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Lettre N° 43 - ET MAINTENANT, QU’ATTENDRE ? L’HISTOIRE SE REPETERA-T-ELLE ?
Revenir sur les événements qui ont marqué le début de l’année, est-ce utile, est-ce nécessaire? Je le pense, en raison de l’énormité de leurs conséquences et des enseignements considérables qu’on peut et qu’on devrait en tirer. D’ailleurs, mon opinion quant à l’importance de cet épisode de la guerre scolaire - car il s’agit bien d’un épisode d’une guerre plus longue que celle de cent ans - rejoint exactement celle des auteurs de l’émission du 8 mars présentée sur la chaîne de télévision FR3, dans le cadre du cycle "les brûlures de l’histoire", même si elle diverge du tout au tout en ce qui concerne les conclusions à tirer de ces événements et l’appréciation du comportement des différents acteurs. Ce soir-là, en effet on nous présentait la manifestation du 16 janvier, déjà momifiée, comme un fait historique, à mettre en parallèle au moins avec les grandes manifestations de 1984 en faveur de la liberté de l’enseignement, peut-être même avec le vote des lois Ferry ! Une situation bloquée Quant à l’importance numérique de la manifestation, malgré les images biaisées qu’on veut nous en donner aujourd’hui, il ne faut rien exagérer. Vraisemblablement elle réunissait trois cent mille personnes venant de toute la France -"chauffées" au cours de six mois de préparation (grâce au délai accordé en juillet par la décision de François Mitterrand de renvoyer l’affaire à plus tard). Les manifestants bénéficiaient de toute l’infrastructure de feu la FEN - infrastructure toujours en place -, de l’aide de tous les partis de gauche et du matraquage publicitaire de tous les grands médias radio et télévisuels. Leur nombre n’a rien d’étonnant et ne saurait être comparé à celui (au moins cinq fois supérieur) des manifestants de 1984, réunis dans de tout autres conditions, quoi qu’aient insinué Laure Adler et Mona Ozouf au cours de l’émission que j’ai évoquée et qui devait susciter une sainte et légitime colère de Pierre Chaunu en raison de la légèreté avec laquelle elle prenait les données historiques et de sa partialité (je renvoie au Figaro du 8 mars, jour de sa diffusion). Une manifestation dont il serait bien entendu ridicule de nier l’importance mais qui ne nous apprenait rien de nouveau, sinon que le peuple de gauche était sorti de la léthargie consécutive à son échec électoral. Ce peuple de gauche avait-il au moins changé, avait-il procédé à un aggiornamento ? On essaye de nous le faire croire et même des quotidiens sans sympathie excessive pour le laïcisme l’écrivent : il serait moins agressif, seulement inquiet parce qu’il a le sentiment que l’équilibre entre école publique et école privée est rompu en faveur du privé ; et Mona Ozouf développe avec insistance ce thème : la loi Bayrou (qui reprend la proposition Bourg-Broc) crée une situation injuste, car l’enseignement privé est traité à parité avec le public qui a des contraintes beaucoup plus grandes. On voit repris dans une émission qui se veut historique tout l’argumentaire du recours entériné par le Conseil constitutionnel. En tout cas, nulle trace d’anticléricalisme et aucune mise en cause d’un enseignement privé n’anime les manifestants. Affirmer cela, c’est se moquer de nous. Car enfin, le même Figaro qui donne une image si apaisante des manifestants, dont "peu de banderoles ou de chants affichaient un franc anticléricalisme" nous offre dans le même encadré un florilège édifiant : "Pas de fonds pour la calotte", "Vade retro soutanas", "Pas un rond pour les curetons", et un peu plus loin "Tout au laïque, rien aux curés", "Ecole libre = cerveau occupé" (lundi 17 janvier, p. 4). Et si on veut quelques éléments complémentaires on les trouvera dans le numéro du 3 janvier de Force Ouvrière (organe du syndicat de ce nom) intitulé "L’école publique en danger", qui affiche le slogan "Les fonds publics à l’école de la République", présente la loi récemment adoptée comme une "agression" qui tend à effacer les lois de Jules Ferry et "remet en cause tout le rôle de l’école de la République". M. Bayrou ne ferait qu’accomplir l’œuvre entreprise par la loi Debré et les accords Lang-Cloupet ! Et si on veut juger du niveau d’agressivité de ceux qui prétendent que, l’"école publique est en état de légitime défense" - ce qui justifie presque tout, comme chacun sait sauf pour les particuliers effectivement agressés et qui doivent rendre des comptes à une justice si clémente en d’autres cas ! - je renvoie à la bande dessinée (p. 2-2) qui confronte un hypocrite élève de l’école privée "Lang-Cloupet" (sic) et un gentil (mais pauvre) élève du public ! Bien sûr, dans l’immédiat, on ne pouvait rien