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Lettre N° 62 - RAPPORT MORAL
Grâce à la généreuse bienveillance de la Présidence du Sénat, nous pouvons tenir au palais du Luxembourg une assemblée générale ordinaire de notre association, qui sera suivie d’une assemblée extraordinaire. Ensuite, nous entendrons deux conférences sur des sujets d’actualité, données par des personnalités particulièrement compétentes, que nous remercions vivement de leur venue. Enfin, avant de clore la réunion, M. Jean Cazeneuve, membre de l’Institut, président de jury, procédera à la remise du prix d’Enseignement et Liberté.
Une fois de plus – la cinquième fois en huit ans – nous devons exprimer au Bureau du Sénat toute notre reconnaissance pour la sollicitude qu’il nous marque en mettant à notre disposition les locaux dans lesquels nous allons passer l’après-midi. Il y a deux ans presque exactement, à guère plus d’une dizaine de jours près, dans le précédent rapport moral, j’avais déploré que, malgré ses intentions louables et la parfaite estimation de la situation qu’il manifestait, M. Bayrou, depuis longtemps ministre, n’ait pas mis le temps à profit pour assurer la liberté de l’enseignement privé et améliorer le fonctionnement du service public. J’étais alors bien imprudent de dénoncer l’inertie ministérielle. Juste quelques mois plus tard, une dissolution, dont je me contenterai de dire qu’elle était imprévue du commun des mortels, déterminait un changement de majorité et portait M. Claude Allègre au ministère de l’Éducation nationale. Peu connu du grand public – il n’est pas membre de parlement, notamment – M. Allègre s’était fait remarquer de milieux plus restreints comme conseiller de M. Jospin et en réalité comme principal inspirateur des réformes entreprises par celui qui était alors ministre de l’Éducation. Les objectifs que poursuit M. Allègre ne pouvaient donc aucunement surprendre. Comme il est nature, il s’agissait de reprendre ce qui avait été décidé dans les grandes lignes et édicté par M. Jospin lui-même. Il s’agirait seulement de compléter et d’appliquer ces décisions. Ce qui, en revanche, surprendra, c’est le rythme et l’ordre des mesures prises, ainsi que le style à la fois brutal et démagogique du nouveau ministre, qui lui vaudra une étrange popularité. Dès la première rentrée des classes qu’il doit assurer, M. Allègre s’en prend au corps enseignant, qui abuserait des congés de formation – que M. Jospin et les autres ministres socialistes ont fortement contribué à institutionnaliser – et des congés de maladie, "qui ne sont pas un droit" soutient-il, avançant des chiffres de taux d’absence manifestement faux, comme il l’avouera plus tard. En même temps, il manifeste sa volonté de rogner sur les vacances des enseignants et d’accroître leur charge de travail. Tout ceci s’accompagne de considérations sur la nécessaire modernisation apportée par le Minitel, l’Internet, qui dispenseraient en quelque sorte de savoir lire et écrire, sous réserve qu’on connaisse la langue anglaise ! Ces propos, d’ailleurs réitérés avec diverses variantes, constituaient une déclaration de guerre aux syndicats d’enseignants, notamment au SNES-FSU, dominant dans le second degré, qui apparaît rapidement comme le premier visé lorsque M. Allègre affirme qu’il faut mettre fin aux pratiques de "cogestion" entre l’administration et les syndicats, pratiques qui profitaient surtout à ce syndicat. Si on ajoute que la "déconcentration" est tout de suite inscrite au nombre des objectifs ministériels et qu’elle pourrait nuire à son pouvoir, on doit conclure que les hostilités étaient ouvertes dès l’arrivée de M. Allègre rue de Grenelle. Initialement, cette attitude devait valoir à M. Allègre la sympathie et l’indulgence de nombreux parents, même parmi ceux qui s’affirment plus proches politiquement de l’opposition que de la gauche : c’est qu’il savaient d’expérience qu’il y a un nombre appréciable d’enseignants incompétents ou désinvoltes ; ils étaient heureux de voir un ministre qui ne se fait pas le défenseur inconditionnel des professeurs. Aussi, il nous a été nécessaire de procéder à un travail d’explication, comme on dit dans certains milieux. A partir du moment où on porte l’attention, non au