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Lettre N° 60 - L’EXEMPLE DE LA SEINE SAINT-DENIS
L’habitude a émoussé nos réactions : à intervalles de plus en plus rapprochés, nos quotidiens nous apprennent que des établissements scolaires sont mis dans l’impossibilité de fonctionner par des agressions ciblées, que les élèves sont victimes de la violence, qu’on est dans l’incapacité de les protéger et enfin que les enseignants sont sauvagement agressés. Ces actes se multiplient et s’aggravent : un jeune est tué dans une rixe entre bandes rivales à Aulnay, un autre en classe par balle à Tourcoing. On s’en attriste, mais on ne s’en étonne plus. Qu’élèves, professeurs et parents soient indignés dans leur grande majorité, on le sait déjà, mais on sait aussi que les manifestations de leur colère sont souvent sans lendemain.
Alors, quoi de neuf en Seine-Saint-Denis ? Simplement que les incidents ont eu lieu à un rythme tellement accéléré qu’en quatre ans le nombre des incidents, allant des violences verbales au port d’armes ou à l’incendie, a été multiplié par 10 (de 294 à 2975) (Valeurs actuelles, numéro 3206, p. 34). Ils ont eu une telle intensité et les premières réactions officielles ont été si molles qu’elles n’ont aucunement apaisé la colère des partenaires de ces écoles empêchées de fonctionner, tout au contraire. Si on ajoute que les syndicats de gauche (notamment le S.N.E.S.) sont en conflit avec le ministre, tout est en place pour un mouvement important et durable, souvent animé par des militants syndicaux d’extrême-gauche, mais qui ont su regrouper sous leur houlette des forces venant d’ horizons très différents. Au début d’avril, au bout de quelques semaines, on en était déjà à la cinquième manifestation, dont certaines regroupent plus de 10000 participants. Il est vrai que les deux ministres chargés de l’Education nationale sont débordés par la situation. Se dire " consternés " au lendemain du drame de Tourcoing et estimer " inadmissible que des élèves puissent introduire des armes dans des établissements scolaires ", tout en se déchargeant sur le ministre de l’intérieur du soin " de mettre en place un dispositif de contrôle approprié aux abords des établissements ", c’est une réponse bien faible, d’autant plus qu’à la fin du mois d’avril, M. Allègre s’indigne à l’idée qu’on puisse proposer d’installer dans les écoles des portiques de sécurité (comme aux Etats-Unis ), sous prétexte que dans notre pays la violence n’appartenant pas à notre culture ne peut être qu’importée ! Dès le 30 mars, les propositions de Claude Allègre, portant sur la création d’un nombre limité de postes d’enseignants, ont été repoussées, une nouvelle manifestation organisée. On voit se multiplier, par dix au moins, les postes promis. Ceci n’empêche pas une autre manifestation le 3 avril, alors que la veille un certain nombre de collèges et de lycées ont été visités par des casseurs, les chefs d’établissements rossés, les équipements saccagés - 60000 francs de dégâts dans un seul de ces établissements - et un responsable de la police dira qu’il a préféré ne pas intervenir de crainte d’aggraver la situation. L’évêque du département - tellement prêt à la repentance- nous apprend qu’il " ne baisse pas les bras ". Grand bien lui fasse. Mais, dans la même page du Figaro (p. 6 du 7 avril), à côté de cette opinion, on recueille l’avis de Pierre Bernard, maire de Montfermeil, qui peut rappeler qu’il avait alerté les autorités ministérielles sur la situation catastrophique et qu’il refusait d’inscrire dans les écoles les enfants d’immigrés clandestins, ce qui lui avait valu de passer en correctionnelle (pour incitation à la discrimination raciale), comme le souhaitait M. Jospin, qui était alors ministre de l’Education. Aujourd’hui les faits prouvent qu’on aurait dû tenir compte de cet avertissement bien fondé ! Pendant tout le mois d’avril, la situation restera bloquée. Confortés par le soutien des élèves, des médias, dans une certaine mesure des parents, qui ne s’inquiéteront vraiment qu’à l’approche des examens, les professeurs ne veulent pas sortir de la grève sans assurances. Les offres de M. Allègre se feront de plus en plus alléchantes. Le nombre des créations de postes se multipliera à un rythme voisin de celui connu par les incidents ces dernières années. Rien n’y fit. Les professeurs ne cédèrent pas. Ils avaient conscience d’avoir le droit pour eux et que l’État leur devait d’abord la sécurité. Mais aussi, parce que sous la pression des vieilles habitudes syndicales ils semblent être déroutés dès qu’il n’est plus question de formuler leurs revendications en termes quantitatifs de création de postes. Pourtant d’autres idées cheminent. Mme Royal dit que ce département montre la nécessité " d’un pilotage " individualisé de chaque établissement scolaire ", expression qui annonce un enseignement à contenu variable selon les circonstances locales, ce qui va soulever de vives réticences des enseignants, attachés aux normes nationales. Chacun restera sur ses positions et le conflit ne s’éteindra qu’au cours du mois de mai, à la veille des examens et de la coupe du monde qui ira précisément dans le département sinistré.
