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Lettre N° 71 - 1er trimestre 2001
ASSEMBLÉE GENERALE DU 16 JANVIER ASSEMBLÉE GENERALE DU 16 JANVIER Ouverture de l’assemblée par M. Roland Drago, membre de l’Institut Mesdames, messieurs, en tant que vice-président de l’association, j’ai assuré la transition en l’absence de M. Boudot et je voudrais avant tout dire que sa santé est meilleure, que l’on espère qu’il se rétablira ; mais il a souhaité démissionner de ses fonctions qui étaient lourdes. Je voudrais dire aussi que l’on lui doit beaucoup. Vous vous rappelez qu’il a fondé cette association en 1983, à une époque très dangereuse, très difficile, où il fallait notamment organiser les manifestations considérables que la France a connues à cette époque et qui ont abouti à des résultats très positifs, entraînant le rejet des projets que le gouvernement de l’époque avait préparés. Ma pensée, votre pensée vont vers lui ; nous espérons qu’il pourra reprendre séance, puisqu’il ne veut plus être président, après avoir été pendant longtemps un président très actif, notamment avec les articles qu’il publiait dans notre lettre trimestrielle. Le conseil d’administration a désigné pour le remplacer mon collègue le Recteur Armel Pécheul qui est professeur à l’université d’Angers, et agrégé des facultés de droit. C’est un spécialiste du droit administratif et constitutionnel fort connu qui a en même temps des activités d’élu local. Il s’est intéressé avec efficacité aux problèmes de l’enseignement, comme recteur puis comme élu local ; il a été lauréat d’un de nos prix en 1998. Il avait donc toutes les raisons, son expérience, autorité, compétence pour être élu à cette présidence et je lui passe tout de suite la parole ; car s’est à lui qu’appartient la maîtrise du débat. Rapport moral du Recteur Armel Pécheul Merci, mon cher Maître. Je dois dire qu’il n’est pas simple pour moi de succéder à M. Boudot qui a présidé aux destinées de cette association pour laquelle j’ai une très grande estime depuis son origine. Il a su montrer à la fois son dévouement pour les valeurs que nous partageons et qui nous rassemblent cet après midi. Il a su aussi faire preuve de pugnacité dans l’action, notamment au moment où la liberté de l’enseignement était le plus menacée. Et puis, au moment où, apparemment, les choses étaient un peu plus calmes, par le ton qu’il donnait à ses articles et à ses éditoriaux, il a su maintenir la flamme qui permet de conserver intactes les valeurs que nous partageons. La première chose que je voudrais vous proposer c’est de lui exprimer unanimement notre reconnaissance en le faisant par acclamation président d’honneur de notre association. Applaudissements. Je voudrais aussi remercier tous ceux qui ont animé cette association : M. Drago, qui n’a pas voulu accepter une présidence qui lui revenait de droit et qui a été l’âme de cette association pendant que M. Boudot était indisponible. M. Jean Cazeneuve qui a su assurer d’une main de maître la présidence du jury qui nous permet de nous signaler à la grande presse ; et puis surtout, il n’est pas là parce que précisément c’est une des tâches ingrates qu’il assume, je voudrais remercier Philippe Gorre qui est la cheville ouvrière de cette association. Même s’il n’est pas là, je voudrais qu’on l’applaudisse. Il me revient de faire le rapport moral ; ce que je voudrais dire simplement c’est que nous partageons tous un certain nombre de valeurs communes qui sont contenues dans le nom même de l’association : enseignement et liberté. Ces deux grands mots ont été aujourd’hui menés de façon contradictoire, pour ne pas dire malmenés, puisque, on le voit bien avec toutes les dérives de l’Education nationale, c’est plutôt la liberté de penser qui est mise en cause. A titre individuel, sans engager l’association, je crois que ce qui menace nos républiques et nos démocraties, c’est probablement le