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Lettre N° 59 - DES NUAGES MENAÇANTS
M. Allègre était un homme heureux. À son entrée au ministère, il a bénéficié d’un état de grâce prolongé ; pendant tout un semestre, il ne s’est heurté à aucune difficulté sérieuse ; il avait - et conserve encore aujourd’hui - une cote de popularité favorable, à laquelle contribuent de nombreux électeurs qui se disent de droite et qui ont été notamment séduits par ses fracassantes déclarations hostiles aux enseignants ( et on peut mesurer par là la gravité du contentieux qui oppose de larges segments de la population au corps enseignant ).
Depuis le début de l’année, le vent a brutalement viré. Il serait, certes, très excessif de parler de l’imminence d’une tempête. Les vagues de mécontentement étaient notables, mais nullement convergentes, ni dans leur motivation, ni dans les publics qu’elles affectent. Les conditions qui créent un péril sérieux n’étaient donc pas remplies. Mais, au fil des semaines, on a dû constater que la popularité du ministre reposait sur des bases extrêmement fragiles. Tenir ses promesses et ne pas inquiéter inutilement La première difficulté a surgi lorsque que des syndicats d’instituteurs ont décidé une grève en deux vagues, les uns le 20 janvier, les autres le 1er février, tant est profonde l’animosité qui oppose les diverses confédérations . La revendication essentielle concernait l’accélération notable de l’intégration des instituteurs dans le corps des " professeurs des écoles " . Bien entendu, la principale différence entre les uns et les autres, comme ce sont plu à le répéter les grévistes, réside dans les émoluments: les uns gagnent, par mois, près de 2000 francs de plus que les autres, alors que " tous font le même métier, dans les mêmes conditions ". Si on en restait là, on conclurait inévitablement à une inégalité sans justification. Il y a bien une différence entre les deux corps : elle se trouve dans la formation que reçoivent leurs membres. Elle est plus longue et, en théorie plus complète, pour les professeurs des écoles. C’est en 1989 que M. Jospin décide de leur imposer une formation dans les I.U.F.M. qu’il vient de créer. L’objectif réel est de rapprocher leur formation de celle des professeurs de collège certifiés, ( du moins quant à sa longueur ) ce qui justifie que soit pratiquement annihilée toute différence de traitement entre ces deux groupes et constitue un mouvement essentiel dans une démarche qui vise à l’unification des diverses catégories d’enseignants. Mais, bien entendu, la nouvelle formation ne peut concerner que les personnels nouvellement recrutés. Pour les " anciens " instituteurs il faut prévoir une intégration progressive dans le corps le plus avantageux, sous diverses conditions. Cette situation strictement inévitable ne pouvait qu’être génératrice d’amertume, quand on sait que certains devront attendre jusqu’en 2014 cette intégration, qu’on présentait comme une amélioration déjà acquise de la situation des instituteurs. Même, si au sens strict, on ne revient pas sur ce qu’on a promis, on a laissé miroiter une amélioration illusoire et on récolte une terrible déception. Faut-il rappeler que M. Allègre était le principal conseiller de M. Jospin lorsque ces choses se sont faites. Il lui reste à moraliser les foules en rappelant à ceux qui grognent qu’ils ne sont pas à plaindre puisque assurés de la conservation de l’emploi ! Pour le moins, une plus grande prudence dans le discernement du possible et du souhaitable aurait-elle permis d’éviter une situation aussi périlleuse. Mais il est d’autre cas où par des propos inconsidérés, on semble prendre plaisir à susciter l’inquiétude des personnels enseignants ou des étudiants. La longue grève des I.U.T. qui constituent l’un des rares secteurs de l’enseignement supérieur qui ouvre aux étudiants des perspectives d’emploi constitue un exemple typique. Bien