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Lettre N° 98 – Une opinion sur la question de la « liberté pédagogique » des professeurs (2)
Lettre d'Enseignement et Liberté a bien voulu me proposer de mettre au net quelques remarques relatives au débat actuel sur la question de la « liberté pédagogique ». Je la remercie pour la suggestion de cette tribune libre. L'opinion, personnelle, qui s'y exprime n'engage bien entendu pas l'association Enseignement et Liberté. Elle n'engage pas non plus la Société desAgrégés de l'Université, bien qu'elle se soit incontestablement formée à l'occasion des divers échanges de vues dont j'ai bénéficié lorsque j'ai présidé cette association, de 1990 à 2006. G.Z. Un principe ancré dans la Constitution L'article 48 de la Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école (loi n° 2005-380 du 23 avril 2005, publiée au Journal Officiel du 24 et reproduite au Bulletin Officiel n° 18 du 5 mai 2005) a eu notamment pour effet d'ajouter au Code de l'Éducation un article L. 912-1-1 nouveau, qui énonce le principe de la liberté pédagogique de l'enseignant. Comme l'a souligné, le 9 février 2005, monsieur Frédéric Reiss, en sa qualité de rapporteur devant l'Assemblée nationale de ce qui n'était encore qu'un projet de loi: « C'est la première fois que ce principe est inscrit dans la loi ». À cette première observation, incontestable, le rapporteur ajoute toutefois un commentaire moins convaincant, lorsqu'il écrit, tout de suite après, que: « Ce principe [...] ne reposait jusqu'alors sur aucun fondement juridique [...] ». On peut certes constater que l'expression même de « liberté pédagogique », si l'on parle de l'assemblage précis de ce nom et de cet adjectif (car Ferdinand Buisson évoquait la liberté du maître d'enseigner « suivant son génie ») semble d'un usage assez récent, à en juger par le fait qu'on la cherche en vain tant dans les dictionnaires généraux que dans les dictionnaires des termes juridiques, ou dans les lexiques de la langue pédagogique. Sur la définition de « la » liberté, ces ouvrages ont naturellement tous une opinion; ils savent en outre nous inviter à ne pas confondre, avec « la » liberté, ce qui ne constituerait qu'« une » liberté, c'est-à-dire l'exercice sans entrave, garanti par le Droit, d'une faculté ou d'une activité, telle que la liberté d'ouvrir un établissement d'enseignement. Le Dictionnaire de la langue pédagogique de Paul Foulquié (Presses Universitaires de France, 1971) attire même notre attention sur la notion, rencontrée « chez certains » auteurs, d'une « liberté des enseignés » qui se caractériserait comme le « pouvoir reconnu aux élèves et aux étudiants de n'apprendre que ce qu'ils veulent, comme ils le veulent ». Mais de « liberté des enseignants », point.
Supposer nouvelle la notion de la « liberté pédagogique » de l'enseignant aurait dû cependant conduire le législateur à la définir.
Or la loi du 23 avril 2005 omet cette définition, et l'on ne voit pas comment le législateur pourrait justifier une pareille omission autrement que par la reconnaissance, ipso facto, de l'antériorité de l'idée, avec ou sans les termes précis, qu'il existe pour l'enseignant une « liberté pédagogique », nécessairement non dépourvue de tout fondement juridique, puisque sa mission est régie par lois et décrets.
S'il n'a pas été nécessaire au législateur de 2005 de définir la « liberté pédagogique » de l'enseignant, c'est sans doute que le principe ainsi énoncé renferme une garantie fondamentale pour l'exercice de la mission des instituteurs et des professeurs (nous préférerons ces deux termes à celui d' « enseignant », mais sans oublier que les instituteurs sont devenus depuis 1989 des « professeurs des écoles ». C'est que ce principe de la « liberté pédagogique » se fonde sur la Constitution elle-même.
