plus de 200 établissements car certains, dont le mien, délivrent plusieurs diplômes d’ingénieurs. Depuis 1989 où le président de la République avait annoncé, au cours d’une allocution dans un collège d’Evry, que le nombre des diplômés ingénieurs serait doublé d’ici à 1997, ce doublement a été pratiquement acquis grâce à la création massive d’une part d’écoles d’ingénieurs dans les universités, soit sous forme d’établissements avec une relative autonomie, soit simplement des unités d’enseignement et de recherche avec quelques dérogations et également par la création et l’ouverture d’écoles privées qui ont apporté une contribution très sensible au nombre des diplômés ingénieurs en France. Nous avons un petit peu brouillé les cartes en créant cette association, la Conférence des grandes écoles, puisque bien entendu il nous a fallu trouver une définition des grandes écoles. Il est bien évident qu’une admission sur la base du prestige et de la réputation pose quelques petits problèmes même si cette dimension n’est pas du tout absente des procédures d’admission à l’association. Nous avons insisté sur des éléments structuraux. Le premier est l’autonomie de l’établissement, avec un budget bien identifié, car il est bien évident, comme le montre l’expérience d’universités étrangères où il y a des départements d’ingénierie, que lorsqu’il faut discuter le budget d’une formation d’ingénieurs et le comparer au budget d’une formation de germanistes, la lutte est inégale, car, de toute façon les études d’ingénieur coûtent très cher, beaucoup plus cher, en tout cas, que celles de bien d’autres disciplines. Le fait d’avoir un budget bien identifié est, pour nous, important, car, sans budget, on ne peut pas assurer une qualité de l’enseignement suffisante. D’ailleurs c’est aussi un critère retenu par la commission des titres d’ingénieurs pour donner son habilitation. Le deuxième critère est d’avoir une taille suffisante. En effet il y avait des écoles qui avaient des effectifs très faibles. Nous avons fixé un minimum qui est de 50 élèves par an, ce qui est encore un peu de l’homéopathie. Troisième caractéristique, il faut que le directeur soit nommé et non pas élu par ses pairs. Cela nous paraît très important dans la mesure où une école d’ingénieurs est un établissement qui doit avoir des relations très actives avec l’extérieur et en particulier avec des partenaires industriels. Il faut que l’on puisse identifier un responsable capable de faire passer un certain nombre de messages dans son institution. Enfin, et c’est l’essentiel, le recrutement doit se faire sur une base de numerus clausus. Il y a un certain nombre de places disponibles et le recrutement se fait au mérite sur la base de concours, d’examens, avec plus de candidats que de places offertes d’où une certaine sélection. Il y a actuellement à la Conférence des grandes écoles cent trente écoles d’ingénieurs et trente écoles de gestion. Sur ces cent trente écoles d’ingénieurs, à peu près quatre-vingt relèvent du ministère de l’Education nationale, et sont d’ailleurs regroupées dans une conférence interne au ministère qui s’appelle la CEDEFI. Il y a à peu près une trentaine d’écoles publiques qui ne dépendent pas du ministère de l’Education nationale mais de ministères techniques tels que la Défense, l’Industrie, l’Agriculture et, naguère, les Télécommunications. Il se trouve d’ailleurs que la plupart des école les plus prestigieuses sont dans ce groupe. Incidemment, M. Allègre avait manifesté, de manière très active, le souhait d’avoir au moins la cotutelle de l’ensemble des établissements publics d’enseignement supérieur. Il n’a pas obtenu cette cotutelle, mais simplement d’être associé à la tutelle de ces établissements, sachant d’ailleurs que, d’une manière générale, les établissements en cotutelle ont beaucoup de mal à fonctionner. Quant aux écoles de commerce, la plupart sont des écoles privées ou semi-privées dépendant des chambres de commerce. Il y a donc une grande diversité, le tout fournissant à la nation à peu près 20000 diplômés par an. Ceci est assez mal connu, parce que l’ensemble du système est un peu occulté par ces institutions emblématiques, auxquelles je suis par ailleurs extrêmement attaché. Cette occultation fait que les évolutions extrêmement rapides et très spectaculaires du système sont passées inaperçues. Par exemple le développement de la recherche, 20% de la totalité des docteurs en France étant constitué actuellement de doctorants qui ont préparé leur thèse dans les écoles. Il en est de même pour l’internationalisation : il n’y a pas d’école qui n’ait des accords d’échange de professeurs et