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Lettre N° 58 - 4ème trimestre 1997
LA VIOLENCE EN MILIEU SCOLAIRE LA VIOLENCE EN MILIEU SCOLAIRE Le gouvernement vient de présenter, le 5 novembre, son plan de lutte contre la violence (32 pages constituées par le texte lui-même et deux annexes, auxquelles il faut adjoindre un appendice constitué par un article de 10 pages). On ne peut dire que la décision de donner une priorité à la lutte contre la violence soit une originalité. Depuis des années, pratiquement chaque ministre a publié son propre plan, avec l’inefficacité que l’on sait. Le nouveau plan aura-t-il le même sort ? En restera-t-on au niveau des intentions, non suivies d’application, ou les mettra-t-on en œuvre ? Les remèdes préconisés sont-ils susceptibles d’être efficaces ? A-t-on les moyens nécessaires pour appliquer ces décisions ? Pour résumer mon opinion, je dirai qu’il y a quelques éléments positifs, dont la présence est étonnante quand on sait ce plan l’œuvre d’un gouvernement socialiste qui, comme on le verra, est conduit à renier certains de ses dogmes et à proposer des méthodes que la gauche avait en abomination, il y a peu de temps. Mais je pense que pour l’essentiel les méthodes sont illusoires et que les résultats qu’obtiendra Mme Royal, chargée du dossier, seront très décevants. Quant au diagnostic du phénomène, il est très simple, mais me semble suffisant pour le but qu’on vise : la formulation d’un plan de lutte. Ce diagnostic se fonde sur une enquête réalisée au début de l’année par la direction des lycées et collèges à l’initiative de M. Bayrou. On demandait simplement aux chefs d’établissement d’apprécier le degré de gravité et la nature des phénomènes de violence dont la communauté de leur établissement se sent victime. Enquête qui discrimine les phénomènes selon des critères assez subjectifs, mais qui fournit des résultats significatifs : à peu près la moitié des établissements sont le lieu de faits de violence, et si, par exemple, en collège un événement sur 64 provoque un conseil de discipline, un sur 44 provoque un signalement au procureur de la République ! Le rapprochement de ces deux proportions est stupéfiant. Il laisse à penser qu’on renonce à faire passer en conseil de discipline des cas qu’on signale au Procureur. Les enseignants hésiteraient-ils à sanctionner eux-mêmes, seraient-ils prompts à confier à d’autres corps cette corvée ? (p. 3 à 5 du plan) Quant aux causes de la violence, elles donnent lieu à une analyse très rapide. On note qu’elles sont "multiples et souvent imbriquées (mutation sociale des quartiers, aggravation de la situation économique, déstructuration de la famille et du lien social, perte des repères)". Est-ce par correction politique qu’on ne cite pas la présence d’une proportion considérable d’élèves issus de l’immigration - j’en donnerai un exemple précis d’ici la fin de cet article - ou parce que ce fait peut se ranger sous certaines rubriques précédentes ? Je crois que c’était une pudeur inutile. Enfin, je donnerai comme cause autonome, tout à fait oubliée, l’imposition d’une scolarité trop longue à un type d’élèves qui par tempérament n’ont pas d’intérêt scolaire, et qui, écœurés par l’école, sont conduits à une espèce de rébellion. Venons-en au principe fondateur de la méthode de lutte. Il consiste à concentrer tous les moyens dont on dispose sur un ensemble de "sites" constitués par les zones dans lesquelles la violence scolaire est particulièrement inquiétante, comme l’agglomération lilloise ou la Seine Saint-Denis, soit au total 412 établissements secondaires représentant 278 000 élèves approximativement (et 412 000 élèves dans le primaire). Ces sites sont présentés dans des cartes agréablement coloriées. L’objectif qu’on se donne est "d’apporter une réponse" à tout acte de violence dans ces établissements. Mais qu’entendre par là : secourir toutes les victimes, certes, mais sanctionnera-t-on aussi tous les coupables ? Je n’ai rien contre la concentration des moyens sur les sites privilégiés. Je note seulement qu’ils sont définis un peu restrictivement (par exemple, rien sur la banlieue de Rouen...) et qu’ils ne représentent guère plus de 5 % de l’ensemble des établissements de ce niveau. Or, pour les seules zones