totalitarisme de la pensée. Aujourd’hui, j’ai l’impression que nous sommes condamnés par avance, dès lors que nous émettons nos opinions. Le rôle essentiel de notre association est sans doute de témoigner, au nom de cette liberté. Comment pouvons-nous témoigner ? En publiant, car il nous reste encore aujourd’hui la liberté de nous exprimer. Nous avons des éditoriaux, et j’invite tous ceux qui le souhaiteraient à s’exprimer dans notre Lettre; nous avons des thèmes de réflexion comme celui dont nous allons traiter tout à l’heure avec le Professeur Israël. Toutes ces possibilités de nous exprimer, il ne faut surtout pas les abandonner aux autres. Notre association a témoigné, en réagissant aux événements, par les éditoriaux de M. Boudot, par la réunion de groupes de travail et en récompensant par des prix, tous les deux ans, des œuvres, des ouvrages consacrés à l’éducation qui ont tous manifesté la liberté de penser en matière d’éducation. Ce que je vous demande d’approuver, en approuvant ce rapport moral, c’est le travail qui a été fait pendant toutes ces années, en nous donnant la possibilité de le continuer. Nous vous proposerons même tout à l’heure lors du vote des résolutions d’aller un peu plus loin en attribuant des prix chaque année. Pour le reste, nous avons pris avec Roland Drago un certain nombre de contacts avec ceux qui sont "nos usagers privilégiés ", les représentants de l’enseignement privé. Les responsables de l’enseignement catholique nous ont reçus avec une grande ouverture d’esprit. Ils ont pu être parfois frileux, aujourd’hui ils souhaitent que nous fassions un bout de chemin ensemble, probablement parce qu’ils rencontrent des difficultés très grandes. Les promesses qu’ils ont reçues ou les faux accords qu’ils ont pu passer avec l’Etat, ils en ont vu aujourd’hui les limites et je les crois prêts à travailler avec nous. Je vous propose donc aussi de nous autoriser à poursuivre tous les contacts que nous pouvons avoir avec ceux qui sont en dehors du carcan de l’Education nationale : l’enseignement privé traditionnel, du primaire à l’universitaire, mais aussi avec toute forme d’expérience pédagogique, en encourageant tout ce qui peut sortir du moule unique. Pour conclure ce rapport, je souhaite que nous continuions tous à mener ce combat, en essayant de résister au politiquement correct. Si nous gardons cette liberté d’expression, nous éviterons en en usant que l’on nous l’enlève. ALLOCUTION DE M. GERARD LARCHER, VICE-PRESIDENT DU SENAT Monsieur le Président, mesdames et messieurs, tout d’abord merci de m’avoir invité à votre assemblée générale. Elle se tenait dans une des salles du Sénat, ce qui démontre sa préoccupation, au travers de ses missions de représentation du territoire, de la mission d’éducation. D’ailleurs le Sénat a produit, notamment par la plume d’Adrien Gouteyron une évaluation et un rapport sans complaisance il y a moins de deux ans sur la situation de notre système éducatif. Moi-même, dans un cadre plus politique et avec un groupe de proviseurs, de principaux, d’instituteurs, d’institutrices et de parents d’élèves, j’ai commis un rapport volontairement bref sur l’enseignement il y a quelques semaines, contribution à la réflexion de l’opposition, dans la perspective d’une alternance, dans le cadre de ce que nous avons intitulé peut-être pompeusement " une nouvelle école pour la France ". Vous êtes donc ici chez vous et le Président Poncelet m’a prié de vous transmettre ses amicales pensées au moment de votre assemblée générale. Naturellement, Enseignement et Liberté a été auditionnée par notre groupe de travail et y a apporté la contribution de ses travaux et de ses réflexions. Cet après-midi même, vous traitiez d’une des formes de ce qui est constaté comme un des échecs de notre système, celui de l’apprentissage de la lecture. Moi-même, je suis rentré il y a maintenant plus d’un an dans cette réflexion, dans