Lorsque les rédacteurs de la Constitution ont décidé d'y écrire qu'en France « l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État », ils ont par là-même reconnu que l'école n'est pas un produit spontané de la vie de la société, et que la transmission des connaissances, pour être assurée, doit être organisée, éventuellement soustraite à l'action d'entreprises contraires ou tout simplement de résistances plus ou moins conscientes. L'État ne peut considérer qu'il organise l'enseignement, s'il ne prend pas les dispositions nécessaires pour garantir l'exercice, sans entrave, de la mission enseignante qu'il aura confiée à des professeurs compétents. La France aura accompli, à cette fin, un travail considérable: les programmes nationaux, rédigés pour garantir les élèves contre des décisions locales arbitraires, doivent être publiés au Journal Officiel après avoir été établis par une instance scientifique par principe indépendante; les lauréats des concours nationaux sont titularisés après avoir satisfait à des épreuves appréciées par des jurys indépendants; ils ont droit à l'attribution d'un poste dès leur titularisation, de sorte qu'un établissement n'aura pas la faculté d'écarter de l'enseignement les professeurs qui auront été au préalable sélectionnés, au terme d'une procédure impartiale, en fonction de leur compétence scientifique et donc pédagogique dans la ou les disciplines qu'ils doivent enseigner. Par conséquent, la « liberté pédagogique » d'un enseignant consiste d'abord dans le fait que nul ne doit pouvoir l'empêcher de faire ce pour quoi il a été recruté, par exemple, pour un instituteur, d'apprendre à lire à ses élèves, et, pour un professeur certifié ou un professeur agrégé, de transmettre les connaissances correspondant aux programmes nationaux de leurs disciplines, et de permettre à chacun de leurs élèves d'acquérir tout le savoir dont il est capable. Il n'y a pas d'enseignement possible, s'il y a place pour une seule intervention contraire au respect du programme. Conçus pour soustraire les fonctionnaires chargés de l'enseignement à toute pression, ce sont donc d'abord les statuts particuliers accordés aux différents corps qui donnent un contenu à la « liberté pédagogique » des individus qu'ils régissent. Parce que la « liberté pédagogique » consiste d'abord dans la liberté d'enseigner en suivant un programme national, sans être obligé de céder à ceux qui voudraient y ajouter ou en retrancher, elle désigne en premier lieu l'ensemble des garanties statutaires accordées aux professeurs afin de garantir par là-même l'indépendance de la transmission du savoir.
La capacité accordée à chaque professeur, considéré individuellement, à la fois parce qu'il tient sa légitimité de sa compétence scientifique et pédagogique reconnue par un jury indépendant, et parce qu'il connaît les élèves de ses classes, de choisir l'ordre de présentation des questions du programme, les auteurs, les œuvres, les méthodes, cette autonomie du professeur dans sa classe, dans sa discipline, avec ses élèves, à laquelle on pense la plupart du temps lorsque l'on parle de sa « liberté pédagogique », ne constitue qu'une expression particulière du soutien que l'État, garant du respect de la Constitution, doit à la mission de l'enseignement.
Encore faut-il, si l'on veut que le soutien de l'institution au professeur puisse s'exprimer concrètement, ajouter la garantie d'une rédaction claire et sobre des programmes nationaux, et celle de corps d'inspection au moins aussi compétents dans la ou les disciplines où ils inspectent que les professeurs qu'ils inspectent, et capables de rapporter, à des programmes nationaux ainsi rédigés, les résultats obtenus par les élèves.
Errements officiels
Force est de constater toutefois qu'à partir du début des années 70, s'est élevée progressivement parmi les instituteurs et les professeurs une protestation de plus en plus vive contre des instructions officielles publiées en matière de méthodes et de programmes. Considérant que ces instructions étaient inspirées par des préférences arbitraires, voire par des choix idéologiques, et surtout constatant que leur mise en œuvre était bien loin d'aider leurs élèves à acquérir sans délai inutile un ensemble cohérent et explicite de connaissances de base, nombre d'instituteurs et de professeurs se sont résolus, pour parvenir à instruire quand même, à se désolidariser de l'institution, à laquelle aurait pourtant appartenu de garantir la transmission du savoir contre toutes les tentatives d'abus. Ils se sont sentis obligés de faire valoir leur « liberté pédagogique » individuelle non plus afin de soustraire la transmission des connaissances à des pressions extérieures à l'Éducation Nationale, mais afin de parvenir à enseigner en dépit des entraves placées par les méthodes et les programmes prescrits par les instructions officielles et jugés contraires à la transmission des connaissances.
Monsieur Laurent Lafforgue a ainsi pu évoquer récemment la foule de ces professeurs et instituteurs, « petits soldats de l'Éducation Nationale qui, depuis des années que leurs généraux leur prescrivent des consignes stupides, combattent inlassablement pour le savoir, essaient vaille que vaille d'enseigner » et qui, en sefaufilant dans le labyrinthe de méthodes et des programmes mal conçus, « parviennent, au milieu des pires difficultés, à instruire, à transmettre » (in La Lettre d'Enseignement et Liberté, n° 91, mars 2006): le « pire » de ces difficultés est bien entendu, à mon sens, qu'elles soient créées par l'institution même à laquelle il aurait incombé de les supprimer.