sûr, la décision ministérielle de revenir sur une réforme décidée par son prédécesseur qui rendait plus difficiles des examens dont les élèves sont les premiers à tenir à ce qu’ils ne se dévalorisent pas trop sur le marché du travail ( ce qui prouve qu’ils sont spontanément opposés au laxisme lorsque les enjeux sont transparents ) fut un facteur prédominant pour déclencher le mouvement. Mais les déclarations inutilement provocantes qui laissaient à penser que l’on voulait tordre le cou aux I.U.T. ont aussi joué leur rôle. Pourquoi les avoir qualifiés de " premier cycle de luxe ", sous prétexte que le coût de la scolarisation dans ces établissements est effectivement élevé, alors qu’ils sont efficaces dans la préparation à la vie active ? Pourquoi les qualifier de " bastion du conservatisme ", pourquoi de façon plus générale avoir proclamée sa volonté d’unifier tous les premiers cycles ? Tous ces propos ne pouvaient qu’envenimer la situation. Ces provocations paraîtront dérisoires quand on voit qu’elles n’aboutiront qu’à la réunion de tables rondes qui donneront une apparence honorable aux reculades auxquelles sera contraint le ministre pour apaiser le conflit. Un exemple encore plus significatif et qui concerne un problème incontestablement plus simple que celui posé par les I. U.T. est constitué par les dénégations auxquelles se croit obligé M. Allègre le 20 janvier, deux semaines avant une grève programmée dans les lycées : " Je n’ai aucunement l’intention de supprimer le baccalauréat.... Je ne veux pas davantage supprimer les classes préparatoires aux grandes écoles..... Je n’ai pas l’intention de régionaliser [ le CAPES ] " et pour les mutations des enseignants, il s’agirait d’une simple " déconcentration ", destinée à traiter les professeurs de façon plus humaine. (J’emprunte le texte de ces démentis à un article publié dans Le Figaro le 21 janvier.) Si le ministre se sent forcé de saper les raisons avancées pour légitimer une grève qu’il redoute, faut-il en conclure que ce mouvement n’avait pour causes que des craintes qui relèvent du fantasme ? Pas du tout, car des déclarations imprudentes, des indices convergents donnaient à penser, en toute impartialité, qu’il avait bien projeté de réaliser au plus tôt tout ce dont il nie aujourd’hui avoir eu l’intention. Nous allons dire bientôt ce que sont ces indices. Mais, ici encore, il faut noter que c’est pour avoir soulevé, peut-être inutilement, des inquiétudes, légitimes à mon sens, qu’on a multiplié les obstacles sans qu’aucune décision irrévocable n’ait été prise. Une étonnante grève Le 3 février a eu lieu, dans les lycées, une grève qui fut très correctement suivie. Appelaient à ce mouvement le S.N.E.S. , syndicat nettement majoritaire, qui appartient à la F.S.U. ( de gauche ), le syndicat national F.O. des lycées et collèges, particulièrement vigilant et perspicace au sujet de tous les projets relatifs au contenu des enseignements, mais dont il faut bien dire que son importance numérique n’est pas à la hauteur de la rigueur de ses analyses. Mais, à côté de ces syndicats dont on ne s’étonne pas qu’ils appellent à la grève, figuraient aussi le S.N.A.L.C. dont les positions sont très différentes ( dont je me demande s’il n’appelait pas à la grève pour la première fois ), auquel s’était joint la C.N.G.A.. Seuls absents : le S.G.E.N.- C.F.D.T., grand amateur d’extravagances pédagogiques depuis 1968, et le S.E.