ce rapport, sans avoir l’expérience d’un Armel Pécheul ou d’un éducateur. J’y étais rentré avec le sentiment, comme maire, que le maillon faible de notre système éducatif était le collège ! Et je suis revenu sur cette première appréciation : c’est dans les fondamentaux, donc à l’école primaire, et peut-être même avant que se situent les problèmes essentiels de notre système éducatif . En effet les statistiques nous montrent qu’en sixième 15% des élèves ne maîtrisaient pas du tout la lecture en 96, ils sont 20% en 99. Quel que soit le thermomètre qu’on utilise, " Celsius ou Fahrenheit ", le systèmes, nous amène à une croissance de l’échec de la connaissance de la lecture compréhensive à l’entrée en sixième. En ce qui concerne le calcul, on passe de 33% à 38% en trois années. C’est dire que ce double échec vis-à-vis des fondamentaux est une question qui n’appartient pas aux seuls enseignants, mais c’est bien une question qui est posée à l’ensemble de la classe politique. C’est elle qui se doit de réagir, face à cette réalité. Et si elle ne réagit pas, c’est le principe d’égalité qui est battu en brèche. Il est assez paradoxal que ce soient celles et ceux qui se réclament le plus de" l’égalité " qui soient assez indifférents à ce principe fondamental de l’égalité ! La connaissance à l’âge de onze ou douze ans d’une bonne lecture compréhensive est fondamentale pour la réussite. Comment former des citoyens à la liberté de choix si à onze ou douze ans, ils sont dans l’incapacité de comprendre ce qu’il tentent de lire. Quatre causes principales, à l’origine de l’ échec : 1) tout d’abord, le laxisme de l’institution, car vous y avez consacré, si ma mémoire est exacte, un de vos feuillets il n’y a pas si longtemps, une institution qui ne prend pas au sérieux la violence, la délinquance et qui oublie l’application des valeurs de la République et de l’ordre républicain; 2 ) ce passage à de nombreux niveaux que l’on va retrouver jusqu’en terminale, le plus souvent automatique ou à la disposition des familles dans la classe supérieure; 3 ) c’est aussi la réduction excessive que l’on trouvera au-delà du primaire d’un certain nombre de sections professionnelles; 4) c’est le manque crucial et cruel d’autonomie pédagogique. Mais permettez-moi de dire que les programmes paraissent devoir d’abord être recentrés sur l’essentiel. Nous avons fait un relevé de ce que serait une journée complète, au collège ou en primaire de ceux qui voudraient célébrer tout ce qu’on leur demande de célébrer, en partant des circulaires du ministre de l’Education nationale. Et bien pour la même année, est-ce que l’instituteur, est-ce que le principal est prêt à célébrer la journée de la femme, de la mère et de l’enfant, des aveugles, de l’environnement, de la musique, du souvenir de la déportation, de la lutte contre le sida, la semaine nationale des personnes âgées, la semaine des arbres, la semaine nationale des paralysés et infirmes civils, la quinzaine de l’école publique. C’était à l’époque l’anniversaire de l’armistice de 1918, celui des traités de paix de 1919, le centenaire de l’association Valentin Haüy, le centenaire de la naissance du Général de Gaulle, le bicentenaire de la révolution française, l’hommage à Jean Monnet, le concours national de la résistance, etc. enfin il y en a deux pages. Il faut se recentrer sur l’essentiel. L’essentiel, c’est d’avoir des acquis fondamentaux et c’est de cesser de faire croire que l’encyclopédisme serait un objectif. C’est une illusion et voilà la première des conclusions que nous posons dans notre rapport, qui je le crois rejoint certaines de vos préoccupations. Le deuxième des sujets, c’est la réflexion que nous devons avoir me semble-t-il et sur lequel il serait important qu’Enseignement et Liberté se penche, c’est décentralisation et déconcentration. Est-ce qu’on croit qu’il est encore possible, alors que c’est 13 millions