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Non à la disparition du pluralisme scolaire
Alors que Vincent Peillon entend «Refonder l'école», le texte de la conférence donnée par le professeur Maurice Boudot, fondateur et président d'Enseignement et Liberté, lors de l'assemblée générale de l'Association Rhodanienne pour la Liberté d'Enseignement, le 4 avril 1991, nous a paru d'actualité. Aujourd'hui comme il y a vingt-deux ans, le pluralisme scolaire, s'il est souhaité par la grande majorité des Français n'est que difficilement toléré par une minorité pour qui le monopole de l'Education nationale et l'instauration d'une religion laïque sont l'idéal. D'Alain Savary qui a tenté en 1984 d'achever l'œuvre de Jules Ferry, en créant un grand service public unifié et laïque de l'éducation nationale à Vincent Peillon qui promet aujourd'hui d'accomplir celle de la Révolution en refondant l'école, la conviction est la même : l'enfant appartient à l'Etat et son éducation lui revient. N.B. : les sous-titres ont été ajoutés pour faciliter la lecture.
Ce thème, qu'on me demande de traiter, appelle naturellement une justification, une défense et illustration du pluralisme scolaire. Ce sera l'objet de ma première partie. Mais il n'est opportun de traiter la question que si le pluralisme scolaire, tel qu'il existe actuellement en France, c'est à dire assez imparfait, est effectivement menacé, que si une entreprise est conduite pour l'attaquer ou l'entraver. Nous montrerons qu'en dépit des discours lénifiants, tel est bien le cas. Il ne s'agit donc aucunement de s'opposer à un danger fantasmatique, mais à une menace très réelle. C'est ce que j'essaierai d'établir dans la suite. Pour conclure, encore que je n'ai pas de remède miracle à proposer, je tenterai d'indiquer quels sont les points qui me semblent essentiels dans la défense du pluralisme scolaire. Un droit fondamental au plan international Et tout d'abord une définition : le pluralisme s'oppose au système du monopole. Il y a pluralisme lorsque les parents peuvent choisir l'établissement scolaire auquel ils confient l'éducation de leurs enfants (ou pour les jeunes adultes majeurs, choisir eux-mêmes), et cela sans préjudice financier. Le pluralisme recouvre le principe du libre choix et la faculté de créer des écoles. Voilà le principe dont nous pensons qu'il doit actuellement être défendu en France. Que ce principe soit en quelque sorte la mise en œuvre d'un droit fondamental de l'homme, qu'on apparente souvent à juste titre à la liberté d'opinion et à la liberté d'expression, est un fait reconnu. Des textes fondamentaux de portée internationale lui confèrent ce statut. Ceci donne à la défense du pluralisme scolaire une espèce de légitimité morale, sinon juridique. Je citerai l'article 26 de " Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental…Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants." Ou, pour citer un autre texte, dont le caractère beaucoup plus explicite s'explique par le fait qu'il est plus récent et concerne les seuls états de Ce qui est remarquable dans le dernier texte - et c'est pourquoi je me suis permis de le citer longuement - c'est qu'il garantit la liberté de l'enseignement sous les deux formes distinctes de la liberté d'entreprendre (de créer et d'administrer des écoles) et du libre choix de l'école. Il n'y manque que l'affirmation de la liberté de l'enseignant dans son enseignement pour qu'on ait toutes les dimensions d'une liberté dont M. Pierre-Henri PRELOT note très judicieusement qu'elle revêt des aspects distincts. Qui n'est guère reconnu en France Ce statut très favorable conféré au pluralisme scolaire par des instances internationales n'a pas son équivalent en France. La liberté de l'enseignement n'est pas l'un des droits reconnus en 1789 ; tout au plus peut-on essayer de la dériver des droits fondamentaux. Elle n'a à l'heure actuelle qu'une valeur constitutionnelle indirecte, acquise par un arrêt constitutionnel de 1977 qui lui donne valeur de "principe fondamental reconnu par les lois de la République"- étrange statut puisqu'il concerne ce seul principe, comme le note M. PRELOT (Les établissements privés d'enseignement supérieur, p. 88 et 90)[1] . Il n'y a pas lieu de s'en désoler outre mesure car je ne suis pas assuré qu'une déclaration solennelle dans la Constitution changerait beaucoup la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui Mais c'est le signe que dans notre