d’étudiants, la recherche ayant joué un grand rôle dans l’internationalisation. La conférence des grandes écoles a d’ailleurs passé des accords engageant l’ensemble de la collectivité avec des établissements aussi prestigieux que l’université de Berkeley où le MIT aux États-Unis mais également avec bien d’autres. Tout cela est en contradiction avec les reproches qui sont habituellement formulés à l’égard du système, le seul véritablement fondé étant d’être sélectif. Je ne sais pas si nous ne pouvons pas revendiquer cette caractéristique, mais il faut savoir que ce n’est pas dans l’air du temps et que ce ne sera d’ailleurs jamais dans l’air du temps, un système sélectif ne pouvant pas être populaire par définition. Je voudrais indiquer d’ailleurs que nous avons des relations extrêmement étroites avec les universités. C’est ainsi que dans l’ensemble des grandes écoles , il n’y a actuellement que cinquante pour cent des élèves qui sont passés par les classes préparatoires, les autres étant admis soit directement après le baccalauréat, soit sur titre universitaire. De même, dans le personnel enseignant, si nous avons besoin de professionnels, de gens qui aient d’autres profils que le profil académique, la majorité des enseignants permanents et la quasi-totalité de ceux des écoles dépendant de l’Éducation nationale sont des professeurs d’université, recrutés après avis des sections compétentes du CNU. Enfin, nous ne pouvons pas faire de recherche si nous ne sommes pas cohabilités avec une université, en particulier en ce qui concerne les DEA. Par exemple, à l’école des mines, nous avons quatorze DEA cohabilités avec une dizaine d’universités. Ces relations sont donc extrêmement intenses, même si elles se font au niveau du terrain et non pas au niveau politique. Cela me fournit une transition pour parler du rapport Attali car vous vous souvenez sans doute qu’au mois de juillet 1997 la mission Attali avait été constituée pour faire des préconisations sur le rapprochement entre les grandes écoles et les universités. Je voudrais, avant de décrire les principales caractéristiques du rapport Attali rappeler un événement politique qui n’était pas sans importance pour nous, la réunion de l’ensemble des directeurs d’école, le 9 juillet 1997, à l’initiative du ministre de l’Education nationale, avant le lancement de la mission Attali, au cours de laquelle M. Allègre nous a expliqué qu’il était hors de question pour lui de supprimer les classes préparatoires et les grandes écoles. Cette précision n’était pas totalement inutile quand on avait écouté les déclarations du conseiller spécial de M. Jospin qu’il avait été. Le discours a consisté à nous rassurer sur le plan existentiel, mais à nous demander tout un tas de choses qui, je m’empresse de le dire, étaient frappées au coin du bon sens. Par exemple on nous a demandé de nous rassembler en réseaux, car, pour tout un tas de raisons, une optimisation des moyens, une amélioration de la visibilité, l’existence d’une poussière de petits établissements qui présentent de nombreux avantages par ailleurs, mais aussi quelques inconvénients, font que nous n’avons aucune peine à suivre cette recommandation puisque nous avions de nous-mêmes anticipé avec le réseau des écoles centrales, celui des écoles des mines, des sciences du vivant etc.. La deuxième recommandation était de faire plus d’international. Cela demande de préciser dans quelles conditions mais, comme dans la plupart des écoles l’on essaye d’augmenter les effectifs des étudiants venant d’autres pays, cela me paraît de bonne politique. Dans le cas de l’école des mines, qui est celui que je connais le mieux, nous avons vingt pour cent d’étudiants étrangers dont l’essentiel se trouve dans les formations après diplôme, doctorats et formations spécialisées alors que les formations initiales comptent cinq à six pour cent d’étudiants étrangers ce qui est très supérieur à ce que font bien des universités. En tout cas, bien supérieur à ce que font la plupart des universités étrangères car, en Europe, en dehors de l’Angleterre et de la France, la plupart des pays ont très peu d’étudiants étrangers, pour des raisons linguistiques ou autres. Autre recommandation, faire plus de formation continue, être plus impliqués dans la formation des cadres industriels. Pourquoi pas. Voilà tout un tas de choses qui nous ont été dites au mois de juillet 1997 et que nous avons acceptées et reprises à notre compte. Le rapport Attali a une ambition beaucoup plus large et traite de l’enseignement supérieur dans vingt ans. Je pense effectivement que, compte tenu de la composition de la commission, limiter son rôle à