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Lettre N° 23 - ASSEMBLÉE GENERALE DU 1er FÉVRIER 1989
RAPPORT MORAL Fondée en 1983, pour la défense de la liberté de l’enseignement, et de ce qu’implique cette liberté : l’autonomie de l’enseignement privé, la neutralité de l’enseignement public, la nécessaire diversification des types d’enseignement, notre association a connu, depuis qu’elle existe, deux phases profondément distinctes. La première, qui dure approximativement jusqu’en 1985, est celle où la menace contre l’école libre est imminente, manifeste et grave. C’est la phase d’essor de notre association. Alors, notre action était facile et elle nous a permis de contribuer à cette victoire qu’a constitué le retrait du projet SAVARY, à la suite de la manifestation du 24 juin 1984. La seconde phase, qui dure depuis 1986, est d’une nature toute différente. L’offensive contre l’enseignement privé est achevée ; les menaces qui le visaient se sont estompées ; les autorités de l’enseignement catholique sont satisfaites de l’équilibre instable qu’assure le compromis qui s’est établi et se refusent à poursuivre plus longtemps leur combat. Pendant un intermède de deux ans, de nouvelles forces politiques détiennent le pouvoir gouvernemental. Elles ne peuvent être soupçonnées de la moindre malveillance en ce qui concerne la liberté de l’enseignement. C’est dire que les conditions de notre action ont profondément changé. Nous étions en présence d’un dilemme : l’essentiel ayant été acquis, au moins en apparence, avions-nous encore une raison d’agir et d’exister ? En d’autres termes, le temps n’était-il pas venu de dissoudre l’association ? Je dois dire qu’aucune réponse positive à cette question n’a jamais été préconisée par aucun de nos administrateurs. Des raisons très fortes parlaient contre cette réponse. On ne dissout pas une association créée au milieu des difficultés, surtout quand elle réunit un grand nombre d’adhérents, à moins d’avoir la certitude que sont pleinement atteints et définitivement assurés les buts pour lesquels elle a été créée. Tel n’était pas le cas très manifestement. Cette sage décision - continuer à agir - a été comprise puisqu’une proportion appréciable de nos adhérents ont finalement renouvelé leur cotisation, que leur nombre ne connaît qu’une érosion naturelle, et que nous savons que beaucoup de ceux qui nous ont abandonnés nous rejoindraient de nouveau en cas de crise grave. Mais il est manifeste que dans cette nouvelle phase notre action devait connaître de nouvelles formes, adopter un rythme nouveau, beaucoup plus lent, et c’est ce qui explique la date tardive à laquelle nous tenons cette Assemblée Générale. Il a fallu nous plier à ces circonstances nouvelles qui ne dépendaient pas de nous et qui nous contraignaient, non pas au silence, mais à la prudence et à l’attentisme. Rappelons ce qu’étaient ces circonstances : 1°) Il y a d’abord l’attitude des autorités de l’enseignement libre qui se sont refusé à formuler la moindre critique contre les dispositions simples et pratiques adoptées en 1985 par M. CHEVENEMENT et qui ont clairement manifesté qu’elles tenaient pour provocatrice toute expression de désaccord. Il était difficile de se montrer plus royaliste que le roi. Le résultat, prodigieusement étonnant à la réflexion, est que, peu après 1984, année pendant laquelle la liberté de l’enseignement a été au centre des préoccupations des Français, on a assisté en 1986 et en 1988 à deux campagnes électorales au cours desquelles ce problème n’était pas abordé, si ce n’est de façon tout à fait marginale. Pour notre part, nous ne pouvions plus accorder à la seule question de l’école libre toute la place très prépondérante que nous lui avions initialement accordée ; nous ne pouvions plus inlassablement répéter que les dispositions simples et pratiques devaient être améliorées sur un certain nombre de points précis que nous avions signalés, notamment les textes réglementaires régissant la procédure de nomination des maîtres de l’enseignement privé. Il nous a fallu centrer de façon différente les thèmes de notre action et insister plus sur ce qui concernait la liberté dans l’enseignement public et le respect de sa neutralité. Nous l’avons fait d’autant plus qu’en ce domaine se sont multipliées des offensives qui pour être moins apparentes n’en étaient pas moins sérieuses. 