privilégiées, en plus de dotations de postes de titulaires (conseillers d’éducation ou infirmiers !), on prévoit l’essentiel des 10 000 emplois-jeunes recrutés comme assistants à la vie scolaire et une partie des 30 000 aides éducateurs recrutés pour l’enseignement primaire. Sans exagérer, si on voulait étendre le système à toute la France, même en tenant compte du fait que les zones non sensibles ne demanderont que des moyens nettement moindres, c’est à peu près 100 000 emplois de ce type qui seraient nécessaires ! On dira que ce n’est pas trop cher pour la sécurité, car bien entendu la charge budgétaire sera énorme. Mais le problème qui se pose est de savoir ce que feront ces jeunes recrutés sans formation particulière bien sérieuse : ils amélioreront "la surveillance des sorties, des cours de récréation"... on compte sur leur présence massive et leur qualité (p. 12). J’avoue que je suis un peu sceptique : on peut redouter qu’ils aient le sort de ces "agents d’ambiance" qui ont été eux-mêmes, en région lilloise, victimes d’agressions que leur présence devait prévenir ! Je crains de plus que leur jeunesse ne les rende plus vulnérables et qu’éventuellement elle facilite une espèce de connivence entre eux et ceux qu’ils doivent surveiller. A tout compte faire, j’aurais préféré qu’on restaure le système des pions, ces fameux surveillants d’internat, progressivement supprimés dans un passé récent (sous prétexte qu’on pouvait faire confiance à l’autodiscipline), mieux intégrés dans la vie scolaire, parce qu’eux-mêmes étudiants, ils se destinaient à l’enseignement (condition que n’ont pas à remplir les jeunes employés). Toujours est-il qu’un point positif consiste en ce qu’on a progressivement pris conscience du fait que la prévention n’est pas la panacée et qu’en certains cas la répression est nécessaire. Je trouve même que le passage à l’intervention de la justice pénale est un peu rapide et que les réformes de la législation pénale sont assez inutiles car, pour l’essentiel, les textes existent, et que le seul problème est de les appliquer. On ne peut que saluer cette conversion présentée comme une innovation (p. 11) : "une nouvelle attitude : refuser l’impunité" (c’est moi qui souligne). De même, je ne peux que me féliciter de voir écrit qu’"il faut accueillir temporairement hors de leurs établissements les jeunes qui perturbent gravement la vie scolaire". Et il est précisé (toujours p. 11 et 12) "pour certains jeunes, qu’ils soient de véritables délinquants ou qu’ils rejettent totalement l’institution scolaire, l’exclusion temporaire ne règle rien. Un grand nombre d’entre eux sont renvoyés d’établissement en établissement". Et l’on ajoute qu’il faudra développer des structures permettant de les accueillir en coopération avec les services de la protection judiciaire de la jeunesse. "L’éducation nationale engagera une réflexion pour créer des internats associés à certains établissements difficiles". Mais une fois reconnue l’importance de cette évolution positive probablement due à la pression des faits et notamment à l’aggravation de la délinquance des mineurs qui est incessamment signalée par les médias, il faut reconnaître qu’on accorde un peu trop de crédit à des expériences laissant la plus grande place à "la gestion collective (par la classe) des conflits, aux commissions de médiation professeur-élèves" (sic) (p. 19-20) Toutes les expériences soixante-huitardes sont reçues avec un sérieux déconcertant qui montre que c’est à regret qu’on s’est engagé dans des remèdes qui relèvent de la répression classique. D’ailleurs, on diffère en quelque sorte l’application des remèdes énergiques en multipliant des initiatives qui consistent à créer de nouvelles institutions genre "observatoires de la violence" et en commanditant une multitude d’études confiées à des groupes de spécialistes des sciences humaines. A-t-on donc tellement besoin de la caution d’hommes de science (ou prétendus tels) pour agir, puisqu’on sait quels principes doivent régler l’action ? Mais ce qui est encore plus déconcertant c’est la confiance assez naïve mise par les ministres en général et par Mme Royal en particulier en la vertu de ce qu’elle nomme par les expressions "éducation civique" ou "morale civique" ou "apprentissage de la