Depuis 15 à 20 ans existe, à côté de ce système traditionnel, un système nouveau introduit par des pédagogues et sociologues du parti socialiste en Allemagne. C'est pourquoi on trouve les écoles de ce type particulièrement dans les Länder de la fédération allemande où le parti socialiste assume la responsabilité du gouvernement. Cette école nouvelle s'appelle Gesamtschule (école commune). Il y en a deux formes différentes : un système intégré qui s'appelle école commune intégrée (integrierte Gesamtschule) et une école commune additive (additive Gesamtschule).
L'école commune "additive" ressemble au système traditionnel, mais présente l'inconvénient d'être une première étape d'intégration des trois écoles: ces trois écoles, séparées du système traditionnel, se trouvent en effet réunies dans un seul grand établissement.
L'idée de l'école commune (intégrée et additive) est la prolongation de l'éducation commune. Particulièrement dans la forme intégrée, il y a des cours communs pour tous les élèves, qu'ils soient forts ou faibles. Un nombre très limité de cours différents reflète une éducation de lycée, une éducation de Realschule ou une éducation de Hauptschule.
A l'heure actuelle en Allemagne 3 % seulement des élèves fréquentent des écoles privées. Tout le reste va à l'école publique. Dans toute la fédération allemande l'école publique est entièrement gratuite. On ne paye rien, même pour les livres et tout le matériel d'éducation. La qualité des écoles publiques est très bonne; elle est souvent meilleure que celle des lycées privés. Souvent, nous autres allemands pensons qu'il ne faut envoyer les enfants dans les écoles privées qu'en cas de difficultés familiales (divorce, etc..) ou si l'enfant n'apprend pas bien.
C'est pourquoi le changement du système de l'école publique, imposé par les socialistes dans certaines Länder exerce une influence directe sur la qualité de l'école dans l'Allemagne toute entière. Les parents qui s'engagent en faveur de la qualité de l'éducation de leurs enfants sont sérieusement affectés par ce développement nouveau. Ils craignent tous que celui-ci entraîne une réduction considérable du niveau et de la qualité scolaires.
L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
L'organisation de l'enseignement supérieur après le lycée est très simple en Allemagne: il y a des universités générales et des universités techniques. Dans l'université générale on peut faire des études dans toutes les matières avec une seule exception: les matières techniques et les études d'ingénieur. La condition de base nécessaire pour être admis dans une université est le dip1ôme du baccalauréat. En principe chaque élève ayant passé le baccalauréat peut étudier ce qu'il veut. Il a le choix illimité. Mais comme il y a un trop grand nombre d'élèves ayant passé le baccalauréat, il est devenu nécessaire de limiter l'accès de l'université à ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats au baccalauréat.
Le système n'est pas juste du fait que chaque école a un baccalauréat différent.
L'enseignement universitaire est très libre. En principe chaque étudiant peut faire ce qu'il veut. Seule l'obtention du diplôme est subordonnée à quelques épreuves pendant les études. La durée des études n'est pas limitée.
COMPETENCE DE L'EDUCATION SCOLAIRE EN ALLEMAGNE
Il n'y a pas de compétence centrale pour l'éducation scolaire en Allemagne. Les Länder sont compétents pour les lois et l'administration scolaires. Le gouvernement ou le parlement fédéral n'ont aucune compétence en ce domaine. Les Länder ne sont même pas obligés de s'arranger entre eux pour qu’un enfant puisse changer d'école (par exemple, de la Hesse à la Bavière, au Hanovre ou à la Westphalie).
Ainsi, chaque Land a un système différent d'enseignement. Cela commence avec l'enseignement dans les écoles primaires. Cela se continue avec les écoles secondaires (Haupschule, Reaschule, lycée, etc..). Même la structure des lycées diffère d'un pays à un autre. Si les parents passent d'un Land à l'autre, les enfants ont de grandes difficultés à fréquenter une école similaire et à continuer leur enseignement dans la même classe. Souvent il leur faut redoubler une classe pour s'adapter au nouveau système.
Chaque enfant en Allemagne doit aller à l'école à partir de 6 ans jusqu'à 16 ans. Pendant les quatre premières années, il doit fréquenter l'école primaire. Il n'y pas de choix. Il y a des écoles commençant avec le français ou le latin comme première langue. Mais la plupart des lycées commencent avec la langue anglaise. Rares sont ceux qui commencent avec le français.
La nouvelle loi de la Hesse pour les classes 5 et 6 changera ce système. Les élèves n'auront plus la possibilité de choisir un lycée ayant la langue française ou la langue latine comme première langue. Voilà qui ne vous fera probablement pas plaisir.
Les différences dans les Länder dépendent principalement des conceptions idéologiques des partis politiques. Les Länder ayant un gouvernement conservateur n'ont pas beaucoup changé le système d'école traditionnelle. Mais ils ont cependant installé, comme offre additionnelle aux parents et aux élèves, des écoles du système nouveau, c'est-à-dire des écoles communes intégrées et additives.
La structure des lois et de l'administration scolaires dans les Länder, dont le gouvernement est socialiste, ont suivi une conception tout à fait différente. Ils ont considéré les idées nouvelles comme la seule vérité et ils ont essayé de tuer le système traditionnel. Ils ont pris toutes les mesures possibles pour le remplacer par le système nouveau. Leur politique a comme but d'introduire un seul système d'école unifiée. C'est particulièrement le gouvernement de la Hesse qui a annoncé il y a 20 ans qu'en quelques années l'école unique serait dans toute la Hesse l'école "commune intégrée". Grâce au combat des parents en Hesse, organisé dans le Hessischer Elternverein dont j'ai l'honneur d'être le Président, le gouvernement de la Hesse n'a pas encore réussi après 20 ans de lutte. Mais la menace est toujours là.
Dans quelques circonscriptions limitées, l'intégration de l'enseignement dans un système unique est déjà effective.
L'ECOLE ET LES FINANCES
On peut dire à juste titre qu'en Allemagne le financement de l'école ne donne pas lieu à un débat. Même les écoles privées reçoivent un financement considérable de l'Etat. Il s'agit d'une compensation forfaitaire qui couvre au moins 70 % des dépenses.
L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX
Les relations de l'enseignement avec les églises sont différentes dans chaque Land de la Fédération Allemande. Dans la plupart des Länder, il y a un régime de séparation comme en Hesse. Pour vous donner un exemple, je vous décris brièvement la situation dans le pays où j'habite: on y donne des leçons religieuses catholiques et protestantes. Il y a des professeurs qui sont spécialisés en cette matière tout à fait de la même façon que d'autres professeurs sont spécialisés pour les mathématiques, les langues, les sciences naturelles, etc...
Il y a 15 ans, on a discuté vivement le point de savoir si l'Etat pouvait permettre la prière du matin dans toutes les écoles. Quand j'étais élève dans un lycée à FRANCFORT, entre 1951 et 1960, dans les premières années on a connu la prière du matin une fois par semaine. Puis on a changé. On n'a fait cette prière qu'à des occasions particulières. A la fin, dans les dernières années, la prière n'était plus permise.
Plus personne ne demande sérieusement en Allemagne que les écoles publiques reviennent à la pratique des années passées. Mais il se crée de plus en plus d'écoles privées religieuses, cela veut dire des écoles privées catholiques ou des écoles privées protestantes.
NEUTRALITE DE L'ENSEIGNEMENT
En principe, il existe un droit des parents et des élèves à recevoir un enseignement neutre. Ceci est même un droit garanti par la constitution fédérale et celle de chacun des Länder.
Mais si la théorie est bonne, la pratique est mauvaise. La plupart des jeunes professeurs d'aujourd'hui ont fait leurs études dans les années 68-75 qui étaient une période universitaire extrêmement politisée. On croyait qu'il fallait changer la société par l'enseignement. Le résultat est que beaucoup de professeurs ne délivrent pas un enseignement neutre. Tout au contraire. Il y a un grand nombre d'enseignants marxistes ou d'autres positions politiques. Cependant, la majorité des professeurs respecte la neutralité.
Les parents ont à ce sujet une possibilité limitée de contrôle. Ils peuvent porter plainte contre un enseignant qui n'observe pas la neutralité. Des parents font souvent usage de ce droit. Malheureusement, souvent aussi ils n'en ont pas le courage. Ils craignent de nuire à leurs enfants en prenant une position critique contre un professeur qui n'observe pas l'obligation de neutralité.
LE CHOIX DES PROFESSEURS PAR LE CHEF D'ETABLISSEMENT
Dans les écoles publiques, qui représentent 97 %, c'est en principe le Ministre d'Education de chaque Land qui choisit seul les professeurs. Les parents n'ont aucune influence sur ce choix: ils n'ont rien à dire.
Seules les écoles privées, qui ne regroupent que 3 % des élèves, ont la possibilité de choisir librement leurs professeurs. Les écoles sont organisées sous la forme d'associations. Le choix des enseignants est effectué par les dirigeants de l'association (le plus souvent des parents ou des anciens élèves) sur la base d'une proposition faite par le chef d'établissement.
CONCLUSION
Le système allemand d'enseignement est caractérisé principalement par sa décentralisation. Ainsi, le risque d'une mainmise rapide et totale de l'Etat sur l'enseignement à l'échelle nationale n'existe pas en République Fédérale.
Des idées de réforme circulent dans les Länder sans qu'aucun grand mouvement national ne se dessine. Cependant, de plus en plus deux conceptions s'opposent :
-
celle des partisans de la liberté de choix de la part des parents pour les cycles primaire et secondaire, et des étudiants pour l'enseignement supérieur
-
celle des pédagogues politiciens qui veulent former la jeunesse suivant leurs conceptions idéologiques.
Ces deux conceptions s’affrontent au sein même de l'enseignement public.
Notre association considère que cette dernière idée de l'enseignement et de l'éducation des jeunes conduit à la mise en cause de toutes les libertés et à former une nation totalitaire.
En fait, le problème de l'enseignement en Allemagne est posé en termes simples et la sauvegarde de la liberté y est dégagée de toutes les influences religieuses ou autres qui le compliquent ailleurs. Le choix pour la liberté s'y présente presque à l'état pur.
Notre défense de la liberté du choix de l'école intéresse donc tous nos voisins. Notre association recherche la coopération avec tous ceux qui souhaitent que les crédits publics affectés à l'enseignement pour la jeunesse soient attribués d'une manière qui assure la plus grande liberté de choix. Peut-être une action européenne dans ce sens aurait-elle une certaine efficacité ?
Je vous remercie beaucoup de l’intérêt et de la patience avec laquelle vous avez suivi mon petit récit et de l’indulgence avec laquelle vous avez supporté le grand nombre de fautes que j’ai commises aussi bien vis-à-vis de la grammaire que de la prononciation françaises. Comme je sais combien vous autres Français aimez votre langue je vous en demande mille fois pardon.
PREMIER DEBAT
Monsieur BOUDOT
Monsieur le Sénateur, encore que vous ayez consacré l'essentiel de votre exposé à l'enseignement privé, j'aimerais d'autant plus vous poser quelques questions relatives à l'enseignement public que je suis moi-même professeur dans l'enseignement public et que de nombreuses personnalités représentatives de ce secteur sont présentes dans la salle.
Pour l'enseignement public, les premières mesures à prendre ne sont-elles pas l'abrogation de la carte scolaire et la diversification des enseignements à partir de la sixième ?