pays le pluralisme scolaire n'est pas très aimé, ni la liberté de l'enseignement particulièrement chérie. C'est le produit d'une longue histoire qui commence à la Révolution, lorsqu'après avoir mis à bas le système d'ancien régime, par anticatholicisme, des penseurs inspirés par le modèle des démocraties antiques, notamment celui de Sparte, échafaudent des plans qui ont pour dessein avoué d'arracher l'enfant à sa famille et de confier son éducation à l'Etat, plans heureusement non suivis d'exécution littérale, sinon à titre éphémère (comme à l'école des Sablons) ; mais le malheur voulut que Napoléon reprenne ce qu'il y avait de viable dans ces principes qui n'avaient conduit jusqu'à lui qu'à l'utopie. Il en est ainsi lorsqu'il organise l'enseignement, créant l'Université Impériale qui bénéficie du monopole (notamment en matière de collation des grades). Les établissements privés ne sont jamais que tolérés, soumis à une surveillance de type policier, toujours guettés par le risque de se voir interdits, acceptés visiblement seulement à titre provisoire parce que l'enseignement public a besoin d'auxiliaires subordonnés pour la gigantesque tâche de reconstruction qu'il faut mener à bien. Avec la valse des régimes, ce système connaîtra une plus ou moins grande fortune. Certains tempéraments lui seront apportés. Toutefois, même les régimes dont on aurait pu attendre qu'ils soient favorables à la liberté de l'enseignement, ont de façon permanente renâclé lorsqu'il s'agissait de renoncer à l'extraordinaire pouvoir que leur conférait le monopole d'Etat ! C'est une tradition bien établie qui veut que soit nettement privilégié le secteur public, et que l'enseignement privé soit seulement toléré, toujours contrôlé plus ou moins étroitement. La situation qui est la nôtre actuellement est loin d'être la pire qu'on ait connue depuis deux siècles. Et, si on veut être juste, pour ne parler que de démocraties voisines comparables à la France, l'Espagne vit avec une régime scolaire en gros équivalent au nôtre, et en Italie aucune enseignement privé n'est subventionné ! (Ce qui rend la situation supportable en ce dernier cas, c'est le fait que l'Eglise dispose dans ce pays de biens incomparables avec ceux qui sont les siens en France ....) Je ne veux aucunement tresser des couronnes de laurier à nos législateurs (ni à nos gouvernants). Mais il faut reconnaître honnêtement les faits. En dehors des pays anglo-saxons - où il est établi sur une longue tradition - et de la Belgique - dont la situation résulte de circonstances historiques très particulières, le pluralisme scolaire n'est que très imparfaitement mis en œuvre. Les mêmes qui adoptent de belles résolutions dans les assemblées internationales (car elles n'engagent pas à grand chose) défendent autant qu'ils le peuvent dans leurs états respectifs le pouvoir que leur confère sinon le monopole, du moins une situation de prépondérance. Il est rare de voir les gouvernants renoncer de leur plein gré, de leur propre initiative à un instrument de leur pouvoir. J'en viens ainsi très naturellement aux raisons que nous avons de défendre le pluralisme scolaire. Dire que c'est un principe affirmé par des textes presque sacrés est rassurant, mais ce n'est pas un motif sérieux pour se mettre en mouvement. Le pluralisme scolaire est indispensable à la préservation des libertés individuelles La raison fondamentale pour défendre le pluralisme scolaire réside dans le fait qu'il est indispensable à la préservation des libertés individuelles. D'ailleurs les régimes totalitaires ne s'y sont pas trompés ils ont toujours établi un monopole d'enseignement à leur profit. Ce lien du pluralisme scolaire et de la liberté individuelle fut très nettement perçu par Condorcet, qui s'exprime sur ce problème en termes particulièrement nets. L'argumentation de Condorcet est particulièrement intéressante parce qu'elle est l'œuvre d'un Girondin, ami des Lumières, sans complaisance pour les religions révélées et même, à vrai dire, d'un anticléricalisme obsédant. Dans ses Mémoires sur l'instruction publique (de 1791), Condorcet note que c'est un "devoir imposé par la nature [aux Parents] que de veiller sur les premières années de l'enfant" d'où résulte un droit inaliénable pour "les pères de famille d'élever eux-mêmes leurs enfants". Faute de pouvoir se limiter à l'éducation domestique, au moins ont-ils le droit de choisir l'établissement de leur choix. Certes, il faut une