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Lettre N°22 - DIEU A L’ECOLE
"Dieu à l’école publique ? 66 % des Français sont pour !" Sous ce titre accrocheur, qui dénotait une excellente maîtrise des techniques médiatiques, le Figaro-Magazine du 1er Octobre1988 (p. 164-7) présentait les résultats d’un sondage de la SOFRES. Les méthodes employées pour recueillir les avis étaient peut-être discutables, mais d’autres enquêtes d’opinion ont donné des résultats convergents ; il n’y a donc pas lieu de les contester. De quoi s’agissait-il ? D’une simple suggestion, présentée avec beaucoup de prudence par le Cardinal LUSTIGER, de donner l’instruction religieuse dans les édifices scolaires, à des moments prévus par l’horaire scolaire, au cas où la révision des rythmes scolaires conduirait à mettre en cause la liberté du mercredi. Il a suffi que par ailleurs le même Cardinal LUSTIGER déplore l’analphabétisme religieux qui nous fait étrangers à notre propre culture, à notre histoire (cf. l’interview accordée au Monde du 5 octobre) pour que s’ouvre l’un de ces débats où les polémiques blessantes, les accusations insidieuses succèdent à la confusion générale. Quelques épisodes Annexes (l’affaire du film de Scorese ou celle de la pilule R.U. 486) aideront à "faire monter la mayonnaise". Et pourtant, considérée sur le plan des principes, l’affaire est très simple et peut facilement être réglée. UNE LIBERTE RECONNUE Rappelons quelques données historiques. La loi Jules Ferry de 1882 prévoit que "les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en dehors du dimanche, afin de permettre aux parents de donner, s’ils le désirent, à leurs enfants une instruction religieuse en dehors des édifices scolaires". Cette disposition concerne naturellement les seules écoles publiques, mais il faut aussi noter qu’elle concerne les seules écoles primaires. L’enseignement secondaire, quant à lui, connaît depuis longtemps une situation différente : l’instruction religieuse, naturellement facultative, y est dispensée dans les locaux scolaires. Cette mesure concernait à l’origine les seuls lycées de garçons ; elle fut étendue aux lycées féminins vers 1960, avant que la mixité soit généralement appliquée. Mais l’instruction religieuse n’y fait pas partie des programmes et elle ne donne naturellement lieu à aucune épreuve d’examen. Faut-il essayer d’obtenir plus, ne pas se satisfaire de ce que certains appellent "l’os du jour de congé", ou se résigner à moins, ou encore chercher autre chose ? A mon avis, il serait insensé de le faire. Une liberté essentielle a été reconnue, sans que pratiquement personne n’ose la mettre en cause de façon franche. Il faut la préserver plutôt que de poursuivre des mirages et rêver, par exemple, d’une extension du régime concordataire propre à l’Alsace-Lorraine. En fait, la question n’aurait pas été posée sans la latitude laissée aux pouvoirs locaux de "réaménager" la semaine de travail scolaire et de substituer le samedi au mercredi. Cette proposition répondait beaucoup plus au souhait des parents (et accessoirement des enseignants) d’allonger les week-ends, aux intérêts des marchands de vacances qu’au souci de l’équilibre physique et psychologique des enfants. Proposer le samedi comme jour de liberté pour l’instruction religieuse, c’était offrir aux Eglises un marché de dupes, quand on sait que le "droit aux vacances" est pour bon nombre de nos compatriotes un droit plus sacré que beaucoup d’autres. Il est parfaitement compréhensible et non moins légitime qu’elles aient repoussé l’offre, même si le dossier était embarrassant à plaider puisqu’il forçait à reconnaître le peu de ferveur d’une partie de leurs fidèles. Ce n’est pas nous qui leur reprocherons la vigueur de leur réaction ; tout au contraire. Fallait-il aller plus loin, prendre en considération d’autres solutions comme celle qui consisterait à intégrer dans les horaires scolaires un enseignement religieux dispensé dans les locaux des écoles primaires ? Même si les Français y sont favorables et si les objections de principe à cette mesure sont assez fragiles, il est assez dangereux de s’engager bien loin sur cette voie. On prête inutilement le flanc à l’accusation de ne pas faire le partage très clair entre "ce qui relève de la compétence de l’école et ce qui relève de chaque individu", comme l’a dit M. SIMBRON, au nom de la F.E.N. (article déjà cité du Figaro-Magazine.). On risque aussi de multiplier d’inutiles frictions. D’ailleurs, le Cardinal LUSTIGER a été prudent : rappelant en quelque sorte qu’il n’était pas demandeur dans cette affaire, il s’est contenté d’affirmer que d’autres solutions pourraient être prises en considération si toutes les parties prenantes s’accordaient sur elles. C’était peut-être déjà trop en dire pour certains accusateurs vétilleux ! En tout cas, il n’a nullement demandé que la catéchèse soit intégrée dans les programmes scolaires (ce que refuse également de la façon la plus claire le Pasteur MONSARRAT), encore moins