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Lettre N° 83 – LES MAÎTRES DE L'ENSEIGNEMENT PRIVÉ
L’histoire des relations entre la République et l’enseignement privé est aussi longue que conflictuelle. La Loi Falloux votée en 1850, le rejet de la première mouture de la Constitution de la IVème République notamment parce qu’elle était lourde de menaces pour l’enseignement privé, la loi Debré, la loi Guermeur, le projet mortifère de Savary, ou plus récemment encore les accords Lang Cloupet constituent autant d’étapes d’une relation particulièrement heurtée. A chaque fois, la liberté d’enseignement s’est trouvée directement menacée. A chaque fois elle ne devait être sauvée qu’in extremis mais au prix de nouveaux abandons.
Au point que désormais l’enseignement privé n’apparaît plus que comme le sous traitant de l’enseignement public tant l’État a étendu ses tentacules sur ce qui était supposé être un domaine de liberté.
Le dernier avatar en date est celui du projet porté par certaines des composantes de l’enseignement privé : transformer les maîtres de l’enseignement privé en agents publics.
Il est vrai que le statut actuel des maîtres de l’enseignement privé est particulièrement ambigu. Ce statut les fait aujourd’hui dépendre d’un double régime juridique. Bien que rémunérés et recrutés par l’État, et à ce titre relevant du droit public, ils sont en effet liés à l’établissement privé sous contrat par un contrat de droit privé.
Il en résulte qu’ils sont titulaires d’un contrat administratif, donc de droit public, dans leurs rapports avec l’autorité académique. Et, les conflits (résiliation du contrat, limite d’âge, congés, inspections pédagogiques, indemnités, mesures disciplinaires, règlement dans le domaine de la prévoyance des charges sociales afférentes à la rémunération etc.) relèvent ici de la compétence de la juridiction administrative.
Ils sont, en revanche, considérés comme des salariés de droit privé, titulaires d’un contrat de droit privé dans les relations les liant au chef d’établissement. De sorte que les conflits nés des relations de travail (réduction de service, indemnité de rupture à la suite de la suppression d’un poste, non renouvellement des heures d’enseignement pour la rentrée scolaire suivante, aménagement des horaires de travail etc.) relèvent des conseils des prud’hommes.
Le projet envisage de revenir, en tout cas en grande partie, sur cette dualité de régime juridique en modifiant le code de l’éducation et le code du travail. Autrement dit, le but recherché est de soumettre les maîtres de l’enseignement privé sous contrat à un régime de droit public en excluant toute qualification de contrat de travail de droit privé pour ce qui concerne leurs relations avec l’établissement privé.
C’est l’objet du projet de rédaction des dispositions de l’article L. 914-1-1 du code de l’éducation.
Dans son premier alinéa, celui-ci qualifie expressément les maîtres, auxquels est confié l’enseignement dans les classes faisant l’objet d’un contrat d’association passé dans les conditions prévues à l’article L.442-5 du code de l’éducation « d’agents publics de l’État ».
Et, l’alinéa 2 dispose : « Ils ne sont pas, au titre des fonctions pour lesquelles ils sont employés et rémunérés par l’État, liés par un contrat de travail à l’établissement au sein duquel ils sont affectés ».
Les conséquences statutaires sont importantes pour les personnels en cause puisque les conventions collectives qui leur étaient applicables ne devraient plus, a priori, être compatibles avec la situation d’agent contractuel de droit public.
La rédaction utilisée n’est d’ailleurs pas totalement satisfaisante puisque l’expression « au titre des fonctions » utilisée par l’article L. 914-1-2 laisse supposer que les maîtres de l’enseignement privé pourront encore être titulaires d’un contrat de travail de droit privé pour d’autres tâches que le chef d’établissement pourra leur confier. La détermination de ces tâches sera inéluctablement source de difficultés d’interprétation.
Le projet d’article L. 914-1-2 du code de l’éducation prévoit, aussi, à propos des relations entre le chef d’établissement et le maître, que les conditions d’emploi des maîtres « sont définies par l’État » et que « les maîtres sont placés, dans le respect du caractère propre de l’établissement et de la liberté de conscience des maîtres, sous l’autorité du chef d’établissement ».
Cette référence à la notion « d’autorité du chef d’établissement » reprend l’un des éléments constitutifs du contrat de travail tel que le reconnaît la Cour de Cassation. En clair, il s’agit de l’existence d’un lien de subordination entre l’employeur et l’employé. Mais, puisque le but du texte est d’écarter l’éventualité de la qualification du contrat liant le maître à l’établissement en contrat de travail, il aurait été opportun d’utiliser des notions propres au droit public. Quitte à copier le droit de la fonction publique on aurait pu prévoir, par exemple, que : « dans l’exercice de leurs fonctions, les maîtres affectés dans les classes faisant l’objet d’un contrat d’association, sont placés sous l’autorité hiérarchique du chef d’établissement ».
Mais, qui ne voit le piège dans lequel on tombe inéluctablement en échafaudant ces belles constructions théoriques ?
A-t-on vraiment mesuré les conséquences de la qualification des maîtres de l’enseignement privé en agents contractuels de droit public sur le « caractère propre » des établissements d’enseignement privé ?
Que restera-t-il de ce caractère propre de l’enseignement privé lorsque tous ses maîtres seront devenus des fonctionnaires à part entière, après avoir été « formés » dans les IUFM avec leurs collègues de l’enseignement publics ?
Comment ne pas voir que l’État en profitera nécessairement pour renforcer sa mainmise sur l’enseignement privé et donc sa maîtrise totale sur l’Éducation. Ainsi sera insidieusement supprimé le libre choix des parents ?
A vrai dire cette réforme n’est pas vraiment nécessaire. La plupart des maîtres du privé ne demande en réalité que l’application du principe d’égalisation financière avec les maîtres de l’enseignement public. La seule question qui se pose est en effet celle de l’application de la loi Guermeur, c'est-à-dire précisément la question de l’application du principe de parité à certains domaines non encore réglés comme celui des prélèvements sociaux ou bien encore celui du montant des retraites.
Il suffisait donc d’appliquer la loi Guermeur !
Mais, la réforme envisagée est non seulement inutile, elle est aussi dangereuse.
Comment pourra-t-on sérieusement concilier l’autorité hiérarchique du chef d’établissement, la définition des conditions d’emplois des maîtres du privé par l’État, les obligations statutaires des agents publics (et notamment la neutralité), avec le caractère propre de l’établissement privé ou bien encore la liberté de conscience des maîtres ? Ce n’est plus d’équilibre qu’il s’agit, mais d’équilibrisme !
En fait, chacun sait bien que l’ultime étape consistera à satisfaire les prochaines revendications syndicales qui ne manqueront pas de se faire entendre pour demander la titularisation à terme de ces agents et leur assimilation désormais complète au corps enseignant de l’enseignement public.
Les maîtres de l’enseignement privé seraient –ils encore trop ostensibles ou trop visibles ?
Il ne restera plus alors que la carte scolaire et la loi sur la laïcité à imposer à l’enseignement privé pour réaliser ce grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale que les gens de gauche appellent de leur vœux depuis si longtemps.
Recteur Armel PÉCHEUL
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