demander ni obtenir d’autre que le retrait de la loi Bayrou, mais si les circonstances étaient plus favorables on irait beaucoup plus loin. Ce n’est pas une solution juste milieu qu’on désire, mais le règne d’un strict monopole. Ceux qui se faisaient des illusions à ce sujet en sont pour leurs frais. Il y a tout un ensemble d’organisations qui n’ont rien perdu de leur sectarisme, tandis que le camp opposé se décomposait. Expliquer la véhémence dont témoignait cette manifestation par le fait que les défenseurs de l’école publique auraient le sentiment (légitime) qu’on fait un cadeau à l’enseignement privé en leur volant un argent qui leur est indispensable est une explication très courte. Car, enfin, ces manifestants ignoraient-ils que la dépense nouvelle pour aider les établissements privés ne dépassait pas 4 milliards, alors que la part de l’éducation dans les budgets public (État ou collectivités territoriales) est de cent fois supérieure à ce chiffre ? Philippe Némo vient de publier un livre très intéressant (Le Chaos pédagogique, Albin Michel, 1993) qui contient des données chiffrées édifiantes : en quarante ans (depuis 1952, plus exactement) les dépenses en matière d’éducation (estimées en francs constants) ont été multipliées par dix, la durée moyenne de la scolarité étant multipliée par deux. Personne ne peut prétendre que les résultats soient à la mesure de l’effort fourni. En tout cas, il n’est pas possible de soutenir sérieusement que tout est affaire de moyens : l’éducation nationale ne manque aucunement de moyens (même si, ici ou là, on peut constater quelques déficiences). Son incontestable échec vient d’ailleurs : du désordre qui y règne, de la mauvaise définition des objectifs qu’on lui assigne notamment. Il n’y avait donc pas de raison de soupçonner un concurrent avide ! Et, pourtant, ce discours a bien fini par l’emporter au point que le gouvernement a cru apaiser l’opposition qu’il sentait monter en proposant dès la fin décembre une augmentation des crédits attribués à l’enseignement public, notamment pour l’entretien des locaux, les travaux de sécurité, etc. Promesses qui se sont englouties dans un gouffre d’ingratitude. Puis, après la manifestation du 16 janvier, en raison de son succès (pourtant prévisible), voilà M. Bayrou poussé à une série de négociations avec les syndicats pour réexaminer la situation et, pour la nième fois, accordant de nouveaux moyens. Et, malgré la pénurie, on créera quelques paquets de postes nouveaux, dont il n’est pas certain qu’ils correspondent à de vrais besoins et qui ont pour seul avantage réel et certain d’éponger un tout petit peu le chômage. On a oublié les problèmes de liberté de l’enseignement pour retrouver les seuls intérêts de la corporation des enseignants, comme on l’a fait si souvent depuis des décennies. Le mauvais exemple Avoir adopté une attitude si lénifiante après la courageuse décision prise le 14 décembre et le combat de M. Bayrou au Sénat, et persévérer au moment où le Conseil constitutionnel venait par une décision stupéfiante de rendre publics les prétextes qu’il avait trouvés pour invalider la loi, était-ce bien nécessaire, était-ce bien utile ? Il n’était pas question d’amadouer le Conseil constitutionnel, ni les participants à une manifestation qui avait déjà eu lieu, et si on croyait ainsi apaiser ceux qui avaient profité de la manifestation, on se trompait. Ils allaient empocher les bénéfices et formuler de nouvelles demandes, selon leurs habitudes. Il faut être imperméable aux leçons de l’expérience pour ne pas l’avoir prévu. En revanche, le gouvernement avait donné un tel spectacle de faiblesse que ce devenait un jeu pour ses adversaires que de le contraindre sans cesse à la reculade. Et ce n’est pas un hasard si c’est une question relative à la formation de la jeunesse, même si elle ne relève pas au sens strict de la compétence du ministre de l’Education qui permet à tout un chacun de s’amuser à faire perdre la face à M. Balladur. Car, enfin, ce samedi 20 mars, après deux semaines de manifestations violentes, où en sommes-nous et que penser de ces CIP (contrats d’insertion professionnelle) contre lesquels se déchaîne une telle fureur ? L’objectif du projet - faciliter l’embauche de jeunes qui n’ont pas une formation professionnelle suffisante - est incontestable. L’idée de confier aux entreprises elles-mêmes la charge de donner ce complément de formation est parfaitement saine. Il allait de soi qu’il fallait alors, en contrepartie, offrir une compensation financière et casser dans ce cas la rigidité de la barrière du SMIC... Pourquoi faut-il qu’un tel projet ait causé un si prodigieux émoi ? Sans aucun doute, parce que, initialement, il était mal présenté parce