Monsieur SERAMY
Monsieur le Président, en ce qui concerne la suppression de la carte scolaire c'est un peu ce à quoi on aboutit en ce moment ; car, à partir du moment où les collectivités locales sont amenées à participer au financement de l'enseignement c'est qu'elles peuvent avoir aussi la faculté de ne pas respecter la "carte scolaire"…
Je voulais dire que la suppression de la carte scolaire implique naturellement un financement global et c'est pourquoi je le dis - et je tiens à le répéter - il faut absolument que nous en arrivions à un financement par élève ; il ya bien des chèque-vacances, il pourrait bien y avoir le chèque-élève, le chèque-éducation…
J'ai fait voter par le Sénat, et par l'Assemblée Nationale la réforme en ce qui concerne l'enseignement public, pour les frais de fonctionnement des collèges: c'est le département qui recevra l'enveloppe globale et qui répartira ensuite dans tous les établissements. Mais il faut aller plus loin et c'est pourquoi je travaille actuellement à l'institution du chèque scolaire. Dans certaines communes on va vous demander par élève 3.000 F, dans telle autre 4.000 F et dans telle autre 9.000 F. Donc il faut essayer d'arriver à une égalité de traitement, car tant que nous n'en serons pas là il n'y aura pas l'égalité des chances entre l'enseignement privé et l'enseignement public, entre tous les élèves de France. Il faut absolument en arriver à cette mesure d'uniformisation, mais grâce à un crédit global judicieusement réparti.
Deuxième réponse, vous m'avez parlé de la diversification de l'enseignement dès la sixième... Vous avez raison, il faut absolument diversifier les enseignements, d'autant plus que nous sommes arrivés à une époque où justement il ne s'agit pas de faire de la sélection par l'échec mais, bien au contraire, de donner une priorité à l'orientation ; et, à partir du moment où les élèves sont orientés, c'est une sélection naturelle à laquelle je souscris tout à fait. La a élection par orientation, c'est là un des facteurs essentiels de la démocratisation de l'enseignement.
Monsieur BOUDOT
Merci beaucoup, Monsieur le sénateur. Permettez-moi encore une ultime question qui concerne l'enseignement supérieur. : En matière d'autonomie des enseignements supérieurs, et notamment des universités, la première mesure à prendre - la plus importante peut-être n'est-elle pas de donner à ces universités le droit de recruter les étudiants et aux étudiants le droit de choisir leur université ?
Actuellement, un arrêté extravagant, publié le 15 mars par le Directeur Général des Enseignements Supérieurs, risque, s'il peut être appliqué - il est tellement difficile à appliquer qu'on peut espérer qu'il ne le sera pas! - d'interdire aux étudiants de choisir librement leur université.
En tout état de cause, les universités n'ont pas le droit de choisir leurs étudiants. Comment, alors, parler de responsabilité s'il n'y a pas de liberté ? Aussi longtemps que les établissements d'enseignement supérieur ne pourront pas choisir les étudiants selon les critères qui leur seront propres et qu'elles détermineront librement, on ne pourra les mettre en accusation et dire qu'ils obtiennent de mauvais résultats.
Etes-vous favorable à l'instauration d'une totale liberté de recrutement : les étudiants choisissent librement leur université qui sélectionne ses étudiants, comme elle l'entend ?
Monsieur SERAMY
Monsieur le Président, j'y suis d'autant plus favorable que j'ai commis une proposition de loi dans laquelle ce souhait est exprimé d'une manière parfaitement claire. La répartition des étudiants ne peut être confiée au seul ordinateur. Les inscriptions universitaires semblent aujourd'hui se faire dans les pires conditions. Mais j'espère que, d'ici quelque temps, nous aurons l'occasion d'en reparler et de faire voter ce texte par un gouvernement nouveau; c'est pourquoi, d'ores et déjà, j’ai déposé cette proposition de loi sur le bureau du Sénat.
Un interpellateur
Monsieur le Sénateur-Maire va me pardonner d'avoir donné l'occasion à un professeur, simple Conseiller Municipal, de n'être pas tout à fait d'accord avec lui en ce qui concerne les réformes. Vous avez dit que chaque Ministre avait eu l'intention d'accrocher une réforme à son nom ; vous allez entendre quelques propos que j'ai retenus hier à la Salle Médicis du Sénat. En réalité, à mon avis, depuis des décennies, il n'y a pas eu plusieurs réformes dans l'enseignement français. En fait, il n'y a qu'une seule réforme, insidieusement installée, qui progresse à petits pas: c'est la réforme d'inspiration marxiste Langevin-Wallon. Je ne sais pas si en Allemagne il ya des cousins germains de Langevin-Wallon, mais quand j'ai entendu parler de l'école commune, j'ai reconnu comme une sœur le tronc commun de l'enseignement français.
Monsieur BAYET, Président de la Société des Agrégés
J'ai beaucoup apprécié, Docteur PAUL, votre exposé et je voudrais, à partir de l'exemple que vous avez donné en Allemagne, dire quel est mon sentiment au sujet je m'en excuse auprès de Monsieur le sénateur SERAMY -de ce que je considère, moi, comme les dangers de la décentralisation vis-à-vis du service de l'Education Nationale, de l'instruction publique nationale.
Qu'est-ce qui nous a été dit ? Il nous a été dit que selon qu'un Land est de couleur socialiste, ou de couleur chrétienne démocrate, le système scolaire n'est pas le même. Dans l'un on a la "Gesamtschule" obligatoire, dans d'autres on a des possibilités de choix au niveau de ce que vous appelez la Sème classe, c'est-à-dire, pour nous, l'entrée en 6ème.
Un deuxième point que vous avez fait remarquer, c'est qu'il est très difficile de passer d'un Land à un autre, puisque suivant le Land, on peut en classe de sixième apprendre, dans les uns, le latin ou le français et dans d'autres, il n'y a pas cette possibilité on est obligé d'apprendre l'anglais… Vous avez dit que très souvent les élèves étaient pénalisés et devaient redoubler une classe pour s'adapter à un nouvel enseignement.
Je dis que si on appliquait ce système en France, il y aurait un risque évident de désagrégation de l'unité nationale, et l'on regretterait très vivement le système français qui, malgré ses inconvénients, a au moins le mérite d'assurer, dans l'ensemble des établissements scolaires, ce que j'appellerai un - minimum scientifique commun -, surtout s'il est couronné, à la fin de chaque cycle, par un examen qui n'est pas délivré à l'intérieur des établissements.
Je suis de ceux qui se méfient comme de la peste de l'autonomie des établissements, notamment publics, car cette autonomie des établissements publics désintègrerait l'instruction publique, et surtout priverait le professeur de sa liberté fondamentale, c'est-à-dire de celle de délivrer son enseignement dans sa classe avec ses élèves, dans sa discipline, selon une règlementation nationale et sous le seul contrôle des autorités administratives et pédagogiques.
J'ajoute que, comme il a été dit tout à l'heure à propos des propositions qui pourraient être faites dans le cadre d'une alternance politique moi je ne me place pas sur le plan politique, mais comme les élections sont proches il est normal que les organisations interrogent les responsables politiques ces responsables ont dit très clairement, en ce qui concerne un certain nombre de formations, qu'ils abrogeraient la loi SAVARY pour l'enseignement supérieur, et c'est tant mieux parce que la loi SAVARY qu'est-ce que c'est ?... C'est un enfant bâtard, ou légitimé de la loi Edgar FAURE de 1968. Il faut voir où sont les responsabilités - Eh bien, je voudrais que le même engagement soit pris en ce qui concerne au moins la partie de la réforme HABY qui concerne le collège unique, car le collège unique cela a été la pire erreur, en matière d'éducation nationale, qui ait été faite sous le précédent septennat.
Monsieur SERAMY
Monsieur le Président, le seul ennui c'est que nous subissons la décentralisation et qu'il faut la vivre et la vivre au mieux. Mais il est bien certain que l'autonomie pédagogique ne m'a jamais semblé être la bonne formule car on ne peut faire tout partout, n'importe comment et par n'importe qui et ne pas avoir un minimum de connaissances et d'enseignements communs et nécessaires car, sinon, de quelle manière pourrait-on passer d'un établissement dans un autre ? Si vous relisez ce que je disais à Monsieur Christian BONNET lors de la première loi, vous pourriez constater que je n'étais pas favorable à la décentralisation en matière d'enseignement: c'était le seul domaine qu'on ne pouvait pas décentraliser.
Or, en fait, qu'est-ce qu'il se passe : on n'a pas décentralisé au niveau de la pédagogie; on a décentralisé tout ce qui coûtait quelque chose c'est une autre affaire…et c'est pourquoi nous ne sommes pas très satisfaits. On a décentralisé les bâtiments, les frais de fonctionnement, etc.… L'Etat décide, la commune paye. Je suis tout à fait d'accord avec vous, je dis que la décentralisation de l'enseignement est une erreur, car elle mène aux difficultés que nous connaissons. Il faut donc essayer qu'au moins nous ayons une certaine homogénéité en ce qui concerne le minimum garanti; car si on arrivait au "minimum garanti" ce serait déjà important. Mais ce n'est pas à cela que l'on est en train d'aboutir.
Vous avez entendu Monsieur CHEVENEMENT faire de très belles déclarations, auxquelles je souscris d'ailleurs tout à fait : apprendre à lire, à écrire et à compter ; très bien! Mais, dans le même temps, il supprime les enseignements de soutien. Enfin il a lancé ce hochet publicitaire qui s'appelle "l'informatique dans toutes les écoles" une énorme fumisterie, car vous savez très bien que tout cela ne signifie rien et que, de toute manière, cela va coûter fort cher.
Un Professeur à l'Université de PARIS-NORD
Je voulais faire un petit commentaire général: je crois qu'on n'échappe pas à l'époque à laquelle on vit et, en particulier, je crois qu'à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale, tous les pays développés au moins ont subi la même évolution.
On ne peut pas échapper au fait qu'après la seconde guerre mondiale, le système éducatif a eu à traiter, en particulier au niveau du collège, du lycée et de l'enseignement supérieur, un beaucoup plus grand nombre de "clients" qu'avant la seconde guerre mondiale. Et ce qui est vrai en France, l'est aussi aux Etats-Unis, en Allemagne et au Japon.
Je sais qu'il y a un grand nombre d'attaques contre le collège unique, et je crois qu'elles sont justifiées, surtout de la façon dont on a essayé de le faire fonctionner avec des maîtres quelquefois fort peu qualifiés puisqu'on a été les recruter au niveau inférieur pour les injecter dans un cycle qui, précédemment, était celui du lycée. Mais je ne crois pas que le collège unique ou le moule commun de la période qui va entre 10 et 15 ans soit nécessairement une mauvaise chose.
Au Japon, pour la période qui va de 10-11 à 15-16 ans, c'est un collège unique qui fonctionne ; mais ensuite il y a deux niveaux différents de scolarisation de second cycle : l'un qui correspond grosso modo à ce qui existe dans tous les pays développés : d'un côté le lycée et de l'autre côté un enseignement plus technique. Mais cela change au niveau de l'enseignement supérieur. Au Japon, tous ceux qui ont suivi le cycle long dans l'enseignement secondaire ont le baccalauréat enfin, 95 ou 90%. Mais, par contre, il y a un examen et un concours d'entrée dans tout ce qui est l'enseignement supérieur.
En ce qui concerne le lycée ou le collège, les situations sont différentes de ce qu'elles étaient avant la seconde guerre mondiale et que l'on dise que c'est Langevin-Wallon ou que sais-je, de toute façon on n'est pas dans la même situation et peut-être y a-t-il des reflets politiques là-dedans.