de personnes concernées, que l’on puisse continuer à vivre la centralité, sous prétexte qu’elle préserverait les valeurs de la république. Il y a un moment où la centralité, parce qu’elle devient comme un super tanker, échappe et à son capitaine et à ses officiers, pour devenir une machine qui s’auto-alimente, qui vit dans ses propres rêves. Comment conjuguer l’égalité républicaine, la déconcentration et la décentralisation, il y a là, me semble-t-il, une vraie réponse que nous devrons apporter si, par hasard ou par volonté, nous arrivons à nous entendre les uns les autres, à nous rassembler et à nous réunir pour proposer à notre pays une alternance à ce système médiocre qu’on nous propose aujourd’hui. Alors, mesdames et messieurs, " il y a du pain sur la planche" , autour de quelques idées simples, autour de quelques idées fortes qui nécessiteront du courage politique, mais un courage politique qui doit être pragmatique ; parce que nous voyons bien que si nous ne faisons pas preuve de pragmatisme et de réalisme ou le coup de gouvernail que l’on veut donner n’est soit suivi d’aucun effet, ou c’est suivi d’une espèce de folie et d’un sauve-qui-peut sur le navire. Nous assistons à chaque fois au blocage de toutes les réformes que nous souhaiterions conduire. Il y a ici Armel Pécheul qui a réfléchi à beaucoup de choses, qui a tenté beaucoup de choses et nous voyons bien parfois que le dépit ou un certain découragement pourrait nous saisir ! En tous les cas, comme gaulliste, le découragement ou le dépit sont contraires à la nature de mon engagement politique. Je pense aussi que le pragmatisme fait partie de cette nature ; c’est autour de ces valeurs-là qui est une école qui enseigne les fondamentaux, une école où le chef d’établissement a plus d’autonomie et de responsabilité que je vous propose de réfléchir, notamment autour des thèmes de la décentralisation et de la déconcentration. Merci de m’avoir invité pour quelques minutes à votre assemblée générale d’Enseignement et Liberté. J’ai une demande à faire : ne baissez pas les bras, continuez le combat, donnez à Enseignement et Liberté encore plus de force et de rayonnement, parce qu’on finit par croire que dans ce système il n’y aurait qu’une pensée unique, pensée unique sous forme de fourches caudines sous lesquelles hommes et femmes politiques, quelle que soit leur sensibilité seraient condamnés à passer pour entrer "dans Rome". Eh bien je vous propose que nous entrions par d’autres voies ensemble. Voilà, mesdames et messieurs, ma contribution ! M. Jean Cazeneuve, président du jury Monsieur le président, mesdames, messieurs, chers amis, tout d’abord je tiens à exprimer mes vœux de meilleure santé a M. Boudot et mes compliments au recteur Pécheul qui a bien voulu accepter de lui succéder dans ses fonctions difficiles où il sera assuré d’être aidé efficacement par M. Gorre. Le jury dont j’ai l’honneur d’être le président a décerné pour cette année deux prix :
Il n’est pas très utile de présenter M. Desjardins, déjà auteur d’une vingtaine d’ouvrages qui ont connu un large retentissement. Il a reçu d’ailleurs le prix Albert Londres du meilleur reportage de la presse écrite et il est aussi l’adjoint du directeur général du Figaro. Ce qu’il développe dans Le Scandale de l’Education nationale est très bien explicité dans le sous-titre ou pourquoi (et comment) l’école est devenue une usine à chômeurs et à illettrés. On ne s’étonnera pas de ce sous-titre, puisque l’on sait que M. Thierry Desjardins n’a pas l’habitude d’édulcorer sa pensée. Il peut se le permettre, étant donné qu’il s’appuie toujours sur une argumentation très efficace. En ce qui concerne ce déclin de l’école en France, qui s’éloigne beaucoup de l’école de Jules Ferry, il fait appel, pour sa démonstration, à de nombreuses statistiques qui sont tout à fait convaincantes. Et il trouve la cause principale de ce déclin dans une