Les aveux du ministre Rien n’est donc résolu quant au fond, mais on peut tirer au moins de toute cette histoire deux enseignements positifs. D’abord, les réactions des acteurs, tous victimes, a permis de mettre en pleine lumière une situation qu’on essayait de dissimuler ou dont on atténuait la gravité. Ensuite, tout à fait à la fin du mois, juste avant le colloque sur les lycées dont nous parlons plus loin, et la huitième manifestation programmée, M. Allègre invité à l’émission Droit de cité, interrogé sans complaisance par le directeur du Monde, M. Colombani et par M. Poivre d’Arvor a dû en quelque sorte passer aux aveux, malgré quelques fanfaronnades( " depuis trente ans, aucun ministre n’est allé en Seine-Saint-Denis, le dernier c’était Haby " alors que M. Haby ne fut ministre qu’en 1974 !) D’abord sur les causes du phénomène, sans inutile pudeur, M. Allègre assigne comme facteur prépondérant, la présence dans certains établissements d’une proportion qui peut aller jusqu’à 65% d’enfants d’étrangers qui ne parlent pas le français chez eux. Il est clair que dans ces conditions, surtout avec la rivalité entre bandes qui marquent leur territoire (et qui regroupent des mineurs de plus en plus jeunes) et les phénomènes de violence qui s’ensuivent, l’enseignement est presque impossible. On nous apporte des données globalement prévisibles, mais désormais incontestables. Plus personne ne veut, ni ne peut enseigner ou encadrer dans ces conditions. Inutile de créer des postes, car on n’arrivera pas à les pourvoir, faute de candidats ; à la rigueur on aura quelques auxiliaires et encore ! En deux ans, le nombre d’agrégés en Seine-Saint-Denis est passé de 400 à 100. Sur 187 établissements, 80 sont sans infirmières, car il n’y a pas de candidats. Les gens s’en vont dès qu’ils sont nommés et ce sont les emplois- jeunes eux-mêmes qui ne peuvent être pourvus : les personnes recrutées disparaissent le lendemain de leur nomination ! Et il n’y a pas lieu de s’en étonner : les fonctionnaires de l’Education nationale, sont " des héros " dans ce département. C’est dire que la simple création de postes, réclamée par les syndicats, ne serait d’aucune façon un remède. Et j’avoue que sur ce point, je suis d’accord avec le ministre ; de même lorsqu’il soutient que la tension en milieu scolaire n’est que le reflet de la société et donc que" l’éducation civique ne supprimera pas les fusils à pompe ". (Mais pourquoi avoir essayé de nous faire croire le contraire ?) Mais c’est du côté des remèdes que les choses vont se gâter. Certes, il ne sert à rien de déplorer qu’on soit dans cette situation alors que le ministère de la Ville date de 1985, même si ceci montre seulement l’insouciance des titulaires successifs de ce portefeuille. Quant à l’idée que l’immigration soit un bien, soutenue par M. Allègre, elle est extrêmement contestable. Mais là n’est pas le problème, pas plus que n’est en question l’incidence des mesures de régularisation des clandestins, car ce qui est en cause, c’est pour l’essentiel, la scolarisation d’élèves nés en France et donc destinés à devenir des électeurs français, même s’ils savent mal notre langue encore que scolarisés jusqu’à 16 ans au moins. Or, M. Allègre n’a rien d’autre à nous proposer que la multiplication et le renforcement des Z.E.P. qui consistent pour l’essentiel à réduire le nombre d’élèves par classe et à motiver les enseignants par des avantages de carrière, éventuellement à aménager les programmes, ces zones étant définies sur des bases territoriales. Cette politique de discrimination positive, ou au moins de diversité, n’est vraiment pas à la mesure de la difficulté. De même, il ne sert à rien de soutenir que nous n’avons pas la culture de la violence, celle du Far-West, et que la violence est importée par les films, les jeux vidéo. Cette croisade sans être inutile, ne touche que marginalement le phénomène. La " déconcentration départementale ", selon le modèle que Jules Ferry a retenu pour les écoles normales d’instituteurs n’a rien d’une panacée !