des recommandations pratiques sur le rapprochement des grandes écoles et de l’Université était un peu limité et la mission s’est élargie. Le rapport Attali comporte une introduction qui est purement idéologique sur l’organisation de l’enseignement supérieur. On sait qu’aux États-Unis c’est un système avec un certain nombre d’universités d’État mais la plupart, les plus prestigieuses, sont des universités privées. Pourquoi n’aurait-on pas un système comme celui-ci ? Le rapport Attali préconise très fortement de ne pas adopter un tel système mais de choisir que l’État assure l’égalité des chances. On peut mettre derrière ce vocable beaucoup de choses mais il faut savoir que la pression politique s’exerce, toutes tendances confondues, pour que de plus en plus de jeunes puissent accéder à un système qui a les caractéristiques de l’enseignement supérieur, c’est-à-dire à un enseignement post baccalauréat, l’intention étant d’augmenter le niveau de connaissances de la population dans son ensemble. Je pense que cet objectif est totalement incontournable et la meilleure preuve est que tous les pays développés ont fait ce choix politique, y compris l’Angleterre. Je me rappelle personnellement avoir rencontré, à l’époque de Mme Thatcher des responsables du British Council qui avaient annoncé qu’ils s’engageaient dans cette voie et lorsque que je leur ai demandé pourquoi ils faisaient cela, la réponse a été parce que tout le monde le fait. C’est un petit peu léger mais politiquement il est impensable de ne pas augmenter sensiblement les possibilités d’accès au système post baccalauréat. Il est d’ailleurs remarqué dans le rapport Attali que compte tenu de ce type de pressions, en dépit de toutes les critiques qui peuvent être faites au système dont nous disposons, il a fait face avec un succès qui doit être pris en considération, même si, évidemment, il y a tout un tas de choses à améliorer. C’était un système très complexe : mais quand on veut accueillir la moitié d’une classe d’âge il faut obligatoirement que le système soit adapté à des profils extrêmement divers, je dirais même à des niveaux extrêmement divers. Quant aux grandes écoles, il est écrit dans le rapport Attali que " ce sont des machines à reproduire les élites " . Si l’on s’en tient aux chiffres bruts, c’est un fait incontestable. C’est ainsi que 70 % des élèves de l’École des mines viennent de ce qu’il est convenu d’appeler les classes favorisées, professions libérales, enseignants du secondaire et du supérieur. Ce chiffre est à peu près stable depuis vingt-cinq ans. Tout cela pourrait justifier beaucoup de commentaires mais quelles sont les propositions de réforme du rapport Attali ? Tout d’abord l’un des objectifs recherchés est d’avoir une meilleure intelligibilité européenne de notre système de diplômes. C’est la raison pour laquelle lors de la manifestation à la Sorbonne qui était une suite spectaculaire du rapport Attali, à l’occasion d’un soi-disant huit centième anniversaire de la Sorbonne, au mois de mai dernier, une déclaration a été signée par les ministres de l’Éducation nationale d’Allemagne, d’Italie, de Grande-Bretagne et de France. Cette déclaration a manifesté l’intention des quatre gouvernements de faire des efforts pour mettre en place le fameux 3,5,8 correspondant à des diplômes à bac plus trois, bac plus cinq et bac plus huit. Jusque-là rien de très compromettant sinon que lorsque l’on arrive à la réalisation pratique cela pose des problèmes. Cette tendance n’est pas critiquable mais tout dépend de la façon de la mettre en oeuvre, car, comme le disent les Anglo-Saxons, " le diable est dans les détails " . La deuxième remarque est que les premiers cycles universitaires ont beaucoup de mal à fonctionner. Le modèle recommandé explicitement par M. Attali est le modèle des classes préparatoires. Donc la grande crainte des classes préparatoires est de passer dans l’enseignement supérieur, ce qui est fait en partie, mais pas pour les professeurs. Je dois dire que si c’est ce qui se fait ce n’est pas ce qui est écrit dans le rapport Attali. Dans le rapport Attali il est écrit que les classes préparatoires sont le modèle, qu’il faut le transposer au premier cycle des universités, que ça demandera beaucoup de moyens et que tant que ces moyens ne sont pas affecté aux universités, l’on ne touche pas aux classes préparatoires. En ce qui concerne les grandes écoles, il est précisé qu’elles doivent rester le lieu de formation des élites techniciennes. Je ne sais pas ce que veut dire les élites techniciennes mais le rapport Attali reconnaît explicitement le caractère d’utilité, comme outil de formation des