que l’instruction religieuse donne lieu "à des appréciations sur le livret scolaire, à des points aux examens de fin d’année", à la différence du Grand Rabbin SITRUK. L’ANALPHABETISME RELIGIEUX Il n’y avait pas motif à soulever une tempête à propos d’une question réglée depuis longtemps. Ce qui a relancé le débat, ce sont les considérations du Cardinal sur le caractère alarmant de la chute de la culture religieuse des jeunes, ce qui soulève une question entièrement distincte de la précédente, encore qu’on ait tout fait pour entretenir la confusion dans l’opinion publique. Les faits, tout d’abord. Il est incontestable que la jeunesse contemporaine manifeste dans notre société une stupéfiante ignorance non seulement du contenu des grandes religions qui nous sont les plus proches, mais aussi du rôle qu’elles ont pu jouer dans notre histoire, dans notre culture. Le Monde (en date du 10 novembre) pouvait intituler "l’analphabétisme religieux" un article qui apportait de nombreux éléments d’appréciation. Ni l’art, ni la littérature, ni l’histoire, ni la philosophie ne sont compréhensibles à des esprits ainsi mutilés. Tout ceux qui enseignent ont constaté le phénomène. Je sais d’expérience que certains textes de philosophie classique peuvent présenter des difficultés d’explication pour des étudiants qui ne saisissent pas les allusions aux débats religieux qu’ils contiennent. Et je ne parle pas de subtilités théologiques. Bientôt, on se sentira obligé de rappeler aux débutants que si Descartes s’efforce de démontrer l’immortalité de l’âme, c’est qu’elle constitue un dogme fondamental du christianisme. Nulle intelligence des guerres de religion, si on ignore tout de la Réforme, et comment parler de celle-ci lorsqu’on n’a aucune connaissance des différends portant sur l’organisation de l’Eglise ou sur les questions dogmatiques ? Comment comprendre Pascal sans savoir ce qu’on entend par la grâce ? Et Voltaire lui-même n’est intelligible que lorsqu’on sait ce que sont les religions révélées qu’il combat. Il est à redouter qu’au moment où on commémorera le bicentenaire de la Révolution, beaucoup de jeunes Français ne disposent pas des éléments nécessaires pour comprendre l’émoi suscité par la Constitution Civile du Clergé. A quoi attribuer cette déculturation en matière religieuse ? Mettre en accusation les programmes ou ceux qui les appliquent, c’est-à-dire les maîtres, qui par laïcisme voudraient dissimuler ou minimiser l’importance du phénomène religieux est très sommaire. Après tout, à une époque où le laïcisme souvent chargé d’anticléricalisme était plus actif qu’aujourd’hui, l’école primaire publique parlait du baptême de Clovis, des croisades ou des guerres de religion ; on peut dire qu’elle en parlait peu ou que le discours tenu manquait souvent d’équité ; on ne peut soutenir qu’il n’existait pas. Les vraies causes sont ailleurs. Il y a d’abord la décision d’accorder la priorité dans l’enseignement aux questions d’actualité et de ne pas le centrer sur le monde européen. Sous prétexte d’impartialité, on finira par consacrer autant de temps à la civilisation chinoise qu’à la nôtre ; sous prétexte d’adapter au monde contemporain, on laisse tout le passé dans l’oubli. L’enseignement d’une histoire thématique, qui néglige les repères chronologiques et fait comme si l’essentiel commençait en 1789 a exercé des effets dévastateurs. Il est formateur d’individus déracinés, sans mémoire, sans histoire, égarés sur une immense planète où ils ne savent plus repérer la place qui leur a été naturellement préparée par la civilisation à laquelle ils appartiennent. Cet enseignement ne pouvait prédisposer à la culture religieuse du simple fait que les religions sont faites de traditions et qu’au moins dans la civilisation occidentale leur influence a fortement décru à l’époque contemporaine : on traite difficilement d’histoire du 19ème siècle sans parler des questions religieuses, mais s’il s’agit d’histoire du Moyen-Age il n’est pas du tout question d’en traiter. Ce facteur a joué un rôle essentiel dans une déculturation dont il y a lieu de noter qu’elle ne concerne pas la religion de façon exclusive ou prioritaire. On serait stupéfait de constater les erreurs ou les ignorances des étudiants bacheliers lorsqu’on les interroge sur les données les plus rudimentaires relatives aux connaissances scientifiques des générations passées. C’est la faillite de toute une conception de l’enseignement qui se manifeste ici sous un aspect particulier. Mais il y a aussi dans ce cas des facteurs d’un tout autre ordre qui ont exercé une influence considérable. C’est d’abord la chute très rapide de la pratique religieuse, du nombre des vocations sacerdotales et de la qualité intellectuelle du clergé. Il va sans dire que même si on ne la pratique pas, une religion sera d’autant mieux connue et d’autant mieux compréhensible qu’elle sera pratiquée par une fraction plus importante de ceux qu’on côtoie. Ensuite, il y a la crise de la catéchèse, ce qu’il