idéologie d’origine marxiste et dans un égalitarisme sans nuances. Ceux que M. Thierry Desjardins appelle les gourous de la rue de Grenelle estiment en effet que l’objet principal de l’éducation nationale est beaucoup moins de préparer l’enfant à sa vie professionnelle que de faire de lui un être social. Quant à la montée de la violence dans les écoles, ils pensent que le meilleur moyen de lutter contre elle c’est tout simplement de lui trouver des excuses. Au passage, M. Desjardins met en évidence les méfaits de la méthode globale dont nous venons de parler, de l’immigration mal maîtrisée et du collège unique. Ce livre bien documenté méritait vraiment d’être distingué par le jury d’Enseignement et Liberté, ce qui va me donner le grand plaisir de lui remettre ce prix que j’accompagnerai de mes félicitations. Remerciements de M. Thierry Desjardins Monsieur le président, je vous remercie. Rarement j’ai eu l’honneur d’être premier à un concours aussi difficile : c’est une sorte de revanche sur mes années d’université. Je suis particulièrement sensible au fait que ce soit vous qui me le remettiez, car l’un des livres qui m’a le plus marqué, après ma scolarité, est La Psychologie de la joie que vous avez écrit il y a quelques années et qui reste bien sûr d’actualité. Je crois que, quand nous aurons pris le pouvoir, il faudra peut-être en imposer la lecture dans toutes les écoles, ce qui d’une part apprendrait aux élèves une langue belle et classique et d’autre part donnerait une des grandes raisons de l’enseignement, l’école du bonheur, qui a été l’une de vos grandes idées. Je ne peux vous attribuer à mon tour un prix pour ce livre, mais je souhaitais en reparler, car l’idée de la joie et du bonheur, qui fait partie de votre œuvre, est une chose maintenant complètement absente de l’école et de l’éducation au sens général du terme. Je veux aussi remercier tous les autres membres du jury, avec un peu de confusion, parce que je n’avais pas la prétention avec ce livre d’apprendre quelque chose à des spécialistes de l’enseignement comme eux. Je voulais simplement, dans une suite, allais-je dire, de lieux communs et d’idées que tout le monde a, pousser une sorte de coup de gueule, il n’y a pas d’autre terme, et dire, en tapant sur la table, ce que tout le monde murmure. Tout le monde sait qu’il y a maintenant 40 % d’illettrés en France, dans la définition de l’OCDE, qui n’est pas la même que la définition française, ce qui a permis aux autorités françaises de récuser cette enquête. Mais l’OCDE reprend la même définition que l’UNESCO, en considérant comme illettrée toute personne incapable de comprendre un texte usuel de vingt lignes et d’en faire un résumé de cinq lignes. Ce n’est pas notre définition officielle de l’illettrisme, mais il faut savoir qu’aujourd’hui personne ne peut trouver un emploi et une place dans la société s’il est incapable de lire un mode d’emploi de vingt lignes. Qu’il y ait 40% d’illettrés est bien un scandale; tout comme le fait, d’après les statistiques du ministère de l’Education nationale, que sur sept cent mille jeunes qui sortent du système scolaire chaque année, il y en ait quatre cent mille qui n’ont reçu aucune formation à la vie active. Tout comme est inadmissible, mais il y aurait de quoi écrire chaque semaine un livre sur le scandale de l’éducation, qu’alors que nous avons encore deux millions de chômeurs, les industries du bâtiment cherchent deux cent mille personnes à embaucher, qu’elles ne trouvent pas faute de formation, de même que les industries mécaniques en cherchent quatre cent mille. La faute en revient à l’école et il faut que les politiques mais aussi tout le monde prennent conscience qu’il faut changer quelque chose. Le président m’a, je crois, tout à l’heure reproché d’avoir un peu politisé le sujet. Je ne l’ai pas politisé au sens droite gauche, puisque je considère en effet que, depuis au moins un