instruction publique - gratuite pour le niveau élémentaire - mais les parents doivent avoir le libre choix de l'établissement. Condorcet note "qu'on commettrait une véritable injustice en donnant à la majorité réelle des chefs de famille le pouvoir d'obliger les pères à renoncer au droit d'élever eux-mêmes leurs familles". Bien plus, s'il y a une instruction publique encore faut-il qu'elle ne soit pas un instrument de pouvoir entre les mains de l'Etat ni le domaine réservé à une "corporation de maîtres". Pour cela les parents auront par exemple leur mot à dire dans le choix des maîtres qui fait l'objet d'une procédure de sélection en deux étapes un jugement de compétence - confié aux "hommes éclairés' (les Académies, ou les Universités) - puis parmi les candidats dont la compétence est reconnue, un choix des parents ! On étonnerait aujourd'hui en proposant des procédures aussi libérales pour le seul enseignement privé I Mais ceci ne suffit pas. Il faut de plus que l'instruction publique soit limitée dans son objet. Elle doit dispenser des connaissances assurées, non des opinions subjectives. S'il en allait autrement l'instruction publique "deviendrait contraire à l'indépendance des opinions". Les opinions diffusées par l'instruction publique "constitueraient un joug, imposé par un pouvoir illégitime dont on ne pourrait se libérer", parce que ces préjugés véhiculés avec toute la force de la puissance publique vont constituer une véritable tyrannie alors, dit Condorcet, que "les préjugés pris dans l'éducation domestique" se dissipent " lorsque se répandent les Lumières". Le ressort de ce raisonnement qui fonde l'opposition de Condorcet au monopole scolaire est simple "Tout pouvoir, de quelque nature qu'il soit, est naturellement ennemi des Lumières". Disons qu'il est porté à l'intolérance et à l'abus des moyens dont il dispose pour régir les opinions. Aujourd'hui plus que jamais Ces textes ont exactement deux siècles : ce qui était vrai hier ne l'est-il plus aujourd'hui ? Tout au contraire, les conditions qui sont celles de la France contemporaine rendent encore plus indispensable le pluralisme scolaire. 1 - Nous vivons dans une société où le rôle de l'Etat va constamment en se renforçant (notamment à travers son aspect d'Etat providence). C'est dire que son pouvoir est de plus en plus menaçant. J'ajouterai que cette société va très naturellement vers l'uniformisation et 2 - Par ailleurs, la crise extrêmement grave que subit l'institution - 1/3 de divorces - a entraîné une régression considérable dans l'influence familiale. Ceci concerne même les familles qui ne sont pas directement atteintes par cette crise. Que ce soit par souci, compréhensible, de ne pas trop s'éloigner des pratiques habituelles ou pour n'importe quelle autre raison, le fait est là : l'influence de la famille s'est beaucoup restreinte, à tel point que si on ôte aux parents la possibilité de choisir l'établissement scolaire auquel ils confient leurs enfants, il ne reste presque plus rien d'elle. Corrélativement, il y a la perte de prestige des «autorités morales» l'Eglise ose à peine exercer son magistère. Beaucoup de clercs s'expriment comme s'ils redoutaient de choquer l'opinion publique. Diminution de l'autorité familiale, baisse de prestige des Eglises, il ne reste pratiquement rien pour contrebalancer la toute puissance de l'Etat si on porte atteinte au pluralisme scolaire. 3 - Rien ou presque, parce que pour régler les opinions, les diffuser et les gouverner, demeurent ces redoutables puissances que sont les médias et notamment le plus puissant d'entre eux, la télévision ! Ces médias qui vivent dans l'éphémère, nous font oublier: chaque semaine ce qu'ils présentaient comme la question essentielle - l'événement d'importance historique - de la semaine précédente. Médias à la fois manipulateurs et manipulés qui risquent, par le caractère presque exclusif de leur influence, de créer une génération sans mémoire, sans constance, sans caractère ni capacité de résistance, sans plus de fermeté dans la volonté que d'ordre dans Or les médias ne nous offrent qu'une apparence de pluralisme. Les sommes nécessaires pour créer et développer un système d'information efficace sont d'un ordre tel qu'il est, dans certains cas, assez fictif de parler de la liberté qu'a le citoyen particulier de "faire connaître ses idées au public". Les médias sont soumis au contrôle des financiers (les agents de publicité) et au contrôle de