-F.E.N. , micro syndicat nouvellement créé, dont la fonction est surtout d’assurer la présence de la F.E.N. avec laquelle a rompu le S.N.E.S. dans les lycées. Bref, tout le monde sauf les représentants de ce qu’on appelait pendant un temps la seconde gauche et qui, numériquement, représente moins de 20% des professeurs. La grève fut correctement suivie ( la moitié à peu près des professeurs si on effectue une pondération des diverses estimations ), surtout si on tient compte du fait que beaucoup de ceux qui étaient appelés devaient être tenus pour des novices en matière de grève ! Le plus extraordinaire, c’est que cette quasi-unanimité a été à peine relevée, ou, quand elle le fut, a paru suspecte. Beaucoup d’articles écrits à l’époque laissent entendre que cette grève est le fruit du corporatisme, que les professeurs de lycée ne se mettent d’accord que pour défendre leurs intérêts ! Il fallait avoir bonne vue pour discerner ces motifs corporatifs, car c’est la défense d’une certaine conception de l’enseignement qui était essentiellement mise en avant. Certes, dans la mesure où était également visée par les grévistes la régionalisation du système des mutations, on a pu penser avec une certaine vraisemblance que certains syndicats ( notamment le S.N.E.S.) défendaient le système centralisé des mutations qui leur permet, au niveau des commissions paritaires nationales, d’avoir une influence notable sur les décisions. Et tout un public s’est félicité de voir éclater un conflit personnalisé entre M. Allègre et Mme Vuaillat qui dirige le S.N.E.S.! Que le poids des syndicats soit souvent excessif dans l’éducation nationale, ce n’est pas nous qui en doutons ; de même je pense que ces syndicats n’ont pas la vocation de " cogérer " le système éducatif avec le ministère. Mais c’était faire porter le débat sur un aspect qui n’avait rien d’essentiel dans les motivations de ceux qui appelaient à la grève : le problème des procédures de mutations n’était qu’une forme très particulière que revêt le projet de supprimer le caractère national du statut des professeurs de lycée, de leur recrutement par concours national ( agrégation ou CAPES ), des examens qui sanctionnent l’enseignement secondaire ( le baccalauréat ), des programmes. Leur crainte c’était de voir progressivement dévalorisé l’enseignement secondaire, sous prétexte que celui-ci ne doit pas viser l’acquisition de connaissances, au profit de la " formation à une citoyenneté lucide ". Les attaques systématiques contre l’idée qu’on doit étudier des disciplines précises et distinctes ne pouvait que donner des fondements à ces craintes. Ce fut le mobile fondamental de cette grève dans laquelle les professeurs avaient le sentiment de contribuer à sauvegarder un ilôt d’enseignement qui avait maintenu un minimum de sérieux, surtout si on le juge en le comparant à ce qui se fait par ailleurs. Cette grève avait donc un caractère très singulier par les raisons qui la motivaient. On peut s’en assurer par la lecture de la littérature qui la justifiait. J’ai sous les yeux un tract de F. O. -- au demeurant fort bien fait -- où je découvre des extraits très caractéristiques de la prose de M. Meirieu, collaborateur influent du ministre. Il écrivait dans le Progrès de Lyon ( du 2 10 97 ) que " les objectifs de l’école obligatoire ne sont plus aujourd’hui d’actualité ". Dans l’un de ses ouvrages il accuse " l’arrogance de l’intelligence rationaliste " d’avoir " érigé en absolu la valeur de vérité " qualifiée de " valeur d’exclusion ". Ailleurs, il écrit " l’acquisition des connaissances est génératrice d’exclusion ". Toutes ces citations autorisent M.Meirieu à conclure que les programmes sont trop chargés, la part des disciplines trop grande et à dénoncer le baccalauréat qu’il faudrait, faute de pouvoir le supprimer, ce qui serait pourtant le meilleur moyen de mettre fin à l’émulation qu’il fait régner parmi les élèves des lycées, modifier profondément, en y introduisant une large part de contrôle continu ! J’aurais pu citer d’autres textes, par exemple l’analyse de la société des Agrégés qui, en raison de ses statuts, n’avait pas à appeler à la grève mais qui refuse de donner comme fonction des études de " permettre d’accéder à une citoyenneté lucide à l’âge de 18 ans ", et non pas d’étudier des disciplines déterminées mais tout au plus de préparer à " une approche centrée sur des savoirs