demi-siècle, la droite et la gauche ont été à peu près aussi mauvaises l’une que l’autre dans le traitement de cette question. L’éducation aujourd’hui souffre de politisation, parce que, depuis les années 45, nous avons eu ce que j’appelle des gourous qui n’ayant pas pu faire la révolution marxiste dans la rue ont eu la très bonne idée de la faire à l’école. On vous dit dans les programmes officiels que la mission du maître, rebaptisé médiateur, n’est pas de transmettre des connaissances, car ce serait réimposer le système bourgeois oppresseur d’autrefois, mais d’éveiller des compétences. Cela veut dire que les gourous veulent tout niveler et créer un homme nouveau. J’ai beaucoup de respect pour les enseignants, mais ce n’est pas à eux de choisir notre société de demain et de créer un homme nouveau. C’est au nom de la même idéologie qu’ils ont refusé la compétition, alors que l’école devrait préparer à la vie et que la vie c’est la compétition. Je ne veux pas vous résumer mon livre, mais vous dire que je suis très content d’avoir eu ce prix. Ce livre qui est très modeste ne s’adressait pas tellement à vous, mais à ceux qui ne s’intéressent pas malheureusement aux problèmes de l’éducation. J’en veux un peu aux politiques qui, tout de même, devraient savoir qu’il y a aujourd’hui 29 millions d’électeurs qui ont des enfants d’âge scolaire. Il s’agit de savoir quelle sera la France dans vingt ans. C’est un problème politique, comme le sait bien M. Larcher qui a toujours été en pointe dans le combat contre la pensée unique en matière d’éducation. M. Roland Drago Comme l’a rappelé le président, les prix d’Enseignement et Liberté sont d’une part attribués à des ouvrages de portée générale, tel celui de M. Desjardins dont nous avons tous apprécié la pugnacité, les compétences et l’attirance pour les problèmes d’éducation et d’autre part à des ouvrages plus universitaires. Cette année ce prix a été attribué à un excellent étudiant colombien, M. Carlos Molina Betancur qui a étudié un problème purement français : les réformes de la loi Falloux. Cet ouvrage, préparé sous la direction de M. Claude Goyard, mon collègue de l’université de Paris II, est excellent. Avant de dire ses qualités, je voudrais faire une remarque plus générale, qui touche à ce livre mais qui va au-delà. Si nous faisons partie d’Enseignement et Liberté cela veut dire qu’en France le problème de la liberté de l’enseignement présente une importance considérable. Or il se trouve que la constitution de 1946, dont le préambule est d’ailleurs intégré dans la constitution de 1958, n’avait pas voulu, pour des raisons politiques de l’époque, consacrer dans son préambule la liberté de l’enseignement qui pouvait alors, pour certains et même peut-être pour la majorité, paraître ne plus avoir sa place dans la vie publique. Or il se trouve qu’en 1977 le Conseil constitutionnel, ayant eu à trancher des problèmes concernant cette matière, a consacré cette liberté de l’enseignement, de façon catégorique, à partir de ce qu’il appelle " les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ". Cette consécration par le juge constitutionnel est très importante, mais il faut dire que, de toute manière, les protocoles des Nations unies, que nous appliquons ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme consacrent aussi cette liberté de l’enseignement. La charte des droits de l’homme, si médiocre, qui a été adoptée récemment à Nice consacre néanmoins la liberté de l’enseignement, avec ses caractéristiques essentielles. Par conséquent nous défendons cette liberté, et dans toutes ses acceptions. Tout à l’heure on a parlé de la liberté interne et de la liberté externe ; nous la défendons dans les deux sens, la liberté externe, c’est-à-dire la possibilité pour quiconque, s’il a les capacités requises de diriger un établissement et la liberté interne, celle des maîtres, celle des étudiants ou