l'Etat. A ceux qui douteraient du caractère très fictif de leur pluralisme, je suggère de confronter les divers bulletins d'information de la télévision : dans les sujets retenus (ou exclus) et dans les commentaires, il y a une très grande uniformité et souvent tel bulletin ne fait que reprendre les titres d'un "grand quotidien du soir". C'est stupéfiant de ressemblance, même dans la mise en page. Ces médias, dont la vocation était primitivement de nous informer s'érigent volontiers en maîtres à penser ; ils nous donnent des leçons de morale. Mais comment le leur reprocher alors qu'ils sont presque les seuls à le faire et qu'ils remplissent ainsi une fonction essentielle ? La nature a horreur du vide : ils occupent une place laissée vacante. Il est trop manifeste que le pouvoir politique qui entretient avec les médias une "relation dialectique" a naturellement tendance à les contrôler. Par des moyens plus ou moins détourné, il y parvient assez facilement dans une large mesure. Je pense qu'il est plus facile d'infléchir presse et télévision qu'un réseau d'écoles indépendantes. Dans les circonstances actuelles, s'il était porté atteinte sérieusement au pluralisme scolaire, il n'y aurait plus aucune institution susceptible de résister à la puissance de l'Etat. L'école constitue éventuellement le dernier refuge qui permette â l'enfant de résister à des influences délétères, à la volonté de modeler sa personnalité. C'est pourquoi plus que jamais le pluralisme scolaire doit être préservé. Le pluralisme scolaire est un facteur de qualité Mais il est d'autres arguments en faveur du pluralisme scolaire, qui consistent non à se fonder sur des principes, mais à établir ses conséquences bénéfiques. Condorcet notait déjà (dans un rapport sur un projet de décret présenté à la Législative) que si tout citoyen peut librement former des établissements d'instruction "il en résulte pour les écoles nationales l'inévitable nécessité de se tenir au moins au niveau de ces institutions privées". C'était fort bien vu tout système de monopole est sans efficience ! La découverte de la réalité des pays de l'Est (notamment en matière d'équipement industriel) constitue une preuve sans appel. Ce qui vaut de façon générale s'applique parfaitement aux systèmes d'éducation. Notons qu'en accordant aux défenseurs des régimes totalitaires de l'Est que s'ils échouaient: en économie, ils réussissaient dans d'autres domaines, notamment dans l'organisation de l'enseignement, on leur avait probablement beaucoup trop concédé. La réalité serait moins riante qu'on voulait bien nous le dire : l'illettrisme n'est pas un phénomène propre aux pays capitalistes. Il est difficile pour l'instant de faire un bilan exact mais on ne trouve pas là le contre-exemple qui montrerait que certains systèmes de strict monopole sont néanmoins efficaces. Tout le monde sait que la rentabilité du système éducatif français est consternante : de maigres résultats eu égard aux investissements financiers et à la perte de temps pour les intéressés. Mais on ne conserve une idée de ce gâchis, qu'on essaye de nous dissimuler, que parce qu'il y a des termes de comparaison à l'intérieur même de notre société. Et c'est la crainte du résultat funeste de ces comparaisons qui nous préserve encore des pires aberrations. La meilleure façon de s'y prendre pour ruiner toutes les écoles publiques, c'est de supprimer le privé (et tout mécanisme de concurrence entre ces écoles). Sans le pluralisme, la dégénérescence sera inexorable parce qu'invisible. J'ajouterai que loin de profiter d'abord aux "nantis", à l'élite, à ceux qui ont les capacités intellectuelles ou les moyens financiers, le pluralisme scolaire est particulièrement bénéfique aux plus défavorisés, à ceux qui se sentent exclus ou marginalisés. C'est ce qu'établit M. Glenn, haut fonctionnaire du département de l'éducation du Massachusetts (état connu pour être un laboratoire des idées avancées). Alors que le mixage systématique et obligatoire - la politique du "busing" aux U.S.A. - a été inefficace, voire nocive comme tous les programmes "d'affirmative action", c'est la création d'écoles privées à la demande qui favorise l'épanouissement des personnalités, l'amélioration des performances et la réduction des tensions. L'"école commune" - celle imposée à tous, en particulier aux minorités ethniques ou religieuses aux U.S.A. - handicape ceux qu'elle prétend servir. Elle ne favorise aucunement l'unité