2°) Ensuite est arrivée au pouvoir une nouvelle équipe gouvernementale dont le programme comportait un certain nombre de mesures significatives destinées à mieux assurer la liberté de l’enseignement. Dès le printemps de 1986, nous avons eu la possibilité de rencontrer au plus haut niveau un certain nombre de responsables qui nous ont réservé le meilleur accueil. C’est ainsi que nous avons rencontré M. MONORY, ministre de l’Education Nationale, Madame ALLIOT-MARIE, secrétaire d’Etat, et M. le Recteur DURAND, conseiller du Premier Ministre. Nous leur avons rappelé les engagements pris et nous leur avons dit ce qui nous semblait le plus urgent. L’action qu’ils avaient entreprise fut profondément entravée par trois facteurs : d’abord la limite du pouvoir gouvernemental qu’entraînait la situation dite de cohabitation, ensuite, ce qui résultait de la limite du temps qui leur était imparti, alors que chacun sait qu’en matière d’éducation, il n’y a d’action efficace que sur la longue durée, enfin la gêne constituée par le silence persistant des autorités de l’enseignement libre. Toujours est-il que cette action devait connaître un échec grave sur un problème particulier : l’abrogation de la loi SAVARY relative à l’enseignement supérieur. La question fut trop longtemps différée. Confiée à un ministre indécis, qui devait, après sa démission, avouer sans vergogne son désaccord avec la politique du gouvernement auquel il appartenait, elle fut engagée à un mauvais moment - beaucoup trop tard - dans de mauvaises conditions - sur une proposition de loi équivoque - alors qu’on disposait six mois plus tôt d’un projet de la loi parfaitement satisfaisant déposé par M. FOYER. La déroute du gouvernement de l’époque devant des manifestations auxquelles participaient de nombreux étudiants abusés et dont les organisateurs avaient trouvé dans la réforme de l’enseignement supérieur un prétexte facile pour préparer d’autres offensives, devait avoir des conséquences politiques considérables. Prenant date, nous l’avons écrit à l’époque dans notre lettre d’information. Pour ce qui nous concerne, nous avons noté deux conséquences importantes : d’abord l’abandon de tout projet qui remette en cause le statu quo en matière de politique de l’éducation. Il a fallu à René MONORY une singulière obstination et un remarquable courage pour faire adopter les deux seules mesures importantes qui l’aient été entre 1986 et 1988 : d’une part l’instauration d’un corps de maîtres-directeurs dans l’enseignement primaire, d’autre part l’arrêt du recrutement des P.E.G.C. qui constituaient un corps de professeurs de collèges insuffisamment qualifiés. La première mesure a été très rapidement abrogée par M. JOSPIN ; la seconde risque de l’être dans les faits si les projets qui sont actuellement préparés sont mis en œuvre. Bien plus, on risque bientôt de ne recruter pour les collèges que des professeurs qui seront l’équivalent des P.E.G.C., à ceci près qu’ils recevront une dénomination nouvelle ! Quant aux universités, elles sont aujourd’hui toutes contraintes d’appliquer la loi SAVARY plus de cinq ans après sa promulgation, délai que je crois vraiment exceptionnel dans l’histoire de la République. Et c’est ainsi qu’il ne restera bientôt plus rien, ou presque plus rien, de ce qui avait été fait en matière de politique de l’éducation entre 1986 et 1988. 