celle des parents. Je reviens maintenant à la loi Falloux qui date de 1850 et dans laquelle figure pour la première fois l’expression " enseignement libre ", beaucoup plus parlante que l’expression enseignement privé quelquefois utilisée. Il a pu sembler à un certain moment que la loi Falloux avait disparu, qu’elle était tombée en désuétude, car le Conseil d’état l’avait presque dit. Il n’empêche que quand, en 1993, le Conseil constitutionnel a été amené à trancher ce problème, il a, au contraire, considéré que la loi Falloux était encore en vigueur avec les règles qu’elle avait formulées. Elle concerne l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire. Elle ne concerne pas l’enseignement supérieur qui relève d’une loi de 1875 qui a beaucoup plus de portée encore et qui déclare " l’enseignement supérieur est libre ". Autrement dit, tous les ordres d’enseignement français sont sous le régime de la liberté, dans les deux acceptions que j’ai dites tout à l’heure. J’en reviens maintenant au livre de M. Molina Betancur. C’est un livre de 841 pages qui présente toutes les caractéristiques de l’ouvrage scientifique préparé dans le système universitaire. M. Molina a examiné la loi Falloux et son contexte sous la seconde République -- on n’oublie pas que la loi Falloux a été adoptée non pas sous un régime autoritaire, mais sous la seconde République. Il a ensuite montré l’évolution qui s’est faite à propos de l’enseignement libre dans l’enseignement primaire et dans l’enseignement secondaire. Il a étudié les problèmes qui se sont posés au lendemain de la première guerre mondiale, avec la loi Astier de 1919 qui a transposé les principes de la loi Falloux dans l’enseignement technique. Enfin il a évidemment étudié la réforme Debré de 1959 et au-delà, en ce qui concerne l’exercice effectif de la liberté d’enseignement, car à l’époque actuelle il est devenu normal, c’est une chose acquise. Surtout, M. Molina Betancur a étudié le problème de la réforme envisagée par le gouvernement en 1993 et la décision prise par le Conseil constitutionnel, en ce qui concerne les modalités de fonctionnement des écoles libre. Il n’empêche que le Conseil constitutionnel a, par-là même, reconnu la portée et l’existence de la loi Falloux dans notre système actuel d’enseignement. Ces lois, ces textes, la loi Falloux, la loi Astier, la loi Debré et d’autres, sont aujourd’hui intégrés, malheureusement, dans un code de l’éducation nationale qui leur a fait perdre leur signification historique et leur date, avec des numéros ridicules, et qui a permis, peut-être, des manipulations dont on se rendra compte plus tard. Voilà ce que je voulais dire à propos du livre de M. Molina Betancur. Remerciements et exposé de M. Carlos Molina : La Loi Falloux, abrogation ou réforme Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Il est pour moi un honneur de me retrouver devant vous dans cette belle et prestigieuse chambre qui a autrefois servi de parloir à des célèbres personnalités politiques tels VICTOR HUGO oule comtede FALLOUX pour exprimer leurs convictions et leurs craintes sur la liberté de l’enseignement. Hier, menacée par une idéologie ultra-laïque qui a failli effacer le droit des parents d’élèves de choisir librement l’éducation de leurs enfants, cette liberté se trouve aujourd’hui protégée par la Constitution, grâce notamment à la sagesse de la garde de la République : le Conseil Constitutionnel. Déclarée, en effet, en 1977 principe fondamental reconnu par les lois de la République, la liberté de l’enseignement échappe depuis aux passions volontaristes de majorités politiques qui aimeraient, même de nos jours, l’anéantir au profit d’une certaine UTOPIE EGALITAIRE. A l’aube du troisième millénaire la menace est latente, il faudra rester éveillés pour rappeler à ces personnes que là où l’investissement éducatif est élevé et la liberté garantie, la croissance est au