sociale; tout au contraire, elle exacerbe les conflits. Concluons donc sans équivoque : quel que soit notre abord de la question, je n'imagine pas quelle raison nous pouvons avoir de ne pas défendre le pluralisme scolaire. Il reste que ce pluralisme existe et qu'on ne se dispose pas en apparence à le mettre en cause sur le plan des principes. Même les éléments les plus acharnés de la F.E.N. semblent avoir oublié leurs vœux d'antan et le Comité National d'Action Laïque plonge visiblement dans une douce léthargie. Mais changer ses discours est une chose, modifier ses intentions en est une autre. Je redoute que cette belle modération dissimule une démarche particulièrement sournoise. En un sens, la leçon de I. Cette victoire de 84, on s'appuie un peu trop sur elle pour se rassurer. Il n'est d'ailleurs pas certain qu'elle serait aussi facile aujourd'hui qu'elle le fut. Les Français ont changé, leur mentalité a évolué et on a tout fait pour accélérer cette évolution, certains sont découragés par les discours trop lénifiants des autorités de l'enseignement catholique. Bref, je ne suis pas sûr qu'une offensive aussi nette, aussi grossière serait stoppée aujourd'hui. On nous dira que l'essentiel a été préservé et donc que, les habitudes s'enracinant, la gauche acceptant ce qu'elle n'a pu empêcher, les risques majeurs sont éliminés. Certes, la reconnaissance du pluralisme, des différents types de contrat a été préservée. Mais les imperfections du système demeurent et elles sont criantes. J'en noterai trois essentiellement : 1. Dans l'enseignement public est maintenu le principe de la "sectorisation" qui veut que l'établissement scolaire soit imposé (en fonction du domicile). On nous avait promis de l'abroger. Il n'en a rien été. Ce serait s'égarer totalement que de supposer que ce principe n'intéresse que ceux qui choisissent l'enseignement public. Bien sûr, si les parents ont le malheur d'habiter dans le ressort d'une école publique infréquentable, ils risquent de préférer le privé. Mais le privé ne manque pas de clientèle. Est-il salutaire pour lui qu'il soit cantonné dans une fonction de refuge ? De plus, si le libre choix ne s'exerce aucunement à l'intérieur du secteur public, il est trop facile de faire passer les libertés concédées chichement au privé comme des privilèges abusifs. Indépendamment du fait que l'abrogation de la sectorisation introduirait une saine concurrence, il aurait des effets bénéfiques, la justice, la logique et l'intérêt bien compris exigent que la liberté de choix se retrouve dans tous les secteurs. 2. En ce qui concerne les Universités, on a nettement régressé depuis 1984 en ce qui concerne la liberté de choix. Il y a bien eu l'espoir éphémère que ce principe serait proclamé, mais cet espoir s'est évanoui lorsqu'a sombré la consternante politique dont M. Devaquet a seul l'entière responsabilité. Bien entendu, on avait revendiqué au nom de l'égalité : les étudiants (bien encadrés politiquement, comme la gauche sait le faire) avaient obtenu qu'on abroge cette sélection qu'ils demandaient un an plus tôt. Mais le libre accès à l'enseignement universitaire est une chose, le libre choix du cursus et de l'université en est une autre. A Paris, sous couvert d'uniformisation des inscriptions, on en revient à une sectorisation honteuse. Et comme les Universités ne sont pas indéfiniment extensibles, comme il n'y a pas de place pour tous les postulants, on a recours au procédé qui consiste à prendre les premiers arrivés dans la limite des places disponibles ou on utilise des critères qui relèvent de la sectorisation. II. Le bilan n'est pas très brillant. Si on se tourne vers le très proche avenir prévisible, ce qui est à redouter particulièrement ce sont des mesures biaisées qui obligeront l'enseignement privé à s'aligner sur le public, qui le dépouilleront de tout caractère propre, de toute originalité. Je m'étonne qu'on parle si peu des manuels diffusés, des programmes et des coutumes interprétatives en matière de programme, car il me semble qu'on s'éloigne de plus en plus de neutralité proclamée au profit d'une idéologie particulière que je trouve très progressiste. On fait comme si on s'était donné pour mission de forger un "homme nouveau" à travers l'école. Tout ce qui est dans l'air du temps est systématiquement favorisé et on anticipe quelque peu sur les évolutions spontanées. C'est un système de pression feutrée qui s'est mis ou qu'on a mis en place. Il ne faut pas s'illusionner : s'il y a pluralité des manuels (autorisés) des maisons d'édition, il y a un groupe très limité d'éditeurs et de fonctionnaires importants de la rue de Grenelle - beaucoup d'inspecteurs généraux notamment - qui détiennent toute la réalité du pouvoir en matière d'édition, comme l'a très bien montré Mme Hélène Huot[2]. Sous ce rapport, il y a quelques années, l'instruction civique fut en vedette. Je ne sais si on a prévu de nouvelles éditions pour les manuels qui vantaient les mérites de S.O.S.