Nous sommes en fait depuis 1965 dans une situation trouble du système éducatif et on ne peut pas évacuer le mouvement qui en France, chez nous, s'appelle Mai 68, mais qui a eu lieu dans tous les pays je veux dire que cela a eu lieu aussi dans les collèges américains; d'ailleurs, les Américains se posent beaucoup de questions quant au niveau auquel se trouve maintenant leur système éducatif. On ne peut pas évacuer la période 68-85, qui a vu des professeurs être formés dans un système éducatif très politisé. Monsieur PAUL disait que les maîtres qui arrivent dans le système éducatif sont souvent fortement politisés; mais c'est vrai dans tous les pays.
Les problèmes qui sont ceux du système éducatif français existent, mais je crois qu'on a tendance à les maximiser pour des raisons que je n'arrive pas tellement à comprendre.
On aurait intérêt à améliorer la qualité de l'encadrement, le niveau de formation des maîtres, et ceci est vrai dans tous les cycles, bien évidemment y compris à la maternelle.
Un interpellateur
Monsieur le Sénateur, vous avez très bien, tout à l'heure, décrit le processus de nomination des maîtres selon la loi DEBRE et tel qu'on peut l'envisager maintenant, et vous avez très bien démontré à quelle situation de blocage nous pouvions arriver et, d'autre part, de quelle manière nous pourrions arriver, probablement, mais avec beaucoup de temps probablement aussi, à sortir de ce blocage par des procès, pour non respect de la lettre, ou de l'esprit de la loi.
Cela étant, est-ce qu'il ne faudrait pas souligner dans le même temps très fortement que les directeurs qui ne voudront pas accepter tel candidat proposé par les recteurs devront motiver leur refus. Ceci me paraît de première importance, car en droit c'est ce qu'on appellerait volontiers le renversement de la charge de la preuve; c'est-à-dire que le Directeur n'a donc plus l'initiative de la recherche de recrutement comme ferait tout chef d'entreprise qui cherche quelqu'un apte à remplir un poste donné.
Ne devons-nous pas craindre, plus encore même que les problèmes financiers, les problèmes moraux et les problèmes de personnalité des professeurs ? Ne pourront-ils pas, sous un certain contrôle de syndicats puissants que nous connaissons, introduire dans nos établissements privés, et notamment confessionnels, des maîtres que nous ne voudrions pas et pour lesquels, je le répète, les directeurs devront motiver le pourquoi de leur refus ?
Or, je crois avoir entendu il y a quelques jours qu'une nouvelle loi allait passer, assimilant au racisme le fait, par exemple, qu'on refuse quelqu'un parce qu'il est homosexuel. N'est-ce pas également quelque chose qu'il faut redouter ?
Monsieur SERAMY
Je crois que nous ne pouvons que souscrire à ce que vous avez dit ; il est bien certain qu'il faudra apporter la preuve. Pour l'heure, on attend le décret en gestation. Que sera-t-il ? Nul ne le sait encore malgré les affirmations de large concertation -avec qui ? -Mystère !
Et je puis vous dire que je suis comme Saint-Thomas je ne crois que ce que je vois.
Monsieur le Doyen NATTER
Monsieur le Sénateur, je suis à la fois Doyen d'une Faculté libre : la Faculté libre de PARIS et, de surcroît, Maître de conférences à la Sorbonne. Et je voudrais vous exprimer les difficultés que nous éprouvons sur certains points pour le fonctionnement de ces Universités libres et pour l'application complète de la liberté qui nous est reconnue par la loi. Elle concerne en particulier le problème des examens et des diplômes.
Dans la situation actuelle, nous avons des conventions avec des universités de l'Etat qui, dans certains cas, fonctionnent bien et, dans d'autres cas, fonctionnent moins bien. Il y aurait donc là à rechercher une solution qui soit pratique et satisfaisante.
Il y a quelques années, Madame SAUNIER-SEITE, envisageait la possibilité de dénationaliser les diplômes universitaires qui, à l'heure actuelle, sont garantis par l'Etat, mais une garantie qui, en fait, ne signifie pas grand chose du fait que d'une université à l'autre le contenu et l'orientation, et l'esprit de ces diplômes, sont très différents. Alors, pour ma part, je souhaiterais que pour l'avenir on envisage cette possibilité effective de dénationaliser les diplômes et que chaque Université décerne ses DEUG, ses licences, ses doctorats et qu'on s'aperçoive très rapidement de la qualité des uns et des autres, alors qu'à l'heure actuelle il y a une sorte de tromperie à placer sous le même label de qualité garantie par des fonctionnaires du Ministère de l'Education Nationale, et non pas des Universitaires, des diplômes qui, sous le même nom, ont des valeurs tout à fait différentes.
Monsieur SERAMY
La dénationalisation de tous les diplômes : certainement pas.
Il faut faire une distinction entre eux : ni du tout Etat, ni du tout Universités, et c’est pourquoi je vous renvoie au débat que nous avons eu sur justement les problèmes de l'Université et sur ma proposition de loi.
EXPOSE de Monsieur W.W. HALSEY (Etats-Unis)
Resident Director School Year Abroad (SYA),RENNES
Merci beaucoup de m'avoir invité parmi vous.
Quand Monsieur André LABAT m'a convié à venir vous parler de l'enseignement aux Etats-Unis, j'ai d'abord hésité sachant que je serai certainement très pris à cette époque de l'année scolaire. J'ai fini par accepter une invitation qui me flattait et qui m'intriguait à la fois, mais je ne savais pas, au mois de mars, combien mes réticences étaient justifiées ! Car ce n'est que depuis lors que m'étant donné la peine d'étudier pour la première fois, je vous l'avoue, les différents aspects de notre système, j'ai compris la complexité et la difficulté de la tâche que mon nouvel ami m'avait proposée.
En effet, le système d'enseignement public aux Etats-Unis est le plus ancien et le plus important du monde, comptant près de quarante millions d'élèves dans quatre vingt six mille écoles primaires et secondaires, réparties parmi seize mille districts plus ou moins indépendants dans cinquante états différents, chacun avec ses propres statuts. Ajoutez au colosse de l'enseignement public vingt sept mille écoles privées avec leur six millions d'élèves et vous commencez à comprendre l'immensité du sujet. Sans parler des trois mille cinq cents universités et autres établissements d'enseignement supérieur, tous indépendants, avec un effectif total de quelques douze millions d'étudiants.
Il est bien évident qu'en vingt minutes, je ne pourrai pas vous expliquer en détail tout ce qui se passe actuellement dans chaque secteur d'un domaine aussi vaste et complexe. Je me propose donc de me borner à trois questions fondamentales :
1.- LA DIVERSITE ET L'UNIFORMITE QUI EXISTENT DANS LES STRUCTURES DE BASE
Quand j'ai commencé à préparer cet exposé, j'ai pensé à l'histoire de l'éléphant et des aveugles indiens. Je ne sais pas si vous connaissez cette histoire; elle est archi-connue aux Etats-Unis ; mais j'ai pensé à cela parce qu'il ne faut pas se laisser piéger comme les aveugles qui essayaient de s'expliquer ce que c'était qu'un éléphant : l'un qui touchait aux flancs de l'animal prétendait qu'un éléphant était comme un mur; l'autre qui tâtait sa jambe disait que c'était plutôt comme un arbre; et un troisième qui se trouvait avec la queue entre ses mains restait persuadé qu'un éléphant n'était qu'une espèce de grosse corde.
Le système américain n'est ni mur, ni un arbre, ni une corde mais un grand ensemble d'éléments les plus divers.
Dans mon texte, d'ailleurs, le mot "système" est entre guillemets, car ce n'est qu'un terme approximatif qui risque de tromper. Qui dit "système" pense sans doute "centralisation" ; or, les caractéristiques les plus frappantes de l'enseignement américain (après son immensité) sont sa diversité et son extrême décentralisation. Il n'existe pas un "système" unique pour tous les Etats-Unis, mais un grand nombre de systèmes parallèles pour les écoles publiques, avec à côté une multitude d'écoles privées totalement indépendantes les unes des autres et de presque tout contrôle centralisé.
Il faut se dire au départ une chose fondamentale : même dans les écoles publiques, le pouvoir du gouvernement fédéral est relativement faible aux Etats-Unis. Il ne joue aucun rôle dans la gestion des écoles ; il ne paie aucun professeur ; il n'impose aucun programme scolaire, aucun examen, aucun diplôme. C'est à chacun des 50 états qu'incombe la responsabilité d'établir les grandes lignes de l'enseignement public sur son territoire, et ce sont les conseils d'administration élus dans chacun des seize mille (16.000) districts qui en assurent le fonctionnement.
Etant donné une structure de base aussi décentralisée, il n'est pas étonnant qu'il y ait autant de différences de statuts d'un Etat à l'autre. Quelques exemples en donnent l'idée :
-
l'école est obligatoire dans tous les états, mais il y en a où les objecteurs de conscience ne sont pas soumis à la loi.
-
l'âge minimum pour le début de la scolarité, obligatoire, varie entre 5 ans et 8 ans.
-
dans la plupart des états, les jeunes sont obligés de rester à l'école jusqu'à l'âge de 16 ans ; mais l'âge minimum pour la fin de la scolarité obligatoire varie entre 13 et 18 ans.
-
le nombre d'heures de cours obligatoire varie entre 4 et 7 heures par jour.
-
le nombre de jours de classe par an exigé par la loi varie entre 150 et 190.
Les écoles publiques
Il existe des écoles publiques secondaires qui se spécialisent dans un domaine comme la science ou les études commerciales, par exemple, et j'ai même lu cette semaine un article assez étonnant : il paraît qu'il existe maintenant, depuis quelques mois à NEW YORK, une école publique pour les homosexuels ; c'est assez effarant, mais c'est pour vous dire à quel point la diversité peut être poussée. Mais, malgré le fait qu'il existe ces écoles spécialisées, la très grosse majorité sont à vocation universelle. C'est-à-dire qu'elles proposent dans le même établissement une formation intellectuelle pour ceux qui souhaitent continuer leurs études au niveau universitaire, un programme d'études techniques pour ceux qui comptent entrer dans la vie active dès la sortie de l'école, et un programme "général" pour les élèves qui ne savent pas encore quelle voie prendre.
Ces "High schools" se trouvent dans les grandes villes (10 %), dans des régions rurales, où les districts peuvent s'étendre sur des centaines de "miles" autour de l'école (56 %), ou dans la banlieue des grandes villes (34 %). A peu près la moitié des élèves sont scolarisés dans les écoles de banlieue.
Il y a des écoles qui comptent jusqu'à 5.000 élèves, d'autres qui n'en ont que 50. Il y en a où presque tous les élèves vont jusqu'au diplôme de fin d'études et où la majorité continue à l'université et d'autres où la moitié quitte l'école en cours de route.
Globalement 75 % des jeunes vont au diplôme high school, 47 % poursuivent leurs études dans un établissement d'enseignement supérieur. Je pense à l'intervention de ce Monsieur qui était assis à gauche, là; il est vrai que depuis la deuxième guerre mondiale, il y a eu beaucoup de progrès dans ce domaine; en 1945, il n'y avait que 50 %, je crois, qui terminaient leurs études secondaires et 21 %, à peu près, qui continuaient à l'Université.