Dans l'enseignement primaire, c'est un fait, par exemple, que ni l'adoption de la méthode de lecture globale ni celle de la méthode de lecture semi-globale n'ont résulté d'un choix spontané qui aurait été exprimé par une majorité d'instituteurs, en toute « liberté pédagogique ». Bien que le « principe de globalité » ait eu ses promoteurs et ait pu conquérir certains milieux pédagogiques, l'usage de la méthode globale restait encore marginal lorsque l'ère du changement a été ouverte par les nouvelles instructions de 1972; il semble de plus que, par la suite, l'emploi des méthodes semi-globales ait résulté essentiellement du refus, de la part des mouvements pédagogiques influents au ministère de l'Éducation nationale, de renoncer tout à fait au « principe de globalité » devant l'échec pourtant incontestable de la méthode globale : je me permets sur ces questions de renvoyer à l'ouvrage très éclairant Apprendre à lire. La querelle des méthodes (Geneviève Krick, Janine Reichstadt, Jean-Pierre Terrail, Paris, Gallimard. Le Débat, 2007). Prompts à s'indigner, en janvier 2006, de la conviction exprimée par monsieur de Robien, qu'il faudrait remettre en cause le « principe de globalité », les partisans dudit principe n'ont pourtant pas vu d'inconvénient à ce que les instituteurs soient par voie d'instructions officielles obligés de se plier aux principes des méthodes globales puis semi-globales. Ils se sont au contraire empressés d'imputer les résistances des maîtres à des motifs peu honorables, et principalement à un goût irrationnel pour la tradition, voire à quelques préjugés politico-sociaux inavouables. Dans son ouvrage Pour une politique démocratique de l'éducation, Louis Legrand, promoteur d'une méthode dite « idéo-visuelle » dénonçait ainsi, en 1997 déjà, « la liberté du professeur [...] sans cesse rappelée comme un dogme fondamental par l'Inspection générale », et par là, selon lui, favorisant « le maintien d'une tradition »... ce qui est reconnaître implicitement la résistance des maîtres à la fameuse méthode « idéo-visuelle ». En 2006, un inspecteur de l'Éducation Nationale, Monsieur Pierre Frackowiak, prétendant simplement « encourager » l'innovation, mais, son texte en témoigne, ne voyant en réalité de salut que dans sa propre conviction, ne craint pas, lui non plus, dans un article diffusé par l'internet La liberté pédagogique des enseignants. Alibi des conservateurs. Obstacle à la construction de l'école du XXIe siècle, de dénoncer cette « vieille lune », cette « liberté pédagogique [qui] permet de résister aux corps d'inspection quand ceux-ci tentent d'encourager l'innovation ». Or il est grave qu'un inspecteur de l'éducation nationale n'aperçoive, chez les professeurs des écoles qu'il a, de par son propre statut, le droit de juger, aucun motif honorable pour ne pas partager ses propres vues.
Les professeurs des écoles ont le devoir d'apprendre à lire à leurs élèves. Ils sont soumis à des instructions officielles dont ils estiment qu'elles les en empêchent ou du moins diffèrent, compliquent voire compromettent cet apprentissage. Plutôt que de déverser, sur eux et sur ceux qui s'en inquiètent avec eux, un torrent d'insultes que l'ouvrage déjà cité Apprendre à lire a raison de condamner. La querelle des méthodes a raison de condamner, il vaudrait certainement mieux accepter enfin d'engager le débat de fond, et de le conduire sans aucune « frilosité », à partir d'une définition simple et incontestable de ce que c'est que « lire », à savoir, au moins: « connaître et savoir assembler les lettres » (Petit Larousse, 1926), ou, si l'on préfère: « reconnaître les signes graphiques d'une langue, former mentalement ou à haute voix les sons que ces signes ou leurs combinaisons représentent et leur associer un sens » (Petit Larousse Illustré, 2007).