citoyenneté", expressions visiblement tenues pour interchangeables alors qu’elles devraient discerner des choses différentes. Ce flottement du langage trahit en fait une certaine confusion de pensée. Lorsque Mme Royal, lançant ce qu’elle nomme "la semaine des initiatives citoyennes", utilisant cet étrange jargon où "citoyen" est surtout utilisé adjectivement, soutient qu’"apprendre la citoyenneté c’est apprendre à vivre ensemble dans les écoles, organiser le savoir-vivre", elle parle de "citoyenneté" où il s’agit de "civilité". Lorsque les enseignants vont saluer les élèves à la porte de l’établissement, alors qu’on attendrait que les rôles soient inversés, (initiative saluée par le ministre), il s’agit encore de "civilité" simplement. Et c’est, certes, par là qu’on doit commencer. Mais il faut distinguer cette pratique de ce qu’on nomme l’"instruction civique" qui est, pour l’essentiel, un apprentissage d’ordre intellectuel des mécanismes de la société dans laquelle nous vivons. Instruction qu’il faut d’ailleurs distinguer de l’éducation civique (ou éducation à la citoyenneté), dont le but n’est pas un simple apprentissage d’ordre intellectuel mais l’encouragement à la pratique des vertus propres au bon citoyen. Or toutes ces formes d’enseignement, qu’on entend développer à tous les niveaux, restent très mal distinguées. Qu’est-ce que désigne cette "éducation à la citoyenneté", qui en première des lycées prend le relais de l’instruction civique ? Lorsqu’on nous annonce que l’instruction civique fera l’objet d’épreuves d’examen au brevet, et de même qu’il y aura une épreuve de morale civique au concours d’entrée à l’I.U.F.M., on peut s’interroger. S’il s’agit d’instruction civique proprement dite, la place qui lui est accordée est excessive ; s’il s’agit d’éducation à la civilité, il est manifeste que l’essentiel doit être fait dans les classes élémentaires et ne prête pas à un examen. L’école de Jules Ferry, d’autant plus scrupuleuse en matière de neutralité qu’elle était la cible d’un certain nombre d’attaques sur ce point, voulait éviter de subir le reproche d’avoir substitué au catéchisme traditionnel un "catéchisme républicain" et de juger les élèves selon leurs opinions, avait pris une mesure d’une grande sagesse : on avait décidé que l’éducation morale ou l’instruction civique ne pouvaient en aucun cas faire l’objet d’une épreuve d’examen. Ce n’était pas rabaisser ces enseignements mais au contraire montrer ce qu’il y a de spécifique en eux, puisque l’essentiel, disait-on, ne se situait pas sur le plan des connaissances mais des comportements que déterminent les enseignements. On aimerait que la règle soit appliquée si on veut éviter que, sous prétexte d’éducation à la citoyenneté, on ne voie surgir une épreuve de "correction politique". Il semble qu’on n’éprouve plus de nos jours les scrupules qui étaient ceux des "hussards de la république". J’ai lu avec étonnement dans le Figaro du samedi 29 novembre (p. 25) un article intitulé : "Tolérance : la leçon du préfet. Philippe Massoni a donné un cours de civisme à des collégiens du 19è arrondissement". Nous apprenons qu’au collège Georges-Méliès 90 % des élèves sont d’origine étrangère (mais à quoi vont-ils s’intégrer s’ils constituent une si écrasante majorité ? Quels seront leurs repères s’ils sont de 30 nationalités différentes ?) et que la lutte contre toute forme d’intolérance est au centre des préoccupations. C’est pourquoi ce collège était choisi pour que s’y tienne la séance d’une cellule de lutte contre le racisme, la xénophobie (mais de qui viendrait-elle dans ce collège ?). C’est à l’occasion de cette réunion que le préfet a donné sa "leçon de Morale". Qu’entendre par là ? Je ne sais pas mieux que ce que j’en dis ; mais il est certain que s’instaure ainsi une redoutable confusion entre l’autorité politique que représente le préfet et la fonction propre au corps enseignant. En d’autres temps, le fait qu’un préfet "fasse la leçon" aux élèves aurait paru une immixtion scandaleuse du pouvoir politique dans le territoire propre à l’école. A multiplier les "actions", comme on dit, de prêche d’un humanisme laïc, voilà ce qu’on risque. On finira par lui conférer l’aspect d’une doctrine officielle. La pensée unique en sera renforcée et