style, mais aux objectifs de la politique ministérielle, il est clair que nous ne pouvons qu’être radicalement opposés à ces objectifs, comme nous avons essayé d’en convaincre nos lecteurs. On s’étonnera de voir un ministre de la gauche plurielle prendre comme adversaire un corps enseignant qui vote massivement à gauche et le plus pesant des syndicats du secondaire. Mais tout s’explique si on suppose que pour M. Allègre la situation lamentable du système éducatif vient des obstacles qui ont empêché l’application de la politique dessinée par M. Jospin, notamment dans sa loi d’orientation de 1990. Ces obstacles ont été multipliés par l’opposition de diverses organisations à la fois corporatistes et conservatrices. Encore plus que le SNALC – le plus important des syndicats non-marxistes du secondaire – conservateur qui doit avoir aux yeux de M. Allègre l’avantage de jouer franc jeu, la bête noire, ce sera le SNES-FSU, dont on sait que sa direction est fortement influencée par des éléments communistes, et qui masquerait sous un progressisme de façade une bonne dose de conservatisme et de corporatisme. Seuls trouvent grâce à ses yeux le syndicat fédéré à la CFDT (très à gauche pédagogiquement) et une petite organisation née d’une scission du SNES ; mais à eux deux ces syndicats ne représentent guère plus de 20 % des enseignants du secondaire. C’est donc en brisant en priorité les résistances qu’il rencontre dans son propre camp syndicalo-politique que le ministre entend imposer ses volontés. Les reproches de corporatisme et de conservatisme adressés à ceux qui sont du même côté de l’échiquier politique que lui ne sont pas totalement dénués de fondement. Mais enfin, la fonction d’un syndicat n’est-elle pas de défendre ses mandants ; à ce titre, son action ne peut être totalement dépouillée de toute trace de corporatisme. Quant à l’accusation de conservatisme, elle est portée contre tous ceux qui, parce qu’ils estiment avec réalisme la situation, ne sont pas disposés à faire table rase du passé. Ce qui, pas à pas, va ruiner la réputation favorable de M. Allègre, c’est son incapacité de résoudre les problèmes les plus brûlants auxquels il est affronté. L’interminable grève des enseignants de la Seine-Saint-Denis qui ne peuvent exercer leur métier en raison de la violence qui paralyse lycées et collèges l’a beaucoup desservi. Alors qu’en quelques années le nombre d’incidents a été multiplié par dix, il ne trouve à proposer comme remède que l’augmentation du nombre de classes de ZEP. Les promesses non tenues vont également le compromettre. A l’entendre, grâce à ses soins, la dernière rentrée s’était déroulée dans de bien meilleures conditions que les précédentes. Or, que découvre-t-on ? Un mécontentement général des élèves, des professeurs, des chefs d’établissement, fondé dans de nombreux cas sur des données objectives indéniables, mais dans d’autres sur des demandes abusives (par exemple, les classes ne sont pas aussi surchargées qu’on veut bien le dire). Pourquoi nous avoir trompé sur la qualité du résultat obtenu par sa gestion ? Enfin, pourquoi ce ministre qui prétendait disposer d’une panoplie de remèdes souverains, au premier rang desquels figurait la "déconcentration", n’a-t-il pas accélérée leur mise en application ? Ce terme prononcé par M. Allègre comme s’il était son invention propre, je l’ai entendu utiliser en 1986 par M. Monory lorsque le tout nouveau ministre de l’Éducation avait reçu une délégation de notre association : il entendait par là le fait de confier au niveau local toutes les décisions qui peuvent l’être sans remettre en cause le statut des enseignants ou le caractère national des programmes, ce en quoi elle se distinguait d’une radicale régionalisation. J’ose espérer que douze ans après, l’actuel ministre a une conception aussi nette de cette déconcentration dont il parle souvent, sans la mettre en train. Les Français ont fini par remarquer que M. Allègre avait tendance à se payer de mots. Tous ces éléments ont sapé une popularité facilement acquise tandis que les projets de réforme, toutes entreprises simultanément, mais jamais conduites à leur terme, ni évaluées, concernant à peu près l’ensemble des facettes de la vie scolaire – à l’exclusion