disciplinaires précis ". Toutes les données convergent : les motifs corporatifs n’ont joué qu’un rôle très subalterne. Dans le cas de certaines organisations, ils étaient même totalement absents. De toute façon, si la réforme du système des mutations était refusée, c’est parce qu’on y voyait l’indice d’un désir de régionaliser l’ensemble des carrières, depuis le recrutement. Et ce qui est repoussé dans la régionalisation, c’est qu’on craint qu’elle serve à masquer l’abandon de ces normes strictes qui ont pu éviter aux lycées de sombrer totalement et les ont un peu préservés par rapport à ce qui était le sort commun des collèges. Une grève originale par les forces qu’elle mettait en mouvement, également par ses motivations si on s’en tient aux affirmations de ceux qui y participaient. Mais qu’est-ce qui avait poussé à ce mouvement d’une envergure non négligeable ? De façon étonnante, de simples projets et non des décisions effectivement prises. Ces projets exprimés, comme des intentions, notamment par M. Allègre lui-même, à diverses occasions depuis qu’il avait accédé aux responsabilités, prenaient un aspect particulièrement menaçant qui montrait que leur réalisation était manifestement très proche depuis qu’avait été lancée le 8 janvier une vaste consultation, conduite sans méthode ( on pouvait par exemple participer à un groupe donnant une réponse collective et envoyer une réponse individuelle, réponses anonymes mais avec des éléments permettant de percer l’anonymat dans certains cas ) et qui sera dépouillée par des groupes hétéroclites sans garantie de l’objectivité de leur méthode, objectivité visiblement tenue pour une " valeur d’exclusion ". Si l’organisation et le dépouillement ôtent tout sérieux au résultat de cette consultation, les questions posées étaient biaisées de sorte qu’on soit assuré d’obtenir les résultats qu’on souhaitait . Un exemple suffisamment probant, à lui seul : je citerai simplement une déclaration solennelle du Bureau de l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public : on demande à tous les élèves s’ils " s’ennuient " à l’école ou encore ce qu’ils jugent " inutile et sans intérêt dans leurs études ". Comment croire à la " sincérité républicaine " d’un ministère qui appelle à juger l’institution scolaire, les programmes, les enseignants, alors qu’il veut en même temps créer en première une éducation à la citoyenneté : " peut-il y avoir une citoyenneté lucide sans une citoyenneté instruite ? " ajoute ce texte. Aujourd’hui, les résultats dépouillés par les élèves des I. U. F.M. non contraints, mais vivement incités, reviennent au niveau des rectorats. Ils sont ce qu’on pouvait prévoir . Peut-être un peu plus modéré qu’on l’attendait. Il est vrai que quand M. Meirieu, chargé de " piloter " l’opération, commente avec mesure ces résultats ( ce vendredi 13 mars, page 13 du Figaro), peut-être a-t-il à l’esprit les réactions que ce questionnaire a suscitées ou précipitées. Et les promesses ( notamment au sujet du maintien du baccalauréat, à titre d’examen national anonyme ) qu’a dû faire le ministre pour apaiser les inquiétudes et détendre la situation. C’est dire qu’on peut caresser l’espoir que la consultation finisse en queue de poisson lors du colloque qui doit la clore à Lyon à la fin du mois d’avril. Ce qui, après tout, est un sort assez commun en ce genre de matière. Un inquiétant conseiller J’ai l’impression que la découverte de M. Meirieu, conseiller très écouté du ministre qui a joué un rôle directeur dans cette consultation et qui entend à partir d’elle réformer les lycées, n’a pas joué un rôle apaisant. C’est qu’on peut juger M. Meirieu sur pièces : ce professeur de sciences de l’éducation à l’université de Lyon II a beaucoup publié et ses intentions sont très explicites. Certes il met en garde contre l’identification du personnage officiel qu’il est devenu avec le chercheur qu’il continue