que mal conçu. Proposer 80 % du SMIC à des titulaires d’un diplôme de niveau bac + 2 a quelque chose d’insultant, de décourageant aussi ; faut-il entreprendre d’aussi longues études pour si peu d’avantages ? Comment maintenir dans ces conditions la juste hiérarchie des rémunérations ? Et comment assurer le sérieux des études et des examens qui les sanctionnent ? D’ailleurs le simple fait de se référer à ce niveau veut-il dire que c’est désormais le niveau moyen et qu’on est passé si vite de 80 % de bacheliers à 100 % de titulaires du DEUG (ou d’un diplôme équivalent) ? Sur ce point essentiel, le projet a été revu. Mais le mal était fait et chacun devait ergoter sur la justification de cette réduction de 20 % du salaire : le temps de travail (hors formation) devrait être réduit de 20 %, chaque jeune ayant un tuteur, avec cahier de formation, etc. Bref, le recrutement d’un jeune par CIP finira par coûter plus cher aux entreprises que hors contrat ; il créera tant de contraintes qu’il y aura vraisemblablement bien peu de propositions du côté des entreprises. Ceci n’empêchera pas les manifestations violentes de continuer. Les démagogues se sont engouffrés dans la place et des enseignants sans scrupules attiseront le conflit en partie parce que, par sectarisme, ils exploitent toutes les situations défavorables à la majorité en place, en partie parce que dans les CIP qui confient aux entreprises le soin de donner un complément de formation, ils ont vu une atteinte au dogme sacré selon lequel toute formation doit se faire dans le cadre de l’Éducation nationale. En raison d’une maladresse initiale et parce qu’il a donné l’impression d’être constamment sur la défensive, le gouvernement mis en échec par une jeunesse à la fois pitoyable et arrogante, complètement démoralisée (en tous les sens du terme) risque de voir son autorité considérablement affaiblie et sa capacité d’action très limitée, surtout en ce qui concerne les réformes du système éducatif. Et pourtant ceux qui gouvernent actuellement ne sont que partiellement responsables de la situation qu’ils ont trouvée et à laquelle ils essayaient d’apporter un remède dont la portée ne pouvait être que très limitée. Ce sont toutes les forces politiques qui se sont succédé au pouvoir depuis vingt-cinq ans qui ont participé à la prolongation abusive de la scolarité, aux bradages des diplômes, au laxisme systématique dans les cursus scolaires. Tous ont voulu les 80 % de bacheliers. Le processus s’est même accéléré sous les gouvernements socialistes (si on laisse de côté l’action de M. Chevènement). En vingt-cinq ans le nombre des étudiants est passé de trois cent mille à deux millions. Et aujourd’hui on ne sait qu’en faire. Quant aux intéressés, ils découvrent qu’ils ont été payés en monnaie de singe, que leurs diplômes n’ouvraient aucune porte. On comprend leur colère. La présentation du projet avec 80 % du SMIC pour bac+2 était une espèce d’aveu. Il montrait l’effondrement de tout le système éducatif. La crise économique n’a joué qu’un rôle de détonateur. En fait, ce qu’on découvre, c’est l’impossibilité de pratiquer la fuite en avant en prolongeant toujours plus la scolarité, afin de dissimuler les insuffisances de formation ou de contourner les problèmes de l’intégration dans la vie active de ceux qui sortent du système scolaire. Il faut maintenant affronter le problème. Que faire de ceux qui pour leur malheur appartiennent à la génération des "mal appris" ? Il n’y a en réalité aucune solution pleinement satisfaisante mais de simples palliatifs du genre de ce que propose actuellement le gouvernement. Mais, au moins peut-on éviter de multiplier le nombre des victimes de ce monstre qu’est le système éducatif fondé sur les principes du plan Langevin-Wallon. Il faudrait en premier lieu s’attaquer au "collège unique", diversifier dès la sixième parcours de formation et voies ouvertes selon les capacités et le goût de chacun. M. Bayrou qui connaît parfaitement la question à promis de s’atteler à la tâche. Nul ne peut douter que l’entreprise sera particulièrement périlleuse, car elle mettra en question des principes érigés en dogmes et portera atteinte à des situations acquises. Les oppositions seront vives et multiples. L’essentiel ne pourra être fait que lorsqu’on sera sorti de cette situation politique instable que crée le fait de la cohabitation. Mais il faut pourtant aller vite, faute de voir aggravés des problèmes auxquels notre pays est affronté. Le gouvernement qui entreprendra alors cette tâche aura besoin d’une autorité restaurée. Il aura aussi besoin de ne pas voir son action systématiquement dénigrée par les grands médias, faut-il ajouter. Souhaitons de voir bientôt ces jours. Maurice Boudot Tweet |