Les écoles privées
Passons maintenant aux écoles privées qui fonctionnent à côté, et souvent en concurrence amicale avec les écoles publiques. Là aussi le sujet est vaste, les Etats-Unis étant le pays du monde où il existe le plus grand nombre d'écoles privées et où (si je ne m'abuse) leur pourcentage par rapport aux écoles publiques est le plus élevé aussi.
En tout, il y a à peu près vingt sept mille écoles privées, soit 24% de toutes les écoles primaires et secondaires. Y sont scolarisés à peu près six millions d'élèves, soit 13 % de l'effectif total. Je dis bien "à peu près", car nous ne savons pas exactement combien de petites écoles peuvent exister : bien que fonctionnant en toute légalité, certaines refusent de répondre aux sondages effectués par les autorités d'Etat ou par les associations d'écoles privées. Ce manque de précision dans nos statistiques témoigne en soi, et de façon assez éloquente, d'un régime qui a tendance à échapper aux contrôles centralisés, c'est le moins qu'on puisse dire.
Le monde des écoles privées est donc très diversifié, mais on peut quand même classifier ces établissements en 4 catégories générales :
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la catégorie la plus importante est celle des écoles catholiques. Elles sont au nombre de dix mille et comptent quelques trois millions d'élèves. Elles dépendent du diocèse, emploient beaucoup d'enseignants ecclésiastiques, et ont des classes assez chargées avec des effectifs qui peuvent monter à quarante élèves ou plus.
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après les écoles catholiques, le groupe le plus important est celui des chrétiens évangéliques qui ont fondé -et cela c'est extraordinaire -entre cinq et dix mille écoles depuis une quinzaine d'années seulement. Ils ont à peu près six cent mille élèves auxquels ils donnent une formation basée sur l'interprétation littérale de la Bible. Ces écoles se méfient profondément de toute autorité extérieure à leur église, d'où le vague dans nos chiffres.
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les autres écoles religieuses (Luthériennes, hébraïques, épiscopaliennes et autres) sont au nombre de deux mille cinq cents, avec environ cinq cent mille élèves, surtout dans le cycle primaire.
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la dernière catégorie est la moins importante en nombre, mais peut-être la plus importante en ce qui concerne le rôle joué par ses anciens élèves dont le Président KENNEDY, le Président ROOSEVELT, etc... C'est celle des écoles dites "indépendantes". Nous évitons le mot "privée" car c'est un adjectif avec des résonnances d'exclusivité, et ce sont des écoles qui se veulent ouvertes à tout élève ayant les capacités intellectuelles pour suivre leur programme d'études.
Ces écoles non confessionnelles sont sélectives et, en général, d'un excellent niveau intellectuel. Les effectifs des classes sont restreints (12 à 18 maximum) ; l'enseignement y est individualisé dans la mesure du possible et la quasi totalité des élèves continue leurs études au niveau supérieur, souvent dans les meilleures Universités.
Les écoles indépendantes sont au nombre de mille et comptent environ trois cent cinquante mille élèves.
Toutes les écoles non publiques - qu'elles soient religieuses ou non-confessionnelles – jouissent d'une liberté parfaite en ce qui concerne le choix des programmes, le recrutement des professeurs, la pédagogie, la gestion. Comme n'importe quelle autre société ou association, elles doivent respecter, bien sûr, la Constitution des Etats-Unis et les lois qui en découlent, ainsi que les normes de sécurité et d'hygiène publiques imposées par les autorités locales, mais elles sont libres de dispenser l'enseignement qui leur paraît le plus valable, de la manière qui leur semble la plus efficace.
A vrai dire, elles ne sont soumises qu'à une loi fondamentale celle du marché. Etant donné qu'elles dépendent de leurs clients pour leur soutien financier, il faut qu'elles proposent un "produit" qui trouve des "acheteurs". Pour la plupart des écoles non-publiques, et certainement pour toutes celles qui se trouvent dans la catégorie des "indépendantes", le "produit" recherché par les élèves, et leurs parents, c'est une éducation morale et intellectuelle de haut niveau dispensée dans une ambiance agréable où les différences et les personnalités de chacun sont respectées. C'est une formation qui doit donner aux élèves plus de confiance en eux-mêmes, et un certain entraînement au "leadership" ; et c'est surtout une formation qui doit leur ouvrir les portes des meilleures universités.
Dans une grande mesure, ce sont les exigences des Universités et la rude concurrence pour se faire admettre dans les plus connues qui garantissent la qualité des établissements secondaires. Il est évident que dans certaines écoles publiques, ou même dans certaines écoles privées, on peut choisir un programme très léger, comprenant quelques heures seulement d'anglais et de maths élémentaires, complétées par un cours de chant ou d'auto-école mais, et c'est vrai, l'élève qui ambitionne d'obtenir une place à HARVARD ou a STANFORD a intérêt à faire quatre années d'une langue étrangère et de pousser l'étude des mathématiques, de l'anglais, de l'histoire et des sciences physiques et naturelles aussi loin que possible.
Le pourcentage de reçus au baccalauréat n'est pas affiché chaque année pour la simple raison qu'il n'y a pas de baccalauréat ni d'autre examen de ce genre; mais les parents et les élèves étudient avec attention la liste des Universités accueillant les diplômés de leurs écoles, quand les Universités annoncent leurs décisions vers le 15 mai, chaque année.
Voilà donc une description rapide des écoles publiques et privées fonctionnant aux Etats-Unis. Vous avez vu qu'elles sont extrêmement nombreuses et diverses, et, pourtant, il existe chez nous un accord pour ainsi dire unanime sur leur rôle dans une démocratie et sur la forme que l'enseignement qu'elles dispensent doit prendre. Ce sont les écoles qui ont "américanisé" les vagues successives d'immigrants qui ont créé notre pays; ce sont les écoles qui sont censées donner à chacun aujourd'hui les mêmes possibilités de réussite.
Ouvrez le prospectus de n'importe quelle école ou université privée ; consultez la charte de l'office d'éducation de n'importe quel Etat, et vous verrez la description d'une organisation qui ne varie que peu d'une école à l'autre, et vous trouverez partout exprimés les mêmes objectifs pédagogiques, le même idéalisme social.
Pour vous donner quelques exemples, un établissement public en Californie se propose d'assurer à ses élèves, non seulement indépendance d'esprit et réussite dans l'acquisition des connaissances de base, mais encore le goût de la compétence économique et professionnelle, les vertus civiques, l'efficacité dans les relations humaines, l'élévation morale, l'épanouissement physique et spirituel, et l'ouverture de l'esprit aux valeurs esthétiques et de la culture générale.
Comme si cela ne suffisait pas, cette école promet par surcroît de développer en ses élèves la capacité de prendre des décisions raisonnées, de résoudre des problèmes, et de "s'auto-évaluer", en vue du développement continu de leur propre esprit !
Avouez que le programme est ambitieux ! !
Une autre école, à 5.000 kilomètres de la Californie, au Nord de B0STON, est fière de publier chaque année les objectifs de son fondateur, rédigés en 17B2, mais considérés comme toujours aussi valables de nos jours. Je cite le fondateur :
"Considérant en effet que d'une part la bonté sans connaissances demeure insuffisante et faible et que, d'autre part, la science sans conscience peut être dangereuse, il ne faut jamais cesser de cultiver les deux conjointement… science et bonté réunies étant les qualités indispensables à celui qui souhaite servir l'humanité. "
et aux responsables actuels de l'école d'ajouter :
"Maintenant arrivée au début du troisième siècle de son existence, Exeter est fière de réaffirmer l'idéal qui anima son fondateur. Comme par le passé, l'Académie d'Exeter ouvre son enseignement sur les liens essentiels unissant la morale et le savoir, afin que ses étudiants puissent un jour servir utilement leur pays et l'humanité. "
Vous avez dû remarquer qu'on parle souvent de la formation morale. C'est un point capital ; car, à divers degrés, toutes les écoles américaines - publiques, religieuses ou indépendantes - se donnent la tâche d'y veiller. Trois thèmes sont constants : l'importance de chaque individu et de son épanouissement ; la formation de son caractère : indépendant, tenace, débrouillard, et honnête de préférence et l'importance du service dû à la société.
Une autre constante dans les écoles américaines, moins profonde peut être, mais intéressante cependant c'est leur façon de s'organiser. C'est presque partout une organisation traditionnelle qui ne dérouterait aucun européen parachuté dans une école du Wyoming ou de l'Alabama. La journée est divisée en "heures" de 50 minutes environ ; les élèves, groupés pour la plupart selon leur âge, vont d'une classe à l'autre, chargés de cahiers et manuels.
Dans les meilleures écoles, les effectifs sont restreints (12 à 15 élèves environ), les professeurs sont actifs et exigeants ; les discussions, sur un sujet préparé toujours à l'avance, sont animées et constructives. Dans les écoles moins favorisées les effectifs sont plus importants (entre 25 et 35, ou même 40 élèves), les professeurs et les élèves peut-être moins motivés, les cours plutôt "magistraux" et peut-être moins stimulants.
Les élèves étudient quatre ou cinq matières et ont, en général, 16 à 25 heures de cours par semaine. Dans les meilleures écoles, le travail personnel exigé de l'élève chez lui est important -jusqu'à 4 ou 5 heures tous les soirs. Dans les moins bonnes écoles, par contre, très peu de travail est demandé à l'élève à la maison.
Le sport joue un rôle important et il existe aussi dans toutes les écoles de nombreux clubs et autres activités, tel le journal de l'école, la revue littéraire, la station-radio, l'orchestre, la chorale, ou le conseil des élèves. Dans toutes ces activités les jeunes sont encouragés à prendre d'importantes responsabilités et à confronter des problèmes concrets. Pour ne donner qu'un seul exemple, c'est au rédacteur (ou à la rédactrice) en chef du journal -toujours un élève de première ou de terminale -de motiver son équipe de journalistes néophytes; de veiller à ce que tous les articles soient remis en temps voulu, d'en assurer la mise en page, l'impression et la distribution. Sans parler du côté gestion; il faut vendre de la publicité pour payer l'impression du journal. Il ya un numéro du journal des élèves à peu près tous les mois dans les petites écoles, tous les quinze jours dans les écoles de cinq cents élèves ou plus, et tous les huit jours dans les écoles ayant une bonne tradition journalistique dans les universités le journal des étudiants est un vrai quotidien. Là, j'ai apporté quelques exemplaires du journal de mon école aux Etats-Unis qui paraît à peu près tous les quinze jours. Cela en est un autre ; celui-là sort toutes les semaines. Ce sont les élèves qui le font; ils font tout. Là, c'est une école qui a, à peu près, mille élèves. Il est à remarquer aussi que cette formation pratique se poursuit en dehors de l'école. Ce n'est pas pour rien qu'on dit que les Américains sont entreprenants : 75 % des lycéens ont un emploi à temps partiel les après-midi et les week-ends. Et nombreux sont les élèves qui travaillent bénévolement dans les hôpitaux, les asiles, ou dans les quartiers déshérités de leurs villes. Il y a même de plus en plus d'écoles qui exigent maintenant un minimum d'action sociale pour l'obtention du diplôme de fin d'études.
La fin des études secondaires est toujours célébrée par une grande cérémonie de remise de diplômes, et de distribution de prix, en présence des parents, des professeurs et de personnalités locales ou même nationales, selon l'école. Cette cérémonie revêt un caractère sacré, rituel, dans toute école, et c'est en quelque sorte le seul rite de passage que notre culture réserve à ses jeunes, leur conférant ainsi le statut d'adulte, quel que soit leur âge.