des universités proprement dites, vraisemblablement tenues pour assez fatiguées par les traitements auxquelles elles avaient été soumises – ont donné le sentiment d’une instabilité générale qui a fini par lasser. La plus connue, la plus avancée de ces réformes est celle des lycées, préparée par un questionnaire adressé aux élèves et aux professeurs de ces établissements et dont les conclusions, d’une validité et d’une signification douteuses, ont été présentées lors du colloque Meirieu qui s’est tenu à la fin du mois d’avril à Lyon. C’est elle qui vient de mettre le feu aux poudres, d’autant plus que M. Allègre avait fait croire que les réformes proposées seraient immédiatement appliquées et efficaces, ce que les lycéens ont perçu comme une tromperie. (Soyons assurés que la première mesure appliquée sera ces fameuses réductions de programme qui ne coûtent rien !) La seconde est une reforme des grandes écoles qui s’inspirerait du rapport rédigé par Jacques Attali et qui mettrait en cause le statut des classes préparatoires tenues pour un repaire de l’élitisme. Le projet est ici moins avancé. Je ne parlerai ni de l’une, ni de l’autre de ces réformes pour la simple raison que nous avons invité des personnalités particulièrement qualifiées pour en parler. Mais l’erreur serait d’oublier que d’autres projets ont été mis en chantier. Je citerai d’abord "la charte pour bâtir l’école du XXIe siècle" qui, sous ce titre pompeux semble n’être qu’un projet d’expérience de l’INRP (Institut national de la recherche pédagogique) pour une nouvelle organisation de l’école primaire, expérience toutefois à conduire sur 2 000 écoles au moins. Je noterai simplement que ce document se désintéresse des contenus de cet enseignement, qui n’aurait pas à être complet puisque la scolarité en collège jusqu’à seize ans est elle aussi obligatoire, qu’il multiplie les intervenants en plus des professeurs des écoles, comme si le budget de l’Éducation nationale qui est déjà passé de 200 à 350 milliards en dix ans était infiniment extensible, et qu’enfin le souci majeur semble être une volonté tenace d’arracher l’enfant à sa famille, puisqu’on présente comme un modèle idéal un temps continu d’école de 8 h 30 à 16 h 45 ou 18 h. Enfin pour faire la jonction avec la réforme des lycées, la présentation au mois de juillet par Mme Royal d’un audit sur les collèges confié à des experts dirigés par le sociologue François Dubet. Rien de très original dans les résultats de cet audit : on y constate la diversité des collèges qui ne seraient pas tous effondrés, mais on note que c’est le plus souvent au prix d’une diversification des filières contraire aux textes. On déplore alors que, si le principe des filières est admis et s’il n’y a plus de filières dissimulées en sixième, il en aille tout différemment en quatrième et troisième : le jeu des options linguistiques ou de classes dites européennes permet d’"homogénéiser" les classes à ce niveau. Au nom de principes d’égalités, ce sont ces pratiques qu’il faut éviter, même si ce sont les entorses aux principes qui ont permis à de nombreux collèges de surnager : "il faut réaffirmer le principe de la carte scolaire et limiter les dérogations" ; les journaux télévisés nous apprennent qu’on travaille à le faire. Bel exemple d’acharnement idéologique. Le rapport Meirieu ne fait d’ailleurs après tout que proposer une extension au lycée des principes qui régissent le collège, dans la mesure du possible. Et l’enseignement privé dans tout cela ? Aucune décision ne le concerne directement. Son statut est préservé, mais naturellement amélioré. Mais du fait qu’il constitue la seule échappatoire à un système uniformisateur presque jusqu’au baccalauréat, il est, sans l’avoir cherché, bénéficiaire de la situation. Ce qui ne justifie pas la bruyante approbation apportée par l’UNAPEL à M. Meirieu. Que pouvait-on faire contre ce rouleau compresseur qui n’hésitait pas à réduire au rôle de figurants et à priver de parole dans les colloques officiels les représentants de respectables organisations ? Mettre en pleine lumière à travers notre lettre les intentions et les méthodes d’un ministre qui avait essayé de capter les faveurs d’un public qui lui était habituellement rebelle. Tweet |