la correction politique imposée à tous les élèves. Sait-on bien où conduit inévitablement ce type de démarche ? En tout cas, certainement pas à rendre plus efficace la lutte contre la violence. Mieux eut valu que Mme Royal s’abstienne de défigurer son plan qui contenait quelques initiatives heureuses et d’intéressantes conversions par des adjonctions qui, dans la meilleure des hypothèses, n’ajoutent rien de positif, dans la pire portent le germe d’un régime qui dominerait les esprits de façon tyrannique. Maurice Boudot LA LIBERTE D’OPINION DE L’ENSEIGNANT Il fut un temps où M. Toubon projetait de renforcer la législation antiraciste parce que notamment, disait-il, elle laissait échapper aux poursuites certaines des activités des enseignants. Le projet avait déjà soulevé un tollé par son caractère attentatoire à la liberté d’opinion quand M. Toubon, qui n’avait pas eu le temps de présenter son projet au Parlement, fut remercié par ses électeurs. Mais de quoi s’agissait-il donc ? Il suffit de lire la triste histoire de M. Seurot, professeur d’histoire dans un collège privé exclu à vie de l’enseignement (public ou privé sous contrat) sous le prétexte qu’il aurait tenu dans le journal de l’école des propos qui incitent à la haine raciale. Cette histoire nous était rapportée dans le Figaro du 25 novembre par un article de Gérard Marin (publié en p. 2, généralement la plus décapante du quotidien). Il apparaît qu’il a suffi que M. Seurot dénonçât, d’ailleurs hors de son enseignement, stricto sensu, "l’irruption jusque dans les plus reculés de nos cantons de hordes musulmanes inassimilables", parle de 5 millions d’émigrés musulmans, fasse une allusion "aux sales gamines arrogantes" pour qu’il écope de la plus sévère des sanctions administratives. Et comme si ceci ne suffisait pas, Licra, Ligue des droits de l’homme, et Mrap poursuivent au pénal et s’en prennent à ceux qui défendent M. Seurot. C’est le cas d’un membre de la Licra, (trois jours plus tard, même publication, même lieu), qui tempête car il tient pour scandaleux qu’un enseignant puisse tenir certains types d’élèves pour inassimilables, oubliant que la place naturelle d’un musulman (ou plutôt d’une musulmane voilée, car M. Seurot a fait allusion au voile) ne devrait pas être un collège catholique, car on ne voit pas comment il pourrait adhérer au projet propre à l’établissement, même si la loi Debré oblige tout établissement privé sous contrat à accueillir les élèves sans discrimination religieuse. Mais abandonnons le prolongement légal, concentrons-nous sur la procédure disciplinaire. Je veux noter deux points :
De toute façon, ces autorités étaient libres de s’exprimer même après que la sanction disciplinaire fut tombée. Je demande donc à Mgr Coloni, évêque de Dijon, qui se trouve être par ailleurs le responsable épiscopal de l’enseignement, quelle est sa position et quelle fut son action ? Décidément, je pense que M. Toubon avait tort de redouter que les enseignants abusent impunément de la liberté d’expression qui leur serait laissée. P.S. Les épreuves de cet article étaient déjà composées, lorsque j’apprends que M. Seurot a été acquitté par le tribunal correctionnel de Dijon, juge en première instance. M.B. Les remous soulevés par la réforme du mode de recrutement des enseignants des universités peuvent sembler soit une méchante querelle soulevée par les adversaires de M. Allègre, soit une question si technique que beaucoup réservent leur jugement, supposant que la technicité de la question impose que la détermination du bon choix soit réservée aux seuls spécialistes. Pourtant, si on veut bien évacuer des aspects non pas secondaires, mais moins importants que d’autres, le problème est assez simple, dès lors qu’on dispose de quelques données sur la situation actuelle. Pour certaines disciplines, comme le droit et les sciences économiques, le recrutement des postes les plus importants (ceux de professeur) se fait par un concours national entre candidats dûment qualifiés. En ce cas, la réforme consiste à multiplier les modes de recrutement parallèles, qui ne se fondent pas sur des qualités uniquement scientifiques ou pédagogiques et qui sont naturellement destinés à des candidats qui auront échoué au concours d’agrégation. Je suis bien