Il y a donc des points communs entre les écoles, tant dans la forme que dans le fond. Pourtant, elles ne sont pas égales aux yeux des parents. En effet, tous les sondages, depuis une quinzaine d'années, nous indiquent que les parents d'élèves sont de moins en moins satisfaits des écoles publiques. Pourquoi ? Ils accusent :
- le manque de discipline allant parfois jusqu'à la délinquance grave,
- la baisse de ressources financières,
- le syndicalisme militant des professeurs, dans certaines villes,
- le pouvoir diminué des conseils locaux pour établir leurs budgets,
- et le manque de travail personnalisé dans les écoles à vocation universelle groupant plus de deux milles élèves.
De plus en plus, les gens se tournent vers les Écoles non publiques, écoles qu'ils considèrent comme des havres d'ordre et de rigueur intellectuelle, dont les dimensions humaines permettent aux professeurs qui aiment leur métier de bien s'occuper de chaque élève, quel que soit son niveau.
Je vous ai fait remarquer déjà l'étonnant succès des écoles "évangéliques" depuis une quinzaine d'années. Partant de zéro, elles comptent maintenant peut-être six cent mille élèves. De même, le nombre d'élèves dans les écoles de la catégorie "indépendante" a augmenté de 24% depuis 1973 tandis que celui des élèves inscrits dans les écoles publiques a baissé de 18% pour la même période.
Les écoles publiques ne sont pas près de disparaître, loin de là... et nous, qui travaillons dans les écoles indépendantes, sommes contre tout projet de loi qui les affaiblirait davantage. Mais la tendance est tout de même significative.
2.- FINANCEMENT DES ECOLES
Nous avons beaucoup parlé de structures, de philosophie et d'objectifs d'une grande Élévation. Revenons un peu sur terre pour discuter du côté matériel de l'affaire. Comment sont financées ces structures ? Qui, dans la société américaine, est censé subventionner les bonnes idées de nos meilleurs pédagogues ? Comme pour le reste, il y a bien sûr, deux systèmes parallèles : le financement des écoles publiques, et celui des écoles non-publiques.
Les écoles publiques
En ce qui concerne les écoles publiques, traditionnellement les revenus provenaient des impôts fonciers de leur localité... un système qui avait pour résultat de créer de grosses inégalités entre les écoles des villes prospères et celles de localités où les valeurs immobilières étaient moindres.
Ces inégalités, hélas, existent toujours, mais la tendance actuelle est de les réduire en répartissant maintenant les fonds destinés à l'enseignement, non pas au niveau local, mais de plus en plus au niveau de chaque état.
Les écoles privées
La situation financière des écoles privées est totalement différente. Deux points essentiels à retenir au départ :
1. Les écoles privées ne reçoivent pour ainsi dire aucune subvention de leur Etat, ni du gouvernement fédéral
2. Bien que les frais de scolarité puissent monter à10.000 dollars par an pour un internat, le coût moyen par élève et par an dans les écoles privées est élevé que celui des écoles publiques
Les écoles privées ne peuvent en aucun cas donc être considérées comme des réserves de familles aisées. Ce sont souvent des gens très simples qui y envoient leurs enfants, en faisant peut-être des sacrifices personnels considérables. N'oubliez pas que les écoles sont chères car justement parce qu'elles ne reçoivent aucune subvention de l'Etat, et que les familles paient leurs impôts locaux, qu'elles profitent de l'école publique gratuite ou non. Pour nous, c'est simple : il y a un dicton américain qui dit: "on ne peut pas conserver son gâteau et le manger aussi." Ce n'est pas parce qu'on ne prend jamais le bus ou le train qu'on se fait rembourser les impôts destinés à subventionner les transports en commun -et d'ailleurs le train n'a pas de subvention aux Etats-Unis -.Ce n'est pas parce qu'on envoie ses enfants dans des écoles payantes qu'on se fait rembourser l'argent destiné aux écoles publiques et gratuites. Pour avoir le choix, pour rester libres et indépendantes, les familles américaines savent qu'elles doivent payer, et elles ne reculent pas devant le sacrifice.
Pour couvrir les frais de scolarité, les familles modestes sont obligées de prendre un deuxième emploi, ou de manger moins bien, ou de se priver de vacances et d'autres luxes, ou bien de faire rouler le vieux char familial une année de plus. J'ai même entendu parler récemment d'une famille qui a vendu sa maison pour pouvoir garder ses enfants à l'école privée !
Mais il n'y a pas que les familles qui font l'effort. Toute école qui se respecte fait tout ce qu'elle peut pour faciliter l'accès aux enfants bien doués de familles modestes.
Ce sont les écoles les plus fortunées qui peuvent se permettre d'être les plus généreuses bien sûr. A SAINT- PAUL's SCHOOL, un internat dans le New Hampshire, par exemple, la participation payée par les parents ne couvre qu'un tiers du coût réel de l'enseignement dispensé. Tous les élèves, donc, bénéficient automatiquement d'une sorte de bourse, payée par les revenus des investissements de l'école et par des dons d'amis et d'anciens élèves. En plus, l'école a accordé l'année dernière une bourse supplémentaire à 30% de ses élèves. A peu près 10 % du budget, soit plus d'un million de dollars, est consacré à l'aide financière aux familles chaque année.
Les chiffres sont encore plus élevés au niveau des universités. A PRINCETON, par exemple, où les frais de pension et de scolarité s'Élèvent maintenant à plus de 15.000 dollars par an, 13.000 dollars sont mis de côté chaque année pour aider les boursiers... 50 % des étudiants.
Pourquoi les anciens élèves – et souvent les parents d'élèves aussi - donnent-ils si volontairement, si généreusement, à l'ALMA MATER ? Il y a d'abord une raison pratique, d'ordre fiscal. En effet, les dons aux associations à but non lucratif (églises, hôpitaux, musées, organismes charitables comme la Croix Rouge, écoles, universités) sont, depuis 1939, exempts d'impôts. Cela veut dire que pour quelqu'un qui paie 50% de ses revenus à l'Etat en impôts, chaque dollar qu'il offre à son école ne lui coûte vraiment que 50 cents. Mais les avantages fiscaux n'expliquent pas entièrement le phénomène des donations volontaires. Après tout, il faut quand même sortir les 50 cents, ou les 50.000 cents, ou les 50 millions de cents de sa poche !
Non, pour comprendre vraiment la mentalité américaine, il faut revenir à ce que je disais au sujet des objectifs de l'enseignement et de la vie à l'école aux Etats-Unis. Il n'y a pas que l'intellect qui compte, mais le caractère aussi. Tout simplement, pour des millions de lycéens et d'étudiants aux Etats-Unis, l'école C'EST LA VIE, pendant 4 à 8, ou même 12 ans.
L'école est une petite communauté qui offre à ses membres non seulement les études, mais les distractions, les sports, la formation professionnelle et les contacts humains. Les liens d'amitié qui s'y créent entre étudiants et avec les professeurs durent la vie entière. C'est à l'école pour certains, à l'université pour d'autres, qu'on se prend en charge, qu'on découvre sa vocation professionnelle, qu'on trouve même son épouse ou son époux. En grande partie la suite de la vie est décidée pour des millions d'Américains chaque année au sein de leur école.
L'école nous aide donc à trouver notre voie, et nous donne les moyens intellectuels et personnels pour y réussir. Nous en sommes conscients. Nous en sommes reconnaissants. Chacun selon ses moyens, nous essayons de faire en sorte que la tradition continue pour ceux qui nous suivront.
Très souvent ce sont les anciens boursiers qui s'avèrent les plus généreux, car ils tiennent à ce que d'autres jeunes bénéficient des mêmes possibilités. "Mon école (ou mon université) m'a fait confiance, a misé sur moi," disent-ils. "C'est avec plaisir que je repaie ma dette". Ils donnent volontiers de leur vivant, et ils n'oublient pas l'ALMA MATER quand ils s'en vont dans l'autre monde. Récemment, un ancienélève d'un internat près de BOSTON qui n'était pas revenu à l'école depuis 1920- a légué 20 millions de dollars (20 milliards de centimes !) pour fonder à perpétuité une bourse destinée à payer tous les frais d'études et de voyage pour seize élèves de son Etat, le Montana… et cela pendant quatre années d'internat et quatre années d'université par la suite, à HARVARD de préférence !
En 1982 une seule personne a laissé 77 millions de dollars à HARVARD et 38 millions de dollars à l'UNIVERSITE WASHINGTON à St-LOUIS.
Il n'y a pas de mystère: la qualité dans l'enseignement coûte cher; les meilleures écoles américaines sont riches et elles font tout pour maintenir leur situation favorisée. Tous les ans, tous les anciens élèves (même ceux qui ont §t§ renvoyés -ils aiment parfois prouver qu'ils ont réussi dans la vie "quand même" -)1 de toutes les écoles sont sollicités; et chaque école a un service à plein temps qui s'occupe de ce qu'on appelle discrètement le "développement", autrement dit la quête des fonds, en permanence. Mais si les meilleures écoles sont riches, ce n'est pas pour autant -et j'insiste sur ce point -qu'elles sont réservées uniquement aux riches. Au contraire, elles ouvrent leurs portes à tous ceux qui ont les moyens - INTELLECTUELS - de tirer un maximum de profit de leurs études et de leurs activités extra-scolaires, et elles font tout pour y faire entrer un maximum d'élèves de régions et d'origines différentes.
Cela tient à trois raisons :
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premièrement, une raison fiscale. Les écoles qui refusent l'entrée aux noirs et autres minorités raciales risquent de perdre leur statut fiscal d'association, exempte d'impôts et habilitées à recevoir des dons également exemptés.
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deuxièmement, et plus important, une raison pédagogique: nous sommes persuadés qu'une école représentative de l'ensemble de la société est par définition meilleure que celle où les élèves manqueraient de contacts avec des élèves et des professeurs d'origines et de points de vue différents des leurs.
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troisièmement, et là c'est la raison la plus importante: une raison sociale. Nous considérons qu'il est de notre devoir d'essayer de compenser, si peu que ce soit, les torts infligés jadis et jusqu'à nos jours aux races minoritaires, notamment dans les écoles. Je vous rappelle que la Cour Suprême des Etats-Unis n'a déterminé qu'en 1954 que le système d'école séparée pour les élèves noirs et les élèves blancs n'était pas conforme à la Constitution des Etats-Unis et que, même 10 ans après cette décision historique, il restait plusieurs états dans le Sud de notre pays où pas un seul élève noir n'était admis dans une classe d'élèves de race blanche. La situation n'est toujours pas brillante ; il reste encore des progrès à faire, mais les écoles privées, plus à l'abri des influences politiques et moins contraintes par les impératifs géographiques que les établissements publics, sont bien placées pour aider... .et elles font ce qu'elles peuvent.
Quelquefois, cette volonté de favoriser le brassage social donne lieu à des initiatives assez extraordinaires. Par exemple, dans la petite école de la banlieue de SAN FRANCISCO où j'ai travaillé pendant trois ans avant de venir en France, un des membres de notre Conseil d'Administration, un Ecossais, a proposé un jour de payer à un élève une bourse complète pendant sept ans. Ses conditions ? Il fallait que le candidat fût à la fois :
1.- membre d'une minorité raciale,
2.- extrêmement brillant,
3.- de famille nécessiteuse... et
4.- handicapé physique, par dessus le marché.