élites, des grandes écoles. Enfin il y a un chapitre particulier concernant l’X et l’ENA et plus précisément les relations entre ces deux institutions et la haute fonction publique. Le recrutement de ses hauts fonctionnaires est un problème qui concerne l’État français. La préconisation du rapport Attali est de déconnecter la formation X, ENA ou tout au moins X du recrutement des hauts fonctionnaires et de dire qu’on ne peut pas recruter un haut fonctionnaire qui n’ait pas au minimum cinq années d’expérience professionnelle. Cette remarque de bon sens me paraît difficilement contestable, toutefois, dans le contexte français, si cette mesure était effectivement mise en oeuvre, il est bien évident que le standing intellectuel de la fonction publique française s’alignerait sur celui des autres pays, c’est-à-dire bien au dessous de ce qu’il est actuellement, ce qui est un choix politique et une conséquence mécanique de cette recommandation Maintenant quelles sont les perspectives d’avenir ? Mme Zehringer l’a bien souligné, il y a un décalage considérable entre les déclarations du ministre de l’Éducation nationale et ce qui se passe sur le terrain ou même ce qui peut se passer à court terme. Pour ceux qui ont vu leurs heures supplémentaires diminuer de 17% il s’est effectivement passé quelque chose, mais il y a tout un tas d’annonces qui ont été faites et qui n’ont pas été suivies d’effets. En ce qui concerne les classes préparatoires, il y a effectivement un bureau des classes préparatoires qui est rattaché à la Direction générale des enseignements supérieurs, donc on peut dire que les classes préparatoires sont passées dans le supérieur. Mais, ce qui est le plus important c’est que les professeurs des classes préparatoires soient des professeurs du secondaire. Comme l’avait dit un autre ministre, il ne faudrait pas que les seigneurs de l’enseignement secondaire soient remplacés par les prolétaires de l’enseignement supérieur. Tant que les professeurs des classes préparatoires resteront des professeurs de l’enseignement secondaire, je considère, ce qui n’est peut-être pas le sentiment des professeurs des classes préparatoires, que ces classes ne sont pas franchement menacées. Nous avons périodiquement des escarmouches en ce qui concerne l’organisation des concours. Jusqu’à présent personne n’a remis en cause ni le principe des concours ni même le principe des concours multiples. Dans une logique d’économies, il serait beaucoup plus économique d’avoir un seul concours qui soit une banque de notes dans laquelle toutes les écoles puiseraient. D’abord ce ne serait pas très sympathique pour les candidats et ensuite cela supposerait que les programmes de recrutement des écoles sont tous les mêmes. Je crois pouvoir dire que, à l’heure actuelle, la pluralité des concours n’est pas remise en cause. Jusqu’à quand, je n’en sais rien mais elle n’est pas remise en cause. Je pense que le système des classes préparatoires qui est quand même, même s’il ne fournit pas la totalité de nos étudiants, l’épine dorsale de notre système, pour le moment, n’est pas directement menacé, mais, là comme dans d’autres domaines, nous ne savons pas ce qui peut arriver demain En ce qui concerne les écoles elles-mêmes, là où le bât peut blesser c’est dans le domaine budgétaire car, comme je l’ai indiqué, les écoles coûtent cher, qu’il s’agisse de celles qui dépendent du ministère de l’Éducation nationale ou des autres écoles. Pour bien montrer que tout le monde est bien conscient de cela, les statistiques publiées par le ministère de l’Éducation nationale évaluent le coût des ingénieurs formés à l’Université à 90.000 francs par élève et par an. M. Allègre avait revendiqué la constitution d’un budget coordonné de l’enseignement supérieur qui serait placé sous son autorité. Il aurait été l’interlocuteur unique du ministère du Budget pour son ministère et les autres, à l’instar de ce qui se fait pour le budget de la recherche. Eh bien ceci n’a pas été mis en place. A partir du moment où il n’a pas le contrôle du budget des grandes écoles qui ne sont pas dans son ministères et que, d’autre part, même dans le cadre de son ministère j’ai cru comprendre que dans le cadre des contraintes budgétaires générales les écoles n’avaient pas droit à un traitement de faveur, je considère que le système est d’une grande stabilité. J’ai l’habitude de dire que parmi les gens qui nous gouvernent il y a énormément de parents d’élèves et que ces parents d’élèves sont finalement intéressés à ce que leurs enfants puissent accéder à des institutions donnant une formation de très bonne qualité. Donc, au risque de vous décevoir un