Je reproche pour ma part aux partisans du « principe de globalité » de laisser beaucoup trop de questions sans réponse, et par exemple celles-ci:
- pourquoi faudrait-il préférer, à un élève qui ânonne (mais qui finira par comprendre) un élève qui s'écrie « esso » en présence de l'enseigne « elf », ou bien qui prononce « copain » quand il voit « ami », et qui croit qu'il sait lire, ce qui est bien le meilleur moyen pour qu'il n'apprenne pas?
- pour comprendre, pour comprendre vraiment, peut-on se dispenser de lire tous les mots, à la lettre près?
- comment peut-on a la fois prétendre évacuer de l'enseignement tous les effets de connivence, et méconnaître ce moyen efficace de les neutraliser que constitue l'enseignement précoce et systématique du code, lequel, par la reconnaissance d'un nombre fini de signifiants, donne accès à un nombre infini de mots et d'idées, et ainsi donne à chaque élève, quelle que soit la situation de sa famille, tout le trésor du savoir?
- pourquoi ne pas dire que la Finlande, parmi 57 pays représentant 90%¨de l’économie mondiale, se classe en 2007 deuxième derrière la Corée en compréhension de l'écrit, et qu'elle obtient en Europe les meilleurs résultats en matière de maîtrise de la langue écrite, alors qu'elle applique une méthode alphabétique?
Sans doute faudrait-il cesser de mettre sur le même plan des méthodes dont certaines, les méthodes alphabétiques, sont à proprement parler des méthodes d'apprentissage de la lecture, et dont les autres, dites globales ou semi-globales, sont en réalité des méthodes d'apprentissage de la lecture expressive, susceptibles de révéler leur utilité seulement une fois que la maîtrise du code est solidement acquise.
La « liberté pédagogique » des maîtres ne peut pas consister à choisir entre des méthodes qui, n'étant pas agencées au même but, ne se montreront jamais équivalentes.
En raison des réformes générales, appliquées de l'école élémentaire au lycée, le second degré n'a pas été épargné.
Le 17 octobre 1990, un haut fonctionnaire qui présidait l'une des commissions d'un colloque officiel organisé pour promouvoir les IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres) créés par la loi du 10 juillet 1989, a déclaré qu'il ne fallait « plus parler de transmettre des connaissances ».
La même loi a dessaisi l'Inspection générale de la responsabilité de la rédaction des programmes, et a créé un Conseil National des Programmes inapte à ce travail (le Haut Conseil de l'Éducation, instauré en 2005 n'ayant pas encore eu le temps de faire ses preuves). Par conséquent la tâche de la rédaction des programmes a été et reste confiée à des « Groupes d'Experts ». Aux programmes antérieurs beaucoup plus sobres consistant en des listes de notions, ou de concepts ou de sujets, ont succédé des programmes très détaillés et structurés. Des « documents d'accompagnement » tatillons ont reçu valeur officielle et se sont mis à régenter, dans toutes les disciplines, savoirs, contenus, méthodes d'apprentissage. Conçus pour évincer l'initiation explicite et systématique au profit de l' « approche » ou des « attitudes de recherche », ces nouveaux programmes et leurs compléments ont été, dans toutes les disciplines, désavoués et dénoncés par la foule des professeurs qui refusaient de s'accommoder d'un aussi « incroyable renoncement au savoir », comme le prouve notamment l'ouvrage Les programmes scolaires au piquet, dû à un groupe d' « enseignants en colère » (paru en 2006 chez Textuel). En lettres, l'obligation d'organiser en « séquences » la présentation du programme, ainsi que le décloisonnement, empêchent l'étude systématique de lagrammaire. Publié en 2007 aux Éditions de Fallois, le livre de Michel Leroux, De l’élève à l'apprenant et autres pamphlets, dénonce avec une remarquable clarté les principes et les procédés de « la destruction programmée de l'enseignement des lettres ».
L'article quarante-huit
Les quelques remarques qui précèdent ne prétendent évidemment pas à l'exhaustivité.
Elles tâchent simplement d'indiquer pourquoi l'article 48 de la loi de 2005 ne suffira pas, tant s'en faut, à rétablir un enseignement digne de ce nom;
Il faut, pour s'expliquer de cette conclusion, se reporter au texte même de l'article:
« Art.L.912-1-1-La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l'éducation nationale et dans le cadre du projet d'école et d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection.
Le conseil pédagogique prévu à l'article L.421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté
».
Il faut que les professeurs redeviennent libres de transmettre les connaissances correspondant à des programmes nationaux correctement rédigés.