Je n'étais pas très optimiste au départ, mais j'ai contacté toutes les écoles publiques primaires dans un rayon d'une vingtaine de miles autour de notre école, leur demandant de me proposer leurs meilleurs élèves pour la bourse. J'ai reçu une bonne douzaine de candidatures ; et nous avons choisi une petite fille remarquable. Mexicaine, elle avait 11 ans à l'époque et s'appelait Antonia ESTRADA. Sa maîtresse d'école nous disait qu'elle n'avait jamais vu une élève aussi brillante en 28 ans de carrière. A la maison, elle ne parlait que l'espagnol avec son père, tailleur, et sa mère, femme de ménage, qui, eux, ne parlaient pas un mot d'anglais. Malgré cet énorme désavantage linguistique, elle a eu le meilleur résultat de tous nos candidats cette année là à l'examen d'entrée en vocabulaire et compréhension de l'anglais. C'était extraordinaire. Notre choix a donc été facile, et les résultats aussi bons qu'on pouvait l'espérer. Antonia a fait d'excellentes études, et 7 ans plus tard elle entre au mois de septembre à STANFORD. Je la vois bien un jour médecin, avocate, ou juge. Le handicap physique ? Je trouvais qu'Antonia parlait avec un léger zézaiement… ! "Handicap" qui a suffi pour satisfaire les exigences de notre mécène. Il ne faut jamais être trop rigide !
Il est certain qu'il faudra des milliers et des milliers d'Antonia pour créer une société où la justice règnera à 1OO %. Un cas n'est qu'une goutte d'eau dans la mer mais chaque goutte comptera; et ce qui importe c'est que chaque individu et chaque communauté scolaire n'oublient jamais d'apporter à ceux qui en ont besoin l'aide qui leur permettra de développer au plus haut niveau toutes les capacités que Dieu leur adonnées.
3.-UN COUP D'ŒIL RAPIDE SUR LES POSSIBILITES ET PROJETS DE REFORMES ACTUELS
Je vous ai promis de parler un peu de ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis dans le domaine de l'enseignement. Je vois que le temps passe; mais je tâcherai cependant de résumer rapidement les grandes tendances. Tout d'abord, il faut savoir qu'en 1983 le Secrétaire à l'Education a publié un rapport qui portait le titre provocateur "Une Nation en Danger". Ce cri d'alarme a attiré l'attention du grand public sur les problèmes et les défaillances de l'école publique... et a provoqué un véritable déluge d'études, de "livres blancs", de projets de réforme de l'enseignement américain.
Déjà, 43 états sur les 50 ont adopté des mesures en vue d'améliorer l'enseignement secondaire: meilleurs salaires et meilleure formation pour les professeurs, journées ou années scolaires plus longues nombre de matières obligatoires augmenté, etc...
Le Président REAGAN, pour sa part, qui s'intéresse énormément à l'enseignement, a proposé deux lois :
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la première donnerait aux parents la possibilité de déduire de leurs impôts fédéraux les frais de scolarité payés aux écoles privées. Mais ce projet de loi n'a pour ainsi dire aucune chance d'être adopté dans la conjoncture actuelle étant donné que c'est une mesure qui coûterait à WASHINGTON des sommes immenses tandis que le plus gros problème du Gouvernement REAGAN est son énorme déficit; de plus, les écoles indépendantes sont hostiles à cette initiative.
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La deuxième mesure a plus de chance d'être adoptée par les Etats car elle ne coûterait rien parce qu'elle a le soutien du plus grand syndicat d'enseignants. Cette réforme donnerait aux parents la possibilité de dépenser l'argent destiné à l'éducation de leurs enfants dans l'école publique de leur choix. Ce qui mettrait les écoles en compétition pour les crédits qu'elles reçoivent maintenant automatiquement, ce qui favoriserait en même temps l'amélioration des niveaux d'étude et permettrait des innovations pour attirer les familles.
Je vous ai dit qu'il y a eu des centaines de rapports mais de ceux que j'ai pu lire, le plus sérieux, le plus compréhensif, le mieux conçu est celui du professeur Ernest BOYER, Président de la Fondation CARNEGIE pour le progrès de l'enseignement. Les réformes qu'il propose sont pleines de bon sens. Notamment, il conseille aux établissements secondaires de :
- redoubler d'efforts pour bien enseigner l'anglais,
- augmenter le niveau et le nombre de matières obligatoires
- et d'exiger de chaque élève du travail bénévole au service d'autrui
Le rapport du Professeur BOYER est doublement intéressant, car la fondation dont il est responsable propose de subventionner les écoles qui se portent volontaires pour mettre en pratique les réformes suggérées.
« Je suis persuadé », écrit le Professeur BOYER, « que le seul moyen de soutenir le mouvement actuel pour améliorer notre enseignement est d'encourager la réforme au niveau de chaque école, les ordres venant du haut de la hiérarchie ont tendance à créer plus de confusion que de réforme ! »
Il y en a qui prétendent que ce nouvel enthousiasme pour la réforme n'est qu'un phénomène culturel passager, qui revient à peu près tous les dix ans, une ruée vers les sciences après Spoutnik dans les années 50, ouverture à toutes les pédagogies laxistes pendant les années 60, retour aux disciplines et à la rigueur traditionnelles pendant les années 70, et nous en sommes maintenant à "l'excellence,"…le nouveau mot d'ordre parmi nos éducateurs.
Personnellement, je ne suis pas très optimiste ; d'une part, une réforme profonde dans l'enseignement demanderait 8 à 10 ans, tandis que le cycle politique tourne beaucoup plus rapidement 2 ans ou 4 ans -et, d'autre part -et là j'en finis -, les dimensions du problème me font penser, une fois de plus, à notre éléphant, car réformer l'enseignement, c'est un peu essayer de laver l'éléphant : c'est un projet très ambitieux qui donne rarement des résultats satisfaisants.
On verra bien...
Merci beaucoup !
EXPOSE de Monsieur L.A. STRUIK (Pays-Bas)
Secrétaire General du Conseil Néerlandais pour l’enseignement Catholique - LA HAYE
Après l'introduction d'un grand pouvoir, c'est le mot pour mon petit pays, je ne parlerai pas du système éducatif néerlandais sur un point trop technique, mais sur la naissance de la liberté de l'enseignement, la réalisation un peu, et le visage actuel de la liberté de l'enseignement.
Comme pour chaque pays, le système éducatif des Pays-Bas est le résultat d'une longue évolution historique qui reflète le développement d'une mentalité spécifique. Aussi, faut-il revenir en arrière pour comprendre la situation actuelle de l'enseignement aux Pays-Bas.
UN BREF RAPPEL DU PASSE
En 1850, deux partis politiques principaux s'opposaient : "les libéraux" et "les protestants" ; les catholiques, en tant que tels, n'étaient pas encore organisés politiquement. Cela sera bien le cas vers la fin du dix-neuvième siècle.
Au début du XXème siècle, à côté des partis libéral et chrétiens confessionnels, apparaît, comme dans les autres pays européens, un parti socialiste. Toutefois, celui-ci, plus proche des conceptions social-démocrates que du marxisme orthodoxe, ne prônait pas des nationalisations et militait simplement pour un aménagement de la société.
En 1848 la constitution proclame la liberté d'enseignement, c'est-à-dire, la liberté juridique donc, l'abolition du monopole scolaire de l'Etat. Dorénavant les particuliers n'avaient pas besoin d'une licence pour fonder une école.
En 1900 est décrétée l'obligation scolaire, ce qui marque le début d'une âpre lutte scolaire qui durera jusqu'en 1917…
Entre 1888 et 1918, gouvernements chrétiens et gouvernements libéraux se succèdent. Dans presque toutes les élections, le problème scolaire joue un rôle de premier plan.
Différentes lois scolaires dans cette période apportent chaque fois de légères améliorations à la situation de l'école privée dont les tenants insistent pourtant avec une énergie croissante pour réclamer le traitement égal de l'école publique et de l'école privée, aussi en matière financière.
Vers 1917, les proportions numériques entre les différents partis étaient telles que l'opportunité se présenta de proclamer ce qu'on considéra la vraie liberté d'enseignement : c'est-à-dire, la liberté non seulement "de droit", mais liberté effective.
Cela mena à la révision de 1917 de la constitution. Adoptée à l'unanimité, après une ample préparation à laquelle participaient tous les partis politiques, fut introduit le principe constitutionnel de l'égalité financière entre l'enseignement public et l'enseignement d'initiative privée.
Appliqué d'abord à l'enseignement élémentaire seulement ce principe a successivement, sur une période d'une dizaine d'années, été étendu à tous les niveaux d'enseignement : cela fait que le régime scolaire des Pays-Bas est jusqu'à présent unique au monde : nulle part ailleurs, je crois, l'école privée n'est, comme chez nous, financée à cent-pour-cent par l'autorité publique : dépenses de personnel, dépenses de fonctionnement et aussi, sous certaines règles, dépenses d'investissements.
Il faut noter que la loi sur l'enseignement primaire qui a mis en pratique la réforme constitutionnelle et aussi toutes les autres lois qui l'ont suivie, règlementant les autres types d'enseignement font simplement allusion à l'école d'initiative privée, sans mentionner spécialement l'école catholique ou protestante ou neutre ou privée.
LE SYSTEME D'EDUCATION HOLLANDAIS
La division de l'enseignement en deux ensembles distincts - enseignement public et enseignement privé - caractéristique du système néerlandais, aussi n'a guère d'importance en ce qui concerne la structure de l'enseignement, car les lois et règlements d'application garantissent, dans la même mesure, la qualité de l'un et de l'autre.
Cette division constitue toutefois une des raisons pour lesquelles de nombreuses dispositions légales mettent tant l'accent sur la qualité de l'enseignement.
Ce système a été façonné pendant plus de soixante ans avec un sens prononcé de détail, comme le veut le tempérament ou le caractère néerlandais et on le préserve dans tous ses prolongements avec un certain zèle et ténacité.
Il est vrai que les Néerlandais craignent toute forme possible de pédagogie d'Etat. Le principe constitutionnellement garanti de la liberté de l'enseignement les protège à cet égard, d'autant plus qu'il s'accompagne d'une garantie de concrétisation matérielle de cette liberté : devant les caisses des pouvoirs publics, l'enseignement libre et l'enseignement public sont rigoureusement égaux sur le plan financier.
La parité financière des enseignements public et privé, instaurée par la Constitution, ne représentait au départ qu'un compromis fragile entre des partis qui l'interprétaient diversement et lui attribuaient des nuances différentes. Mais ce compromis est finalement devenu un accord stable et durable que plus aucun intéressé ne se risque à mettre en jeu.
Même lors de la révision générale dont la Constitution a fait l'objet en 1984, il n'a pas été possible de modifier ce compromis (nommé dans notre histoire constitutionnelle "la Pacification"), sinon sur de très rares points de détail. On avait trop peur que tout changement terminologique ne cachât quelque intention fâcheuse visant à modifier fondamentalement le système éducatif en tant que tel.
Ce système, on peut le résumer comme suit :
1. Le Gouvernement veille d'une manière constante à l'enseignement public aussi bien qu'à l'enseignement privé. L'enseignement peut être dispensé librement, sous réserve de la surveillance des pouvoirs publics.
2. Les pouvoirs publics assurent un accès suffisant à un enseignement public qui respecte la religion et les convictions de chacun.
3. L'enseignement public et l'enseignement privé sont placés sur un pied d'égalité devant les caisses publiques.
4. L'enseignement privé doit, pour être financé par les pouvoirs publics, satisfaire à des conditions qui garantissent sa qualité aussi efficacement qu'est garantie celle de l'enseignement public, mais qui respectent, en particulier, sa liberté quant au choix des moyens d'enseignement et à la nomination des enseignants.