petit peu et de décevoir une partie des corps enseignants des établissements avec lesquels je suis en contact, j’ai tendance à dire que le système se porte plutôt bien, que sa notoriété internationale augmente de jour en jour, parce que nous avons trouvé des solutions à des problèmes qui se posent dans les universités et qui y sont pratiquement insolubles et donc que les grandes écoles sont plutôt une structure d’avenir qu’un legs de l’histoire. Roland Drago : Monsieur le directeur vous avez vu que l’on vous a écouté avec une attention qui était très remarquable et qui était à la hauteur de ce que vous avez dit. Non seulement je crois que l’on peut avoir de l’espoir pour le maintien du système des grandes écoles en France parce qu’elles sont justement des systèmes d’excellence et qu’à ce niveau-là, comme tout le monde le comprend, c’est l’excellence qui compte. Je vous pose une seule question : je ne me rappelle plus si le rapport Attali a abordé la question de l’enseignement supérieur court, c’est-à-dire le problème des IUT, de leur extension, de leur transformation. Jacques Lévy : Pour autant que je m’en souvienne je n’en ai pas vu de mention spécifique. Le terme d’IUT doit bien figurer quelque part, mais c’est pour dire qu’il faudrait simplifier tout cela pour entrer dans un système 3, 5, 8. Je voudrais d’ailleurs ajouter que ce 3, 5, 8 correspond bien à un standard international. Si l’on regarde comment sont formés les ingénieurs en Allemagne, en Belgique, en Hollande, au Danemark, en Italie, en Espagne, en fait dans toute l’Europe sauf la France et la Grande-Bretagne , on a un système 3, 5 mais qui est ou 3 ou 5 et non pas 3 plus 2. Ce qui est préconisé dans le rapport Attali c’est 3 pour tout le monde, avec ensuite le choix entre continuer deux ans pour avoir une formation professionnelle et continuer cinq ans pour faire un doctorat. Ce n’est pas du tout le standard européen et comme M. Attali nous a fait l’amitié de venir parler devant l’assemblée générale de la Conférence des grandes écoles, je lui ai fait cette remarque et il m’a répondu : " Les Européens viendront à ce standard ". Patricia Gallimard (déléguée générale de l’Association des parents pour la promotion de l’enseignement supérieur libre - APPESL-) : - Vous dites que le système des classes préparatoires n’est pas remis en cause pour l’instant mais dans la mesure où le ministre désire le rapprocher du premier cycle universitaire n’avez-vous pas peur que au contraire ce soient les premiers cycles universitaires qui absorbent les classes préparatoires, un petit peu de la même façon qu’une préparation à HEC à Dauphine qui est intégrée dans un DEUG MASS ? Jacques Lévy : Premièrement le rapport Attali ne recommande pas l’absorption des classes préparatoires. Il y est écrit les classes préparatoires seront absorbées par les premiers cycles universitaires quand ils auront les moyens de fonctionner par petits groupes, par classes de quarante, etc. qui sont les caractéristiques des méthodes pédagogiques de la taupe. Il y a un élément sur lequel j’avais attiré son attention, qui me paraît très important et qui n’est pas du tout mentionné dans son rapport, qui est de savoir quels sont les enseignants qui vont enseigner dans ces petits groupes de quarante. Car chacun sait que le travail de professeur de classes préparatoires est un travail à temps plein avec heures supplémentaires. Quand on fait cela, et d’ailleurs certains professeurs de classes préparatoires le regrettent un peu, il est absolument exclu de faire de la recherche. Or la gestion des personnels des universités est faite essentiellement sur leur performance dans la recherche. Ce n’est pas un problème français mais un problème de tous les systèmes universitaires, en particulier dans les pays développés. Non seulement il faudrait donner les moyens aux universités de se structurer en groupes de quarante, mais il faudrait convaincre les universitaires que dans leur statut on admet que des gens qui ne font que de la pédagogie puissent atteindre les grades supérieurs car, sinon, on n’aura que des débutants ou des gens proches de la retraite qui accepteront de faire les premiers cycles. Donc cette réforme qui me paraît alors pour le coup extrêmement brutale ne me semble avoir aucune chance d’aboutir à court terme. Même s’il y a beaucoup de gesticulation, je pense que dans l’état actuel des choses, mais je parle avec beaucoup de précaution parce que le ministre est capable de faire aboutir tout un tas de choses, que c’est tellement compliqué que cela n’a aucune chance d’aboutir. Je vous rappelle qu’il y a eu une alerte très sérieuse en 1981 qui consistait