rendez-vous : éducation et croissance vont donc de pair. Tous les pays qui à la fin du dernier siècle ont investi en savoir ont connu d’importants développements économiques. La France consacre plus de 6 % de son P.I.B a l’éducation, soit 20 % du budget général de la Nation dépassant celui de défense. Elle fait partie des sept pays du monde où 100 % des enfants sont scolarisés dans le primaire, 30 % des 18-24 ans poursuivent des études supérieures alors que la moyenne européenne est de 23 %, elle est légèrement dépassée par la Grèce et la Belgique. Si l’enseignement général est couvert à 83 % par le secteur public, le reste est assuré par le privé, aujourd’hui en grande partie sous le système contractuel avec l’Etat. La réussite de la loi Debré est incontestable, elle aurait évité à nombre de ces établissements de disparaître pour " délit de pauvreté ". A cette disparition résistent encore un bon nombre d’établissements hors contrat qui ont préféré refuser l’argent conditionné de l’Etat pour préserver intacte leur liberté. De petites écoles bilingues et des écoles associatives qui luttent sans cesse pour transmettre un savoir-faire ou garder une mémoire culturelle se trouvent dépourvues de moyens financiers suffisants pour enseigner librement leurs convictions. L’éducation unique conduit à la pensée unique ! En période de pleine construction européenne la France se doit d’être le moteur du développement scolaire européen, elle doit financer davantage la liberté de l’enseignement. Qui pourra dire à l’heure actuelle que la France n’a pas été et reste encore le carrefour du continent avec une forte culture bretonne à l’Ouest qui la rattache aux anglo-saxons celtiques, une autre plus bas qui l’identifie au pays basque et à l’Espagne, encore celle du Sud qui relie l’Occitanie et la Corse à la Méditerranée et à l’Est celle qui l’identifie la Germanie. Mais hélas, certaines écoles privées françaises qui essaient de préserver cette identité multiculturelle se trouvent au bord de la disparition, oubliées, et parfois méprisées par le gouvernement central. C’est grâce aux gouvernements frontaliers et à des personnes comme vous qu’une grande partie de ces établissements peuvent subsister. Depuis notamment 1981, des illustres sénateurs de droite se battent pour réformer la loi Falloux de 1850 qui limite à 10% les dépenses annuelles des établissements l’aide publique en faveur de l’enseignement libre. Le Conseil d’Etat, puis le Conseil Constitutionnel de deux septennats mitterrandiens se sont opposés à une telle volonté de réforme. Et pourtant, le rapport Vedel de 1993 sur l’état matériel de ce secteur est accablant. Sur 8 000 établissements analysés plus des la moitié nécessitaient des réparations, soit 48 % des écoles, 62 % des collèges et 57 % des lycées. Plus d’un million d’élèves ne travailleraient pas dans des bonnes conditions de sécurité. Ce qui pousserait certaines collectivités territoriales à détourner la loi finançant jusqu’à 50 % les dépenses de ces établissements. Ce rapport jamais publié a permis au gouvernement Balladur de débloquer des prêts sans intérêts pour que les collectivités territoriales intéressées en fassent bon usage. Mais, d’après le dernier rapport de l’Observatoire de la sécurité éducative, très peu d’établissements privés ont bénéficié de ces avantages, c’est l’enseignement public le plus favorisé. La situation pour le secteur privé demeure dans l’état de 1993, voire pire. Comme pour l’analphabétisme ou l’illettrisme, la France ne communique pas ces chiffres, conteste les méthodes de comptabilité des prestigieuses organisations internationales telles l’O.C.D.E et l’UNESCO et persiste dans l’idéologisme scolaire. De plus en plus grande est la protestation de sociologues, politiciens et intellectuels qui se lèvent contre le système scolaire actuel : pour eux l’école de Jules FERRY ne fait plus recette, la France se doit une