d’accord avec ceux qui protestent contre cet aspect de la réforme du mode de recrutement. Mais, eu égard à une certaine technicité du problème, je ne développerai pas plus les critiques qui consistent à dénoncer le vieillissement du corps qu’entraînera inéluctablement la réforme. L’autre point, beaucoup moins technique, concerne l’ensemble des disciplines et tous les recrutements, abstraction faite du niveau des postes, qu’il s’agisse de professeur ou de maître de conférences. Il faut rappeler que les enseignants des universités se désignent par cooptation. Précisons : s’il s’agit de nommer un professeur d’histoire ou un maître de conférences de philosophie, ce sont respectivement les autres professeurs d’histoire ou les maîtres de conférences de philosophie, auxquels se joignent les professeurs (considérés comme de grade supérieur) qui en décident. Le principe est simple : chaque discipline est autonome vis-à-vis des autres, et chacun ne choisit ou ne juge jamais ses supérieurs, mais ses égaux ou les collègues de rang inférieur. Mais pour choisir un professeur d’histoire, par exemple, quels sont les professeurs d’histoire qui en décident ? Ici est mise en jeu l’action de deux instances, les unes "nationales" (un comité élu partiellement par tous les professeurs d’histoire de France, et dans une assez faible proportion nommé par le ministre), les autres "locales", propres donc à chaque université : les "commissions de spécialistes" constituées par l’ensemble des professeurs de la discipline ou élues par cet ensemble. Je passe sur la complexité du mécanisme qui exige en quelque sorte l’accord de ces deux instances pour que la nomination soit acquise. J’ai voulu faire aussi simple que possible, quitte à présenter des approximations qui, en toute rigueur, sont fausses. Mais ce qu’il importe de comprendre, c’est le rôle de ces commissions de spécialistes locales à travers lesquelles, par exemple, ce sont tous les philosophes d’une université qui choisissent le collègue qui succédera à l’un d’entre eux parti à la retraite. Tout le monde comprendra alors l’essentiel du dispositif qui assure l’indépendance des universitaires. Mais précisément c’est à cela que M. Allègre entend mettre un terme. Il propose simplement d’adjoindre à ces commissions des membres choisis par le ministre (ou le recteur qui en est le simple représentant) dans la proportion de 40 %. Avec 40 % on fait facilement une majorité... Autant dire que les prétendues commissions de spécialistes seront de fidèles exécutrices des volontés ministérielles. Seule la pudeur a dû préserver de dire carrément : le ministre choisit selon son bon vouloir les enseignants des universités. L’Académie des sciences morales et politiques, réunie en comité secret le 13 octobre 1997, ne s’y est pas trompée. Dans ses observations sévères elle note tout particulièrement que "les commissions de spécialistes destinées dans chaque discipline à se prononcer sur le recrutement et la carrière des professeurs et maîtres de conférences sont traditionnellement composées de tous les professeurs et de maîtres de conférences élus par leurs pairs. Y faire figurer 40 % de membres nommés par le ministre ou le recteur serait rompre avec cette tradition et porter atteinte à l’indépendance des universités telle quelle a été consacrée par le conseil constitutionnel en 1984 et aux principes démocratiques". Il semble que, soucieux d’éviter un tollé général, M. Allègre ait un peu atténué ses projets, mais dans la longue interview qu’il donne au Figaro et dont la seconde partie a été publiée le 4 décembre, il se vante d’avoir fait approuver la veille par le Conseil des ministres la mouture définitive de son projet, dont j’ignore la forme précise qu’il aura reçue dans sa dernière version. J’ose espérer que cet article permettra à tout lecteur, serait-il parfaitement ignorant des us et coutumes des universités, de juger par lui-même de la méthode employée par M. Allègre pour mettre au pas les universités, en leur arrachant ce qui est essentiel à leur indépendance. M.B. LE CHOIX DE L’ECOLE : UNE QUESTION D’ACTUALITE La lettre d’information de l’OIDEL (Organisation internationale pour le développement de la liberté d’enseignement) dans son numéro 19, daté de février 1997, montre clairement