faut bien appeler son déplorable état. Je sais bien que l’instruction religieuse n’est pas la culture religieuse, mais le mauvais état de la première peut constituer une circonstance défavorable à la diffusion de la seconde. Je ne suis pas certain que les élèves issus de l’école libre ne manifestent pas, eux aussi, quoique naturellement à un moindre degré, de regrettables défaillances de leur culture religieuse. Il faut donc reconnaître que les autorités ecclésiastiques ont une lourde part de responsabilité dans le phénomène qu’elles déplorent aujourd’hui. L’HISTOIRE DES RELIGIONS Au milieu de ce débat a surgi, on ne sait trop d’où, l’étrange proposition d’introduire dans les programmes des collèges et lycées publics un enseignement spécifique d’histoire des religions. Passons sur ce qu’il y a de déraisonnable à proposer, chaque fois qu’une lacune est constatée, l’introduction d’une nouvelle discipline (pourquoi pas l’histoire des sciences, la logique ou la linguistique, à leur tour ?) quitte à déplorer le lendemain la surcharge des programmes, et considérons l’opinion des Français au sujet de cette proposition, telle qu’elle apparaît dans un sondage de la SOFRES, rapporté par Le Monde (numéro déjà cité). Ils lui sont très nettement favorables, encore qu’ils n’éprouvent pas leur propre inculture religieuse puisqu’il s’en trouve une nette majorité pour soutenir qu’ils sont rarement gênés pour apprécier un monument en raison de leur inculture religieuse. (J’aimerais bien qu’on complète l’enquête en les interrogeant sur les scènes de l’Ecriture qu’ils ont reconnues s’ils ont eu la chance d’admirer les mosaïques de Monreale !) Quant au contenu de cet enseignement, aussi généreusement qu’imprudemment, ils souhaitent majoritairement qu’il ne se limite pas à l’histoire du catholicisme, ni même aux religions existant en France, mais qu’il s’étende à toutes les "grandes (?) religions du monde" dont on aurait à comparer "les ressemblances et les différences". Ils semblent inconscients du caractère démesuré de leur ambition. Visiblement, ce bel œcuménisme prolonge pour eux la réunion d’Assise. C’est lorsqu’on en vient aux buts visés à travers cet enseignement qu’il y a lieu de s’inquiéter. Il est normal que très peu songent à "favoriser (ainsi) la croyance religieuse" (6 % seulement). Mais aussi améliorer sa culture générale ou mieux connaître ses racines constituent des objectifs moins visés que les fonctions proprement morales de l’enseignement de l’histoire des religions. Viennent en tête (à égalité) le développement du "sens des valeurs morales (honnêteté, fidélité, etc)" et le fait qu’en apprenant à "comprendre d’autres religions, les jeunes seront plus tolérants". Double erreur. Si la religion peut fonder une morale, et même selon beaucoup de penseurs si elle constitue son unique fondement possible, je ne pense pas que beaucoup de croyants des différents cultes acceptent de la voir réduite à la simple fonction de "postulat de la raison pratique", pour parler comme KANT. Quant à la tolérance, qui est un principe éminemment respectable qui doit régir les relations inter-personnelles et la vie politique, elle résulte d’un choix délibéré et non de la simple connaissance des religions. Il y a peut-être un fond commun, mais aussi des différences entre elles, tant dans les dogmes que dans les modalités des cultes, dans les rites et même dans ce qu’elles prescrivent comme conduite digne d’être louée. Si l’on excepte le cas du polythéisme ancien, naturellement intégrateur et qui du coup accusait les chrétiens d’intolérance parce qu’ils ne se contentaient pas de voir leur Dieu accueilli comme Dieu de la Cité, comme un parmi d’autres, les monothéismes se sont constitués très normalement, sinon comme intolérants - ce qui est une page tragique de leur histoire - du moins comme exclusifs. M. GAUSSEN (dans le numéro du Monde déjà cité) se félicite de voir les jeunes générations "pionnières d’une "nouvelle laïcité" faite davantage d’intégration que d’exclusion, de culture que de croyance". C’est avouer sans ambages que la culture religieuse telle que certains la conçoivent doit faire le lit de l’incrédulité. Heureusement les ministres des différents cultes ont été beaucoup plus prudents, à l’exception du recteur de la Mosquée de Paris qui rêve d’un enseignement "pluri-religieux" qui serait comme un lotissement de l’enseignement de l’histoire des religions entre les différents cultes. Concluons. Accorder une plus grande attention au phénomène religieux dans les programmes des diverses disciplines ? Oui, sans doute. Un enseignement spécifique de l’histoire des religions ? Non. Je crains que si Dieu déserte les lieux du culte qui lui sont consacrés et qui, au moins pour les Eglises, ne sont pas surencombrés, pour franchir le seuil de l’Ecole, il ne s’y retrouve comme un petit écolier auquel on essayera d’enseigner quelque vague culte robespierrien de l’Etre suprême. Maurice BOUDOT
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