-Racisme et de son président, auquel ses positions sur l'Irak valent d'être en quelque sorte tenu pour persona non grata dans les écoles ! Mais la biologie a pris la relève comme discipline de pointe. J'avoue être assez étonné du contenu des manuels de quatrième (s'adressant donc à. des jeunes de 13 ans). C'est une incitation permanente à III. Toute une série de mesures visent par ailleurs, non à supprimer brutalement l'enseignement privé, mais à lui interdire toute expansion. A terme, elles seront très efficaces. C'est la question des créations de classe qui reçoit une solution très défavorable, celle de la formation des maîtres qui va devenir de plus en plus aiguë avec les bouleversements qu'on prépare en ce domaine. L'enseignement privé aura peine à suivre, à donner la même formation à ses personnels. C'est enfin le problème des crédits pour la construction de nouveaux locaux et l'entretien des bâtiments. Non seulement rien n'est prévu en ce domaine, mais on interdit aux collectivités locales de subventionner les investissements. Il est très caractéristique que le gouvernement s'oppose à toute modification de la loi sur l'administration territoriale. Cette politique, qui vise à interdire toute expansion, aura dans un bref délai pour résultat de marginaliser l'enseignement privé. Je m'étonne de voir qu'on raisonne souvent en oubliant une donnée numérique essentielle : le gouvernement veut porter à 80 % la proportion d'une classe d'âge accédant au niveau du baccalauréat. On annonce déjà 150 000 bacheliers supplémentaires pour l'an prochain (je me demande quel sera leur niveau et qui seront leurs maîtres !). Comment le privé accueillerait-il une proportion de ces 150 000 qui est à peu près sa part actuellement (20 %) ? Nous en sommes à 40 % de bacheliers environ. Multipliez leur nombre par 2, et maintenez constant le nombre d'élèves scolarisés dans le privé à ce niveau et vous avez divisé par 2 sa part. C'est rudimentaire, mais on oublie de le dire. Face à cette démarche insidieuse, mais très efficace, comment riposter ? Je n'ai pas de remède miracle, mais quelques indications à soumettre qui ne vont pas dans le sens des réactions de certaines autorités. - D'abord, se défendre à partir de principes sains. Par exemple, je suis loin d'être certain que la régionalisation systématique ne soit pas la fausse bonne solution. En revanche, demander le bon scolaire est une démarche très judicieuse, même si actuellement son application est problématique et relève même de l'utopie : il n'y a aucun argument sérieux qu'on puisse opposer à ce dispositif. - Ne pas tolérer les infractions, les mesures hypocrites. Protester et faire pression sur les élus. La crainte des électeurs est pour eux le commencement de la sagesse. - Demander aux autorités de l'enseignement catholique de manifester plus de courage et de résolution dans la défense de leurs valeurs propres de leur identité. Ce n'est pas en se faisant tout petit, en s'excusant de ses demandes qu'on obtiendra quelque résultat, et encore moins qu'on se fera respecter. Je crois qu'il est grand temps de réagir. Nous assistons à l'heure actuelle à une prodigieuse opération pour briser les traditions culturelles et religieuses de la France, pour couper les nouvelles générations de notre passé, pour changer les mentalités comme on disait au beau temps du premier septennat. C'est une révolution culturelle en douceur qui s'effectue sous nos yeux et il ne faut pas s'illusionner Tel était l'objectif prioritaire de ceux qui nous gouvernent. Pour ces idéologues, les transformations économiques ne sont jamais qu'un moyen, ce sont les mentalités qui les intéressent. Cette révolution peut réussir : le pluralisme scolaire est évidemment un obstacle sur son chemin. C'est pourquoi on s'acharne à le restreindre. Mais c'est aussi pourquoi il faut tout mettre en œuvre pour le défendre. Maurice BOUDOT
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