à dire " on supprime les classes préparatoires et on les remplace par une année d’orientation qui serait la première année d’université ". C’était assez subtil parce que cela permettait de mettre une sélection en fin de première année d’université puisque c’est impossible de la mettre au baccalauréat. Mais une chose à laquelle l’on n’avait pas pensé c’est que, et cela était l’un des arguments qu’a fait valoir mon prédécesseur Pierre Lafitte pour parer le coup, et cela a été très efficace, la répartition sur le territoire des classes préparatoires est beaucoup plus large que la répartition des universités. Une telle mesure aurait conduit à supprimer des classes des classes préparatoires dans des villes où il n’y a que cet élément d’enseignement supérieur. Je peux vous garantir que, quelle que soit la couleur du député de cette ville, il se serait opposé avec la dernière vigueur à la suppression des classes préparatoires du lycée de cette ville. Ce que je viens de dire est toujours valable, même s’il y a un peu plus d’universités. Donc pour tout un tas de raisons, personnellement je considère que le système des classes préparatoires est extrêmement stable. D’ailleurs je voudrais rappeler qu’il y a eu une réforme très importante des classes préparatoires qui a été mise en place il y a longtemps, puisque la première année du concours qui nous a donné des étudiants était le concours de 1997, qui s’est faite en plein accord avec la direction des enseignements supérieurs et qui a pour effet de donner à un candidat les mêmes chances d’entrer dans les écoles les plus prestigieuses quelle que soit la filière choisie, ce que l’on ne peut pas, compte tenu de l’inertie du système, changer du jour au lendemain. Professeur Vladimir Kourganoff : Professeur honoraire à la Sorbonne, j’ai publié dès 1972 un ouvrage La Face cachée de l’Université où je dénonçais déjà le recrutement des professeurs d’université basé uniquement sur les travaux de recherche, sans aucun égard pour l’intérêt, l’aptitude, l’expérience de l’enseignement surtout pour les années du premier cycle. Je pense que l’on peut réformer l’Université dans le sens qui serait souhaitable en y distinguant les différentes fonctions. Paul Allard (Conseil national des ingénieurs et scientifiques de France) : Dans votre présentation des écoles d’ingénieurs appartenant à la Conférence vous avez fait un état de leur santé qui est bonne, notamment en précisant que vous n’étiez pas inquiet sur les flux d’entrée qui se confortaient d’année en année, alors que l’on observe que dans tous les pays du Nord de l’Europe et même du sud une désaffection des jeunes à l’égard des études supérieures scientifiques et techniques. Il n’y a pas très longtemps nous avons entendu M. Vincent Courtillot qui est venu nous dire que dans l’université française il y avait actuellement une diminution de 30% des effectifs dans les disciplines scientifiques et techniques. Y a-t-il dans cette évolution un sujet d’inquiétude pour les grandes écoles ? Jacques Lévy : Sur ce point comme sur d’autres je ne suis pas très inquiet, mais c’est au prix d’acrobaties qui ne sont pas très satisfaisantes pour l’esprit. Autrement dit, en schématisant, si l’on annonçait que tous les élèves qui entreront à l’Ecole des mines feront des études pour être ingénieurs d’exploitation des mines, il n’y aurait plus de candidats. Il faut donc faire ressortir, en particulier pour les étrangers, qu’entrer dans une école d’ingénieurs c’est acquérir sur la base d’une formation scientifique et technique, mais aussi d’une formation générale la capacité à exercer des responsabilités, en étant caricatural, à être un chef. Mais il faut bien faire ressortir aussi, et même les Anglo-Saxons y sont venus, qu’un ingénieur ne peut plus faire toute sa carrière sans avoir à changer plusieurs fois d’affectation et de type de travail. Il faut donc que sa formation le prépare à cette mobilité géographique et intellectuelle, maintenant totalement inévitable. Notre programme consistait à préparer les élèves à ces évolutions rapides. Pour la petite histoire, je voudrais dire en dix secondes que, tout à fait par hasard, je suis tombé sur une définition de l’ingénieur à la française, qui me paraissait extrêmement pertinente, sous la plume du président américain du MIT en 1903, disant qu’un ingénieur doit être un " man of influence ". Si nous voulons effectivement continuer à attirer des jeunes gens de valeur, puisque nous prenons dans les cinq pour cent meilleurs étudiants d’une génération, il faut que nous leur disions qu’ils seront des hommes d’influence.
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