Comme je l'ai déjà fait remarquer, entre 1840, à peu près, et 1917, la vie politique aux Pays-Bas a été placée dans une large mesure sous le signe de la "guerre scolaire". Celle-ci a eu une grande influence sur la formation des partis politiques, de même qu'elle a été l'élément moteur de l'organisation de la société selon des axes déterminés par les diverses convictions philosophiques et religieuses. Ce n'est que vers 1950 que ce critère organisationnel de - on peut nommer -"cloisonnement" a commencé à perdre progressivement de sa rigueur dans différents domaines. Mais, en matière d'enseignement, il est resté en majeure partie intact jusqu'à ce jour.
Aux Pays-Bas, la liberté de l'enseignement découle directement de la liberté de religion et de croyance, une notion qui s'entend au sens actif la liberté de professer sa religion et ses convictions, la liberté non seulement d'avoir, mais encore de propager des opinions différentes de celles qui ont généralement cours -la liberté, par voie de conséquence, de donner une éducation et un enseignement conformes à ses opinions.
Ainsi, le droit à la liberté de l'enseignement, tel que ce droit est consigné dans la Constitution, représente-t-il un ensemble formé de la liberté d'inspiration, de la liberté des parents de choisir les professeurs de leurs enfants, de la liberté des écoles de choisir les moyens d'enseignement, etc...
Les pouvoirs publics - y compris le législateur - sont confrontés à cet ensemble de libertés. Il ne leur appartient pas de se prononcer sur la valeur matérielle des convictions des citoyens, et encore moins de traiter ces derniers diversement en fonction de ces convictions. Les pouvoirs publics doivent régler la coexistence au sein de la communauté nationale en observant une stricte neutralité; sans faire de discrimination d'après les convictions des membres de cette communauté.
Si les pouvoirs publics se tiennent en principe à distance, c'est à la guerre scolaire qu'on le doit. Je pense que cette distanciation des pouvoirs publics constitue la cause la plus profonde de la paix scolaire qui règne aux Pays-Bas depuis plus de soixante ans, de même qu'elle explique que l'unité de la nation n'ait pas été menacée malgré les déséquilibres quantitatifs (globalement parlant, l'enseignement néerlandais est 70% privé et seulement 30% public).
Aux termes de notre article 23 de la Constitution, "l'enseignement fait l'objet des soins incessants du gouvernement". Notez que, avant la modification de notre Constitution de 1917, le texte en question disait que l'enseignement public faisait l'objet des soins incessants du gouvernement. Donc il veille tout autant à l'enseignement privé qu'à l'enseignement public. L'enseignement doit être vu comme une unité à laquelle le gouvernement porte une attention sans partage.
La soi-disante "Pédagogie d'Etat" aussi bien que la mise des écoles sous la tutelle des universités sont exclues aux Pays-Bas. En effet, le deuxième paragraphe de l'article de notre Constitution précise : "L'enseignement peut être dispensé librement, sous réserve de la surveillance des pouvoirs publics et, en ce qui concerne les formes d'enseignement, spécifiées par la loi, de l'examen de la compétence et de la moralité des enseignants".
La surveillance des pouvoirs publics se rapporte uniquement à l'observation des dispositions légales. Le législateur a voulu édifier un cadre pour des questions comme la description des types d'écoles, la définition de leurs relations mutuelles, les conditions auxquelles doivent répondre les examens, les certificats d'aptitude que doivent détenir les enseignants, le salaire des enseignants, le nombre d'heures de cours hebdomadaires, la valeur des diplômes dans la vie active, l'âge d'admission des élèves et les exigences en matière de protection de la santé et des bonnes mœurs. Ce cadre légal est le même pour l'enseignement public et pour l'enseignement privé.
Au sein de la structure générale qui vient d'être esquissée, chaque école fonctionne conformément à son propre projet éducatif d'établissement. En vertu des différentes lois relatives à l'enseignement, les écoles doivent arrêter ce projet dans un "plan d'études" ou un "plan scolaire intégral".
Les écoles privées sont placées sous la direction de leur propre conseil de gestion scolaire. Les écoles publiques dépendent, pour la plupart, des municipalités. Et aussi du gouvernement national.
On peut dire que le système d'enseignement néerlandais est conçu dans une large mesure à partir de la base, c'est-à-dire à partir de l'école considérée isolément, où se déroule le processus éducatif, et en fonction de la situation locale. En d'autres termes, notre enseignement reste dans la tradition de l'organisation politique des Pays-Bas où la commune autonome occupe une place importante.
Quant à l'intervention des pouvoirs publics dans les activités sociales - où se range l'enseignement privé- il y a certaines expressions d'une tradition sociale bien faite pour soutenir l'idée de l'école autonome. Des expressions comme celles des calvinistes qui ont assujetti la théorie de "la souveraineté dans chaque sphère" ; des catholiques parlant sur le principe de subsidiarité et aussi des socialistes, dans le souci de promouvoir la participation des citoyens à la gestion du pays, plaident souvent pour une décentralisation des compétences administratives.
On pourrait se demander si la philosophie qui sous-tend le système éducatif néerlandais n'a pas engendré une multitude difficilement maîtrisable d'écoles, minant en définitive l'unité de l'enseignement. En effet, les Pays-Bas comptent plus de vingt mille écoles, pour une population très diversifiée sur le plan des conceptions philosophiques et religieuses; cette population se compose, selon les estimations, de près de 40% de catholiques et d'un peu plus de 30 % de croyants se rattachant à l'une ou l'autre des familles du protestantisme, le reste englobant essentiellement les areligieux ou les autres minorités. Le risque de création d'une structure scolaire inextricablement diversifiée est donc évident.
La réalité, heureusement, apparaît comme moins menaçante. C'est, pour commencer, que le législateur a l'habitude de régler au niveau national toutes les questions importantes qui concernent la liberté de l'enseignement. En second lieu, l'administration centrale a entouré de tant de règles le principe de l'égalité financière qu'elle a même fini un peu par provoquer-la bureaucratie aidant -une certaine rigidité.
De surcroît, il existe aux Pays-Bas également une sorte de carte scolaire, en ce sens que les familles de pensées coopèrent sur le plan de l'organisation, tant dans leurs sphères d'activité propre qu'au niveau national. Les écoles qui relèvent des municipalités donnent une forme concrète à cette coopération au sein de l'Union des communes néerlandaises; les écoles privées, quant à elles, coopèrent par le truchement soit du Conseil Néerlandais des écoles catholiques, soit du Conseil Néerlandais des écoles protestantes, soit enfin du Conseil Néerlandais des écoles privées, ce dernier regroupant toutes les écoles privées non protestantes ni catholiques. Le Ministre, ou le département de l'Education, a coutume de se concerter, au sujet de la législation envisagée et de la planification de sa politique, avec les organisations précitées, c'est-à-dire avec les familles de pensées qui déterminent l'inspiration de l'enseignement.
Il est fréquent que, dans chacune des organisations, les écoles se mettent d'accord pour harmoniser leur action, dans des domaines tels que les conditions d'admission des élèves, la création de nouvelles sections et bientôt l'utilisation optimale d'équipements informatiques.
Ces facteurs font que le système éducatif néerlandais demeure viable et cohérent malgré les nouveaux défis qu'il lui faut relever, à savoir l'insuffisance des fonds publics, l'impact accru des allochtones, la perte d'identité qui affecte un peu les grands courants philosophiques et religieux, et la participation de tous les membres de la communauté scolaire au devenir de l'école.
Tout corps constitué non lucratif (associations, fondations, paroisses, ordres religieux) créé dans le but d'enseigner, peut être reconnu comme comité de gestion d'une école privée. La municipalité est chargée de dresser annuellement un plan des écoles primaires.
Les autorités doivent accorder leur autorisation à la création d'une école primaire privée si à son ouverture elle compte un certain nombre d'élèves selon le nombre d'habitants de la municipalité, généralement établie sur base de signature des parents et par des prévisions statistiques. Il existe bien entendu des mesures prévenant la création inconsidérée des écoles.
Les bâtiments et l'équipement sont donnés en possession aux autorités scolaires, mais doivent être restitués aux autorités publiques s'ils ne servent plus à des fins scolaires. Les enseignants reçoivent la même rémunération et jouissent des mêmes avantages que les professeurs des écoles d'Etat. Les dépenses sont couvertes par la municipalité qui est remboursée par le gouvernement central suivant un système assez compliqué.
La création d'écoles secondaires est basée sur un "plan d'écoles" établi annuellement et valable pour les trois années suivantes. Ce plan est établi sur base de prévisions statistiques. Son but déclaré est la répartition équilibrée des écoles selon leur type et leur confession.
Il est à remarquer que ces règlementations généreuses ont été établies pour une période de croissance et d'expansion.
Aujourd'hui, alors que nous assistons à une diminution du taux de naissances et, par conséquent, à une diminution de la population scolaire, certains chez nous réclament une nouvelle législation, mieux adaptée à une période de régression.
Il faut souligner que l'expérience néerlandaise dans le domaine du pluralisme scolaire a été plus que le résultat d'un triomphe politique. Elle prenait racine dans la conviction même que la liberté accordée aux citoyens par l'Etat serait simplement théorique (ou formelle) dans la plupart des cas si ce même Etat n'octroyait pas les moyens matériels nécessaires à la mise en pratique de cette liberté.
Il y a aussi certains accords et conventions internationaux. Je veux mentionner :
- L'Accord International de Sauvegarde des droits économiques, sociaux et culturels
- La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales
- L'Accord International sur les droits civiques et politiques
On peut dire que dans le système juridique néerlandais, ces accords internationaux, tous ratifiés par le gouvernement, font partie de la législation nationale et la Constitution Néerlandaise reconnaît la supériorité hiérarchique des règlementations internationales sur les lois nationales.
Cela signifie tout d'abord que ces dispositions internationales constituent une barrière juridique à un éventuel non-respect de ces règlementations de la part des autorités nationales ou à une action administrative qui va à l'encontre de celle-ci.
En second lieu, cela sous-entend que les règlementations énoncées dans les conventions sont minimales, ce qui, explicitement, ne tend pas à ramener une situation nationale qui dépasse à ces minima.
On constate de plus en plus aussi par moyen des accords internationaux une mise en pratique des droits "classiques" fondamentaux qui suppose la non-intervention de l'autorité publique, ainsi qu'un organe destiné à remplir les conditions matérielles indispensables à une meilleure mise en pratique de ce droit.
Les droits classiques fondamentaux sont également appelés "droits de protection" et les droits sociaux sont appelés "droits de promotion". Ainsi, les autorités ont, par exemple, subventionné pendant un certain temps chez nous la construction d'églises, de façon à promouvoir la liberté de culte sur laquelle elles doivent s'abstenir d'empiéter et qu'elles doivent protéger.
On peut dire que déjà en 1917, dans "l'Expérience Néerlandaise", l'Etat assurait ce droit de promotion aux citoyens dans le domaine de l'enseignement en 'subvenant à la totalité des besoins financiers des écoles privées selon les mêmes critères que ceux appliqués aux écoles officielles. C'était, on peut dire, le "droit de promotion" avant la lettre.
Je suis, bien sûr, conscient du fait que certains pays ont adhéré aux traités et aux conventions mentionnés ci-dessus, tout en déclarant explicitement qu'ils ne se mettaient pas dans l'obligation de soutenir financièrement l'enseignement privé pour autant.