que le problème du choix de l’école par les familles, des mécanismes qui le facilitent, des conséquences qui en résultent, est d’actualité. Cet ensemble de questions se pose en des termes voisins, mais non absolument identiques, dans toutes les démocraties techniquement avancées ; les termes ne sont pas absolument identiques, car personne ne peut faire totalement abstraction de la situation dont on parle, laquelle est variable d’un pays à l’autre. Faute de pouvoir parler de tout, je me limiterai à présenter la problématique du premier exemple cité, extrêmement intéressant en ce qu’il présente le système du bon scolaire comme un moyen de financement de l’enseignement privé. Ce premier texte est un article publié le 18 novembre 1996 (très peu de jours après notre colloque tenu en commun avec l’OIDEL et le centre Luigi Einaudi, dans Business Week et signé du nom prestigieux de Gary Becker, prix Nobel d’Économie. Gary Becker revient sur le débat qui avait opposé peu de temps avant Clinton et Dole, qui l’un et l’autre reconnaissaient que l’école publique échoue à fournir l’éducation nécessaire aux enfants des milieux défavorisés ou des classes moyennes, mais divergeaient sur les moyens de porter remède à cette situation. Alors que Dole propose d’instaurer le système du chèque scolaire, qui est remis par la famille à l’école de son choix, Clinton s’y oppose parce qu’il redoute que la plus grande compétition entre public et privé qu’instaurera automatiquement ce système des chèques scolaires n’affaiblisse encore l’école publique. Remarquons que ce qui est en cause ici, ce sont les seuls enseignements primaire et secondaire, et non l’enseignement supérieur, dans lequel la concurrence joue à fond et pour lequel personne aux États-Unis ne propose de renforcer l’intervention des autorités politiques. On se croirait presque dans le débat propre à notre pays lorsqu’il est question du statut de l’enseignement privé, à ceci près que l’argumentation de Clinton, porte-parole de la gauche en la matière, n’a rien d’idéologique : il ne répond pas à Dole par quelque "aux écoles publiques, les fonds publics", mais en soutenant que la concurrence affaiblirait encore un enseignement public dont les performances sont déjà insuffisantes. Il arrive qu’on précise l’argument en disant que, si aucune raison économique ne détournait de l’enseignement privé, celui-ci obtiendrait "le dessus du panier" tandis que "les établissements publics n’auraient que des élèves indociles sans intérêt pour l’école ou mentalement handicapés", et qu’ils s’effondreraient. La réponse de Gary Becker consiste à montrer que l’argument repose sur un présupposé, à savoir que l’enseignement public soumis à la concurrence serait incapable de se réformer, alors que ses faibles résultais sont dus non à l’insuffisance de ses crédits (les dépenses par élève ont doublé en trente ans), apprend-on, mais à son impossibilité de se réformer et de répondre aux familles qui veulent des programmes cohérents et suffisamment de discipline. C’est un préjugé que de croire que les établissements publics ne peuvent supporter la concurrence. Comme tous les autres ils seraient aptes à en bénéficier et à améliorer leurs performances. Cette réplique fondée en partie sur un raisonnement a priori peut être confirmée par des données factuelles : dans les régions où la concurrence s’intensifie (parce que le réseau des établissements privés y est plus dense), les établissements publics tirent bénéfice de la concurrence et s’améliorent ; le secteur universitaire des États-Unis, qui est le plus soumis à la concurrence, est celui qui a fait la réputation du système éducatif américain. On sait que les droits d’inscription sont très élevés et variables d’une université à l’autre. C’est lorsqu’un système de bourses accordées aux vétérans de la Seconde Guerre par le "G.I. Bill", bourses qu’ils pouvaient utiliser dans l’institution de leur choix, a été instauré que les universités en compétition pour recruter cette masse d’étudiants potentiels ont vu leur niveau de performance s’élever. Or, on a ici, conclut Becker, un équivalent du système du chèque-éducation. La preuve est donc faite qu’il conduit tous les établissements à rivaliser pour obtenir de meilleures performances. Tweet |