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Lettre N° 86 – Les maîtres publics de l'enseignement privé
Les maîtres publics de l’enseignement privé sous contrat : alea jacta est
Voilà qui est fait : le législateur a décidé que les maîtres de l’enseignement privé sous contrat seront désormais des agents publics.
Plus précisément encore, le nouveau texte donne une définition négative de leur nouveau statut puisqu’il dispose que ces maîtres, « en leur qualité d’agent public, ne sont pas, au titre des fonctions pour lesquelles ils sont employés et rémunérés par l’État, liés par un contrat de travail à l’établissement au sein duquel l’enseignement leur est confié ».
Nous n’étions pas favorables au projet du gouvernement sur ce point. Pour donner pleine efficacité au principe de parité posé par la loi Guermeur du 25 novembre 1977, il existait des méthodes moins dangereuses pour la liberté de l’enseignement. On pouvait prendre des décrets d’application, sans transformer les maîtres en agents publics.
De son côté, le gouvernement semblait hésiter, de peur de rallumer ce que certains médias ont voulu appeler à tort « la guerre scolaire » et qui n’était en réalité qu’un combat pour la liberté de l’enseignement.
Mais les parlementaires ont tranché après avoir eux-mêmes pris l’initiative de déposer une proposition de loi. L’Assemblée nationale le 8 décembre dernier, et le Sénat le 22 décembre ont voté ce texte à l’unanimité à quelques abstentions près. C’est le consensus entre toutes les formations politiques.
Curieuse bataille à front renversé où chaque camp a cru l’emporter sur l’autre.
L’UMP et l’UDF ont cru, sans doute de bonne foi, achever la mise en œuvre de la loi Guermeur et accorder aux maîtres de l’enseignement privé les garanties du principe de parité entre les deux catégories d’enseignement. Cette parité devrait, en effet, progressivement s’appliquer en matière de retraite dans les vingt-cinq ans à venir.
Le PS et le PC ont cru de leur côté reprendre sous une forme plus modérée l’antienne du corps unique des maîtres qui avait, chacun s’en souvient, provoqué les manifestations de 1984 sur le projet de loi dit projet Savary. Le porte-parole du groupe socialiste ne le dissimulait même pas puisqu’il affirmait : « Nous sommes pour tout ce qui peut arrimer les personnels du privé au public, que ce soit dans le mode de nomination - qui est à préciser -, les conditions d'enseignement ou les rapports avec le chef d'établissement. La proposition sur les retraites allant dans ce sens, nous ne pouvons qu'y être favorables. » Et pour ne rien renier il ajoutait même que : « Il n'est pas question de rouvrir le débat, toujours difficile, entre public et privé. Je regrette cependant qu'en 1983 la droite se soit violemment opposée à la création d'un grand service public de l'éducation... qui aurait mis fin à l'inégalité et à la précarisation des personnels du privé » (sic). Le porte-parole du groupe socialiste du Sénat n’était pas en reste en affirmant : « Vous auriez pu gagner quelques années en acceptant, dès 1983, la création d'un grand service public d'éducation. A l'époque, au lieu d'y voir une juste solidarité et une démocratisation de l'école, vous y avez vu une atteinte à la liberté d'enseignement » (re-sic).
Bref, tout le monde était d’accord pour voter le texte, mais pas pour les mêmes raisons.
Les uns y voyaient la concrétisation du principe de parité entre les maîtres du privé et ceux du public, les autres une avancée significative vers le corps unique et donc vers la fonctionnarisation intégrale de l’enseignement privé sous contrat.
Quel camp a dupé l’autre ? L’avenir nous dira qui de la droite ou de la gauche a le mieux anticipé l’avenir ! Ceux qui ont fait le pari depuis plusieurs dizaines d’années de réaliser un grand service public ou ceux qui ont pensé garantir la liberté de l’enseignement en transformant les maîtres de l’enseignement privé sous contrat en agents publics ?
Poser la question ainsi c’est déjà y répondre… L’enfer est pavé de bonnes intentions.
D’autant d’ailleurs que la clarification n’est même pas totale.
Si l’idée était d’éviter d’écarteler les maîtres du privé entre deux compétences juridictionnelles, celle du juge judiciaire pour leurs rapports avec l’établissement et celle du juge administratif pour leurs rapports avec l’État, encore eût-il fallu que le texte tranche définitivement la question en faveur du juge administratif puisque telle était la revendication. Or, si le nouveau statut d'agent public employé et rémunéré par l'État ne permet plus de qualifier les premiers rapports de contrat de travail et de soumettre les maîtres au droit commun du travail, il est pourtant proposé de préserver les droits syndicaux et sociaux inhérents au contrat de travail dont ils bénéficient à l'heure actuelle... et donc de faire trancher les litiges par le conseil des prud’homme pour ces questions (ou en l'absence de contrat de travail entre l'établissement et les maîtres par le tribunal de grande instance, conformément à l'article L. 511-1 du code du travail… La Cour de cassation sera compétente, et non le Conseil d’État ! ).
Les enseignants des établissements privés sous contrat auront, en définitive, bien du mal à savoir « à quel saint se vouer » : au secteur privé pour les droits syndicaux et sociaux ; à la fonction publique pour leurs traitements, leur retraite et leur régime d'affiliation.
Et puisque ce numéro de la Lettre d’Enseignement et Liberté donne plutôt la parole aux parlementaires, citons encore l’intervention du sénateur André Lardeux le 22 décembre 2004 qui redoutait, à fort juste titre, « (…) la possibilité ouverte à certains d'interpréter ces dispositions pour renforcer, par glissements plus ou moins rapides, la tutelle des services rectoraux sur les maîtres de l'enseignement privé en vue de préparer on ne sait quelle intégration dans un service public unifié,...ce que la plupart des familles confiant leurs enfants aux établissements privés ne souhaitent pas ». André Lardeux s’inquiétait tout aussi justement à propos de « la place des chefs d'établissements privés dans le fonctionnement desdits établissements (…). Quelle sera la nature de leur relation avec le rectorat ? Il ne faudrait pas que l'application de ce texte les transforme en simples « boîtes aux lettres » transmettant les directives du recteur d'académie. Il convient également d'éviter que cela ne conduise l'académie à imposer une candidature à un chef d'établissement. Ce serait un paradoxe, à l'heure où nous cherchons à donner plus d'initiative aux chefs d'établissements publics, que de réduire celle des chefs d'établissements privés (…) ».
C’est bien dire que le texte adopté par le Parlement laisse à tous, parlementaires y compris, un curieux sentiment d’insatisfaction et même pour certains un goût d’amertume.
Recteur Armel PÉCHEUL
P.S. : Je renvoie nos lecteurs, pour plus d’informations, à mon éditorial du numéro 83, daté de mars dernier, intitulé : Les maîtres de l’enseignement privé doivent-ils devenir des agents publics ?
Je leur conseille aussi la relecture ou la lecture de l’article de Maurice Boudot sur L’employeur des maîtres de l’enseignement privé, dans le numéro 55 de mars 1997 et ce qu’il écrivait sur la fonctionnarisation des maîtres du privé, à propos du projet Savary, dans le numéro 2 de décembre 1983.
L’ensemble de ces textes sont accessibles sur notre site Internet et, pour ceux de Maurice Boudot, dans La liberté d’enseignement, ouvrage publié aux Éditions l’Harmattan.
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