3°) Enfin, de décembre 1986 date une profonde mutation idéologique, surprenante par sa brutalité. Elle constitue la troisième circonstance qui conditionne désormais notre action, et c’est, de loin, la plus importante. Du jour au lendemain, le thème de la liberté de l’enseignement disparut des média, des discours officiels. Autour de 1984 avaient été publiés une multitude d’ouvrages, d’articles, émanant d’horizons divers mais qui avaient en commun de mettre en évidence le mauvais fonctionnement du système éducatif français. On avait abondamment critiqué son excessive uniformisation et la pédagogie niveleuse. On avait reconnu et montré la nécessité d’une adaptation aux capacités des élèves qui passait nécessairement par certaines formes de sélection M. CHEVENEMENT lui-même avait bâti sa popularité en défendant l’idée exacte que l’école n’est pas d’abord un "lieu de vie" mais qu’elle a pour fonction première la transmission des savoirs. On avait dénoncé les infractions sournoises à la neutralité de l’enseignement public, sa politisation excessive dont témoignaient trop de manuels scolaires. Du jour au lendemain, tout ceci fut oublié. On n’avait plus qu’un souci : reprendre en chœur le slogan des étudiants qui avaient manifesté : "Pas de sélection à l’entrée de l’Université", en le généralisant à la proscription de toute forme de sélection. Les milieux politiques les plus divers furent frappés de cet étrange mal et c’est ainsi qu’on en vint à soutenir qu’il fallait supprimer tout redoublement, éviter toute orientation autoritaire et, en définitive, donner le baccalauréat à tout le monde ! Progressivement, réapparurent tous les thèmes de l’idéologie qui avait fleuri en 1968 et aujourd’hui ceux qui s’étaient illustrés dans la création de cette idéologie réapparaissent, chargés d’importantes fonctions dans la préparation des nouvelles réformes. Tout au plus, cette idéologie qui se veut moderniste est-elle mâtinée de quelques slogans empruntés aux lieux communs du libéralisme. C’est ainsi qu’on parle d’une promotion au mérite des enseignants, mesure dont on comprend facilement qu’elle irrite les intéressés car le mérite en question serait mesuré par leur participation à des activités annexes, jamais par ce qui fait l’essentiel de leur métier ! Dans tout cela, il n’est plus question de liberté de l’enseignement. La prodigieuse machine à oublier que constitue le système des média modernes a parfaitement fonctionné. Tout ce qui avait été pensé, dit, écrit, reconnu comme vrai d’un accord sinon unanime, du moins très largement majoritaire, autour des années 1984, est tombé dans le trou de mémoire. On assiste à un prodigieux phénomène de régression sur le plan idéologique : en 1988, on a le sentiment d’avoir rétrogradé en 1981, comme si aucune idée n’avait été acquise entre-temps. Sur le plan de la démarche politique, l’échec de la tentative d’intégration de l’enseignement privé a vraisemblablement porté ses fruits. Elle ne sera pas récidivée sous une forme brutale. En revanche, sur le plan des idées, on a pu faire disparaître dans le silence de l’oubli tout ce qui semblait avoir été acquis autour de 1984. Dans ces conditions, il nous est facile de déterminer quelle est la plus importante de nos missions, de fixer la ligne directrice de notre action dans la période à venir. Il nous faut lutter contre cet oubli, il nous faut développer et approfondir notre réflexion sur la liberté de l’enseignement, ses modalités d’exercice, ses conditions. Les textes publiés dans notre Lettre sont un élément de cette action. La conférence que M. FOYER nous fait l’honneur de nous présenter sera une contribution importante. Mais comme cette action doit être prolongée et approfondie, comme elle doit recevoir la maximum de publicité, nous vous faisons une autre proposition qui est de créer des prix destinés à couronner des travaux consacrés à la liberté de l’enseignement, qu’il s’agisse de travaux de type universitaire, éventuellement d’ouvrages récemment publiés, ou d’un ensemble d’articles qui seraient l’œuvre d’un journaliste professionnel. Ainsi encouragerons-nous la réflexion sur le problème qui nous préoccupe et qui a motivé la création de notre association. Nul doute que la remise de ces prix donnera du lustre à notre association. Telle est, à notre avis, la forme que peut prendre l’action d’ENSEIGNEMENT ET LIBERTE qui conservera, dans la période qui s’ouvre devant nous, la lucidité et la vigilance dont nous avons essayé de faire preuve jusqu’à maintenant. Maurice BOUDOT Tweet |