d’être. Il proteste avec véhémence lorsqu’on lit la politique de M. Allègre pour les lycées comme si elle était la simple mise en application des théories de Philippe Meirieu. Je pense ces protestations sans fondement. Il est évident que cet homme ne procède pas à l’aveuglette et qu’il n’est pas un opportuniste, mais un doctrinaire qui a fourni à M. Allègre la doctrine qui lui manquait. M. Kuntz, notamment, a raison de décrypter les intentions ministérielles à partir des écrits de M. Meirieu. Le dernier livre publié ( en collaboration avec un journaliste ) - l’école ou la guerre civile - ne concerne pas directement les lycées, mais ce qu’il appellera l’école de base qui devrait intégrer à la fois les écoles élémentaires et les collèges. Mais d’autres écrits récents, comme l’envers du tableau et des remarques incidentes permettent facilement de conclure de ce qui est écrit dans l’école ou la guerre civile à la doctrine de Meirieu en ce qui concerne les lycées. Cette école élémentaire correspondrait à la phase de la scolarisation obligatoire, dont le début devrait être reporté de six à trois ans ( le projet de faire commencer l’école plus tôt est commun à tous les théoriciens qui ont des penchants autoritaires ). Mais, comme il est dit, il faut inventer l’école obligatoire, car actuellement elle ne l’est pas ( p. 19 ) : seule l’est l’instruction - ce qui est exact. Mais notre auteur veut mettre fin à cette distinction : la scolarisation deviendrait obligatoire et si elle peut être assurée dans des établissements privés, encore faut-il s’assurer que ceux-ci n’effectuent aucune sélection, sur quelques critères que ce soit ( p. 95 ) . Ne pas obliger à la scolarisation, c’est tenir pour essentielle l’instruction et négliger que la scolarisation, l’éducation du citoyen, la préparation à la vie démocratique constituent le rôle essentiel et en définitive unique de l’école. Le maître n’est ni un animateur socio-culturel, ni une assistante sociale ; il doit bâtir son identité sur l’apprentissage de la vie démocratique ( p. 46 ), alors qu’il conserve une conception archaïque de son métier et oublie, par exemple, qu’il est loin d’être certain que corriger des copies soit utile ( p. 42 ). La fonction de l’école c’est de donner une culture commune aux citoyens, ce qui exige puisque nous vivons dans une société constituée de groupes hétérogènes, qu’elle nous habitue à l’hétérogénéité ( p.103 ). L’apprentissage de la démocratie exige des institutions scolaires qui réalisent la plus grande hétérogénéité possible. Or, loin de préparer à cette vie démocratique, par tous ses mécanismes, l’école tend naturellement à homogénéiser, à réaliser une ségrégation selon les résultats, qualifiés explicitement de " racisme scolaire " ( p.103 ). Tous les apprentissages relèvent de cet état d’esprit : l’école systématiquement, dès le cours préparatoire, sélectionne. Elle est un apprentissage non de la vie démocratique, mais de la jungle libérale, qui aboutit à une babélisation, dans laquelle chacun ne s’affirme qu’aux dépens des autres. Ainsi " c’est en apprenant à lire que [ l’enfant ] découvre la concurrence et comprend que, dans l’esprit du maître et des parents, la réussite des uns ne prend sa valeur qu’avec l’échec des autres " ( p.12 ) : " l’école ne donne pas une culture commune aux citoyens ; elle sert à armer des concurrents prêts à s’affronter dans la jungle libérale " ( p.78 et ss.). Loin d’en appeler à la restauration de l’école de Jules Ferry qui prétendait assurer l’égalité des chances, et qui est assimilée à l’école du libéralisme, dont les vertus n’ont jamais existé que dans l’imagination de quelques personnes ( dont M. Chevènement ) il faut tout à l’opposé créer un modèle d’école radicalement nouveau : l’école de base démocratique. Ce qui suppose l’unification des corps de personnels auxquels les enfants sont confiés de 3 à 16 ans ( c’est déjà entrepris ), supprimer dans cette école de base tout redoublement, éviter tout regroupement en classes homogènes, auquel tend naturellement l’école, donner clairement pour objectif de cette école, et même comme objectif unique, l’apprentissage de la vie démocratique, c’est-à-dire apprendre à traiter les conflits en excluant la violence. C’est répété deux fois ( notamment p.19 et p.97 ) : le principe de l’école obligatoire c’est d’ apprendre aux enfants à comprendre le monde et à se comporter en démocrates ; la première fin étant subordonnée à la seconde. Ceci exigerait que les enseignants effectuent une véritable conversion dans la conception qu’ils se font de leur métier et M. Meirieu n’ignore par l’ampleur de la tâche. Supprimer le baccalauréat ( qui coûterait d’ailleurs beaucoup trop cher ) est peut-être facile, peut-être un certain nombre d’enseignants prendront plaisir à s’entendre dire que la correction des copies n’est pas tellement utile, mais cela ne suffira pas à déraciner une conception de l’éducation " concurrentielle " très largement répandue. Mais le but qu’on s’est fixé est difficile à atteindre : " résister, résister farouchement à toutes les formes de ségrégation sociale et scolaire. S’opposer, par tous les moyens possibles, à l’homogénéisation des classes, à l’éclatement du système en une multitude d’établissements et de filières qui contribuent à désagréger le corps social. Faire reculer la sélection au-delà de la scolarité obligatoire. " ( p.191 ). Le style montre que, pour notre auteur, cette réponse ne va pas de soi. Mais il ne recule aucunement, avec beaucoup de cohérence, faut-il reconnaître, devant ce qu’exige l’éducation de ces nouveaux spartiates ! On comprend que les écrits récents de celui qui pilotait la consultation sur les lycées aient suscité une réelle inquiétude Il reste à vrai dire que l’école ou la guerre civile concerne l’école de base qui regroupe l’école élémentaire et le collège, et que la consultation concerne les lycées. Je note toutefois que l’apprentissage de la démocratie est la fonction ( quasi unique ) de l’école de base et que les projets ministériels donnent pour fonction à l’enseignement dans les lycées de permettre l’accès à une citoyenneté lucide . N’est-ce pas la même chose ? Il n’y a là, je pense, nulle incohérence, a fortiori aucune contradiction. Tout simplement - mais ce n’est là qu’une hypothèse - je pense que M. Meirieu estime qu’en l’absence d’une réforme des collèges ( et il conseillait M. Bayrou à ce sujet ! ), il faut que les lycées comblent certaines lacunes de l’éducation. Quant au baccalauréat, il survit, mais le " certificat d’école obligatoire ", à la fin de l’école de base, qu’il propose, le rendrait vite inutile. Dans l’attente, avec l’introduction d’une dose de contrôle continu le baccalauréat serait moins sélectif et on réduirait la concurrence qu’il instaure entre établissements ; en même temps par la suppression de certaines options on diminuerait le risque que s’instaure au lycée filières et classes homogènes. On a compris les principes qui régissent le système éducatif idéal : jusqu’à seize ans pas de sélection, aucune " homogénéisation " des publics ; un enseignement niveleur sans aucune échappatoire ( M. Meirieu tient à ce dernier point ). Ensuite le minimum de choix, de sélection, de concurrence. Si certains points ne figurent pas dans les projets ministériels, il n’y a rien de contraire avec les écrits d’un conseiller partisan d’une utopie égalitaire qui exige une bonne dose de totalitarisme pour être mise en oeuvre. D’ailleurs M. Meirieu prend toujours en mauvaise part le terme libéralisme. Il y a toutefois une question qui n’est pas posée : c’est celle du coût et de l’efficacité de ce système éducatif idéal. Mais il est vrai que poser une telle question doit être le signe d’un attachement au libéralisme. Maurice Boudot
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