Enfin, je veux attirer votre attention spéciale sur l'intérêt - c'est aussi déjà mentionné – que le Parlement Européen a récemment donné à la liberté de l'enseignement et de l'éducation en votant la "Résolution-Lüster" demandant entre autres que soit reconnu sur le territoire de la Communauté Européenne que le droit à la liberté de l'enseignement implique l'obligation pour les Etats-membres de rendre possible, également sur le plan financier, l'exercice pratique de ce droit et d'accorder aux écoles les subventions publiques nécessaires à l'exercice de leur mission et à l'accomplissement de leurs oblig3tions dans des conditions égales à celles dont bénéficient les établissements publics correspondants.
Comme je vous l'ai déjà dit, la solution néerlandaise a été retenue – avec une certaine modestie comme une sorte d'exemple dans de nombreux pays. C'est vrai, nous avons essayé, sur invitation, de l'exporter et déjà en 1921, il y a un Secrétaire Général de l'Enseignement Catholique au Pays-Bas qui s'est rendu en Autriche afin de promouvoir notre solution dans des salles de conférence et des églises. Il y a un résultat que la hiérarchie autrichienne s'est vue divisée à ce sujet, que les hommes politiques catholiques se sont attirés des ennemis et que le gouvernement a discrètement prié mon prédécesseur de quitter le pays immédiatement.
J'espère que mon intervention, ici, n’aura pas les mêmes conséquences fâcheuses...
Merci.
DEUXIEME DEBAT
Un interpellateur
Je serais très heureux si les trois orateurs pouvaient expliquer brièvement comment est organisée dans leur pays respectif la formation professionnelle et technique, c'est-à-dire la formation des ouvriers qualifiés et la formation des techniciens.
Monsieur HALSEY
Je ne suis pas très qualifié pour traiter ce problème, mais je sais qu'il existe des lycées techniques, comme en France, surtout dans les grandes villes. On peut, dès l'âge de 14 ans, choisir cette voie. Autrement, dans les écoles à vocation universelle dont je vous ai parlé tout à l'heure, il existe aussi des cours du genre "mécanique", des cours d'atelier, que les élèves peuvent suivre en même temps que les cours traditionnels. Et je crois ne pas me tromper en disant que les diplômes n'ont pour ainsi dire aucune valeur; ce qui compte c'est la formation sur le terrain; c'est beaucoup moins structuré en France où vous avez un système d'apprentis qui est très suivi, etc... Tout cela, on ne l'a pas chez nous.
Docteur PAUL
En Allemagne, le système est comme j'ai essayé d'expliquer. Nous avons des universités techniques qui s'occupent avec toutes les questions techniques et des ingénieurs… et il faut le baccalauréat pour avoir un avenir dans ces universités. J'ai expliqué cela aussi. En dessous de ce niveau, il y a des écoles techniques spéciales qui donnent un degré qui n'a pas le rang d'une université ; il suffit d'être passé par la "Realschule" pour y être admis.
Monsieur STRUIK
Ça dépend chez nous; cette question est technique et un peu compliquée pour y répondre complètement.
Chez nous il y aune division légale, globale, entre 12 et 16 ans pour la formation générale et la formation professionnelle technique; après, entre l'âge de 16 ans jusqu'à 18 ans, il y a différents types de formation professionnelle sur le plan de la technique
Madame MORANGE-TOURNIS
Il y a un siècle, nous ne parlions pas tous le français. Aujourd'hui, la France entière parle notre langue. Mais l'Europe sociale est en marche. Dans l'Europe, garderons-nous la langue française, ou la langue allemande, ou la langue anglaise ?
Monsieur BOUDOT
Je suppose que la question est posée à tous les orateurs …Comme personne ne semble décidé à répondre, je me contenterai de remarquer qu'on ne peut songer à imposer une langue de force à l'ensemble de l'Europe. La pluralité des langues ne fait pas obstacle ni à la construction européenne, ni à l'unité de notre civilisation européenne.
ALLOCUTION de CLOTURE de Monsieur Maurice BOUDOT
Les conférenciers nous ont présenté trois systèmes éducatifs pratiqués dans des pays proches du nôtre en ce qu'ils sont tous gouvernés par les principes de la démocratie libérale. Ces trois systèmes - je n'emploie le mot système que pour faire simple et il faudrait le mettre entre guillemets, comme le notait M. HALSEY, car en certains cas l'organisation de l'enseignement n'a rien de systématique - sont entièrement différents les uns des autres et très éloignés du système français.
De cette confrontation, nous pouvons tirer de nombreuses leçons. Je me contenterai d'en noter deux :
1. Il n'y a pas lieu de s'étonner si l'on a pu constater que chacun de ces systèmes était fortement marqué par des caractères qui appartiennent à l'histoire propre au pays qui le pratique. De là, la variété des formes que prennent les problèmes qu'ils doivent affronter. Ainsi en est-il notamment pour le problème de la liberté de l'enseignement. Alors qu'en France, ce problème est fortement marqué par la "querelle religieuse" qui naît à la Révolution, en Allemagne il ne l'est aucunement; dans ce dernier pays la question de la liberté de l'enseignement n'a aucune dimension confessionnelle. Le cas des Pays-Bas est en quelque sorte intermédiaire : les questions religieuses affectent les problèmes d'organisation de l'éducation plus tard qu'en France (vers 1848) et sous une forme moins virulente.
Toutefois, malgré la variété des situations historiques et la diversité des solutions adoptées, les mêmes problèmes fondamentaux surgissent qui touchent aux principes de l'organisation générale des sociétés. L'existence de cours de religion dans l'enseignement public ne dispense pas l'Allemagne de rencontrer le problème de la liberté de l'enseignement, mais sous une forme telle qu'il est sans rapport avec le pluralisme en matière de croyances religieuses. Il n'y a que les Etats-Unis qui, apparemment, sont préservés des difficultés en ce domaine par le caractère délibérément libéral de l'organisation de leurs établissements d'enseignement.
Il faut en conclure qu'on serait aveugle si on se limitait, en France, à résoudre les problèmes les plus criants sous leur forme actuelle et, par exemple, si on croyait avoir établi définitivement la liberté de l'enseignement dès lors qu'on a garanti la survie d'établissements confessionnels privés. L'existence d'une fraction du corps enseignant fortement 'marxisé, qui peut se trouver aussi dans l'enseignement privé et qui a décidé d'utiliser ses activités professionnelles pour continuer à modifier, selon ses vœux, la société contre le gré des citoyens, n'est pas un problème propre à l'Allemagne! Déterminer un enseignement idéologiquement neutre ou conforme aux vœux des parents est un problème qu'il faut donc poser dans toute sa généralité.
2.- La seconde leçon consiste à reconnaître qu'on nous a présenté aujourd'hui des modes d'organisation qui peuvent être retenus comme des exemples instructifs et aucunement comme des modèles.
Ils ne sont pas des modèles en ce sens que tous doivent affronter certains problèmes qui sont engendrés par la civilisation contemporaine et résolvent imparfaitement ces problèmes. Ainsi, dans tous les cas présentés, une certaine médiocrisation de l'enseignement est dénoncée. De même, quoiqu'à des degrés divers, on dénonce son caractère inadapté. On se tromperait donc lourdement en croyant résoudre certaines difficultés par le simple fait qu'on essaierait d'imiter en France l'un de ces "modèles".
Mais il y a plus. Certains "systèmes" rencontrent des problèmes qu'ignore le système français. Ainsi, pour ce qui concerne le changement d'établissement en Allemagne, lorsqu'on passe d'un Land à l'autre. Lorsqu'on parle en France de "régionalisation" de l'enseignement ou lorsqu'on propose de conférer à chaque établissement une large autonomie en matière de contenus enseignés, on ne doit pas ignorer que ces propositions conduiraient à susciter des difficultés que nous avons la chance d'ignorer aujourd'hui. Chaque système a ses avantages, mais il arrive que les avantages qui lui sont propres se payent, et souvent leur prix est assez élevé. Croire au système parfait relève naturellement de l'utopie.
On dira que l'exemple américain prouve que l'absence de toute centralisation est parfaitement compatible avec une similitude dans le contenu des enseignements suffisante pour que les "usagers" ne subissent aucune gêne du fait de l'autonomie. Certes, mais c'est là le fruit d'une longue tradition qui fait qu'en quelque sorte des établissements tous indépendants se sont autorégulés pour servir un idéal national commun. Ce système vit de ce qu'il faut bien appeler l'esprit d'un peuple. Il est d'usage de caricaturer le système américain et de dénoncer son caractère socialement injuste. Dans la remarquable description qui en a été faite, on nous a clairement montré comment ce reproche était sans aucun fondement. Mais le système américain ne fonctionne sans injustice et de façon efficace que parce qu'est répandu dans la population un certain type d'attitude (souci de faire le bien, de contribuer de façon active à la pérennité de certaines institutions associatives, etc.) et parce qu'il y a un large consensus au sujet des valeurs que la collectivité nationale doit préserver.
Le système américain se nourrit du civisme et du patriotisme propres au peuple américain, eux-mêmes enracinés dans l'éthique protestante. Qu'on l'en suppose détaché et il dépérirait; il deviendrait à la fois socialement injuste et anarchique. C'est dire qu'on ne peut le transposer brutalement, sans transposer aussi un certain type de neutralité, ce qui est naturellement totalement impossible. Je ne dis pas que les Français ne sont ni civiques, ni patriotes, ni même qu'ils le sont moins que les Américains; je dis simplement qu'ils le sont autrement. Et ce seul fait suffit pour rendre inimaginable l'instauration rapide en France d'une organisation de l'enseignement qui imiterait l'organisation américaine. En ce sens encore, nous n'avons que des exemples, et non des modèles.
Peut-être, dans l'immédiat, avons-nous plus de leçons à tirer d'un exemple plus proche du nôtre, comme l'est celui des Pays-Bas. Ce qui séduit en ce cas, c'est que les principes fondamentaux de liberté sont mieux préservés, non seulement parce qu'ils sont inscrits dans la Constitution, ce qui est naturellement souhaitable, mais parce qu'on a su inventer des dispositions techniques pratiques et assez simples qui garantissent leur sauvegarde. Dès lors qu'il y a accord sur les principes, comme c'est le cas dans la population française contemporaine, les problèmes réels sont à poser au niveau de la technique législative ou règlementaire. Sous ce rapport, nous avons beaucoup à apprendre de l'exemple hollandais, encore qu'on ne nous ait pas caché que sous certains aspects le système était compliqué.
Il appartient à chaque nation de résoudre les problèmes afférents à la liberté de l'enseignement selon son génie propre, en partant de la situation qui est la sienne et qui résulte de sa propre histoire. Depuis un quart de siècle, la France était parvenue à des solutions équilibrées qui ont été mises en cause par les malheureuses initiatives prises depuis 1981.
L'occasion lui est ainsi donnée d'essayer, non seulement de restaurer l'équilibre qu'elle avait atteint, mais de perfectionner les solutions qu'elle avait inventées. Elle peut tirer profit des exemples étrangers naturellement pour éviter les erreurs qui auraient pu être commises ailleurs, mais aussi positivement pour adopter des dispositions dont l'expérience a prouvé qu'elles étaient fécondes.
Souhaitons qu'elle le fasse à sa façon, sans imiter servilement ce qui nous vient de l'étranger, mais en tirant les leçons des expériences qui ont pu être faites ailleurs.