Une expérience à tenter Je pense qu’il faut bien une diversification des cursus, une scolarisation à plusieurs vitesses comme on le dira. Mais qu’elle ne peut être fondée ni sur des critères d’origine ethnique, naturellement, ni sur des critères territoriaux. Le défaut du système des Z.E.P., c’est qu’on assigne d’autorité un enseignement particulier à des élèves selon le domicile des parents, alors que certains pourraient suivre un enseignement d’un autre type. Il s’ensuit une fuite par divers stratagèmes (dont fait partie le recours à l’enseignement privé) de tous les élèves dont on peut espérer un niveau convenable qui essayent d’échapper au filet de la carte scolaire. En même temps est entretenue la division en cités qui seront les bases du recrutement des bandes et des classes. Il faut briser cette logique du territoire. Comment procéder ? Il faut qu’au même lieu, ou en des lieux très voisins soient éventuellement dispensés deux types d’enseignement, recouvrant l’enseignement ordinaire et celui dispensé dans les Z.E.P. ; c’est selon leur capacité que les élèves seraient orientés vers l’un ou vers l’autre. Le critère pour l’école élémentaire serait la connaissance de la langue courante, pour le collège celle de l’écriture, de la lecture et des données fondamentales de la grammaire de cette langue. Bien entendu, la répartition n’aurait aucun caractère définitif : un élève progressant suffisamment pourrait passer de l’enseignement du type Z.E.P. a l’enseignement normal, en général en subissant un certain retard. Je pense que l’objection majeure qu’on me fera est qu’ainsi on introduit une sélection précoce. Sans aucun doute, mais il s’agit de constater une situation de fait. Mieux vaut la sélection selon les capacités que la répartition sur critère territorial qui fait que la Z.E.P. risque de n’être que la façade scolaire de la zone de non droit ...je ne vois aucune autre méthode pour accroître les chances d’assimiler ceux qui le veulent et le peuvent. La situation à laquelle l’école est affrontée n’est qu’une forme nouvelle d’un problème qu’elle a rencontré à plusieurs reprises : l’école de Jules Ferry scolarisait de jeunes paysans dont les parents avaient peu de confiance envers l’institution et auquel le patois était plus familier que le français. Elle a éradiqué les patois dont l’usage était interdit, même dans les cours de récréation. Après tout, les jésuites y imposaient bien l’usage du latin ! Dès la libération de l’Alsace, à la fin de la dernière guerre, il a fallu appliquer des dispositifs particuliers pour les élèves qui, pendant plus de quatre ans, avaient reçu un enseignement en allemand. La mise en place d’un double cursus, sous la direction du recteur Prélot, a résolu le problème en peu d’années. Lorsque autour de 1960, la France a fait appel à une immigration massive, ont été instaurés des dispositifs d’alphabétisation et d’apprentissage du français destinés à des adultes. Même s’ils ne firent pas merveille, leurs résultats ne sont aucunement négligeables. De façon plus précise, on doit d’ailleurs noter que les premières générations d’enfants d’immigrés, qui vivaient pourtant dans des conditions incomparablement moins favorables que celles qu’on connaît aujourd’hui, ont beaucoup mieux réussi dans leurs cursus scolaires, souvent prolongés à des niveaux élevés, que leurs successeurs. * Pourquoi alors ces difficultés qui vont en s’aggravant ? Les difficultés de la vie économique n’ont, à mon avis, qu’un rôle mineur dans cette évolution. L’essentiel, c’est un repli " communautaire " de plus en plus marqué, non pas suscité, mais encouragé par toute l’idéologie qui anime les travailleurs sociaux et certains personnels de l’éducation nationale. Le sentiment qu’on ne leur offre, à travers les Z.E.P. qu’un enseignement " bas de gamme " ne peut que renforcer ces réactions C’est pourquoi je pense qu’à tout compte faire mieux vaudrait un enseignement franchement à deux vitesses, dont une filière aurait pour fonction d’alphabétiser et d’enseigner la langue nationale, qui ne pénaliserait pas les meilleurs et - pourquoi pas - donnerait peut-être aux autres le désir de mieux travailler. Enfin, il nous ferait clairement savoir quels élèves ont, dans ces populations immigrées, le souci de s’intégrer. Maurice Boudot Tweet |