Il faut donc continuer, avec le Haut Conseil de l'Éducation, à améliorer la procédure d'élaboration des programmes, restaurer la responsabilité de l'Inspection générale dans le travail de rédaction, examiner les problèmes que pose la constitution de « Groupes d'Experts ».
Mais il faut aussi restaurer l'autorité des corps d'inspection, et pour cela réviser les modalités de leur recrutement;
Il faut mettre fin au recrutement d'inspecteurs généraux « au tour extérieur », c'est à dire sans autre condition qu'un âge au moins égal à 45 ans, car cette procédure permet à des inspecteurs généraux ainsi recrutés de juger des compétences qu'ils n'ont pas (étant entendu que ceux qui auraient été recrutés au tour extérieur en possédant les titres et les débuts de carrière qui auraient justifié leur recrutement par la procédure normale devront être maintenus en fonctions).
Il faut réviser aussi les procédures normales de recrutement des inspecteurs généraux ainsi que celles des inspecteurs pédagogiques régionaux, telles qu'elles résultent de leurs statuts respectifs de 1989 et de 1990, et cela pour deux raisons: d'une part ces statuts prévoient des recrutements par promotion interne, là encore sans considération des compétences; on peut voir ainsi d'anciens instituteurs, sans doute compétents dans leur domaine mais ne connaissant ni le latin ni le grec, inspecter des professeurs agrégés des lettres classiques, normaliens et docteurs par surcroît; d'autre part ces statuts soumettent le recrutement à l'avis (en réalité déterminant) d'une commission où l'administration du ministère de l'Éducation nationale est représentée, disposition considérée comme favorisant, dans les corps de contrôle, le conformisme à l'égard de la pédagogie officielle actuellement largement récusée par le corps enseignant.
Il existe de plus, et surtout, une contradiction complète entre l'affirmation de la « liberté pédagogique » qui doit être reconnue au professeur pour qu'il puisse enseigner en suivant des programmes nationaux, et la reprise, dans la loi de 2005, du principe déjà posé à tort par la loi de 1989 (article 18) selon lequel l'enseignement ne porte plus sur les programmes nationaux, mais sur « les modalités particulières de mise en œuvre » des objectifs et programmes nationaux arrêtées au titre du projet d'établissement. L'exemple des ZEP (zones d'éducation prioritaires) ne permet plus d'ignorer que la logique du « tenir compte » et celle de l'adaptation, fût-elle bien intentionnée, aux caractéristiques sociales, familiales etc. de la « population » d'élèves admis dans l'établissement constituent l'alibi trop commode du renoncement à un enseignement exigeant et stimulant, sans même évoquer les problèmes insolubles que crée l'instauration d'un « projet d'établissement »: que se passera-t-il, lorsque le professeur refusera de s'accommoder de ce renoncement?
Dans les collèges et les lycées, la création, par l'article 38 de la loi de 2005, d'un « conseil pédagogique » parachève la confiscation, au profit d'un collectif local, de la « liberté pédagogique » légitime du professeur. En 1998 déjà, l'on avait largement protesté au sein du corps enseignant contre le « principe 19 » du « rapport » de monsieur Meirieu, qui voulait attribuer aux conseils d'administration et aux conseils de classe un pouvoir de contrôle sur le « vocabulaire utilisé » par les professeurs, ainsi que sur les « méthodes », sur la « nature des exercices et travaux demandés », et même sur les « contenus d'enseignement », et qui passait subrepticement de la notion de « coordination » des enseignements à celle d' « harmonisation » des contenus des disciplines, qui va encore plus loin.
Il est on ne peut plus regrettable que cette idéologie ait réussi à s'infiltrer dans la loi de 2005. Si le ministre a pu in extremis (à l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi) soustraire « les méthodes pédagogiques » au contrôle du conseil pédagogique, il a eu le tort de maintenir ce nouveau conseil ainsi que ses prérogatives « coordonner les enseignements, la notation et l'évaluation des activités scolaires ». L'on ne voit pas comment, pratiquement, l'affirmation, par la loi, que le conseil pédagogique ne peut porter atteinte à la liberté pédagogique du professeur pourra empêcher les prérogatives de ce conseil de réduire à néant la « liberté pédagogique » dont le professeur compétent a besoin pour faire acquérir par son élève tout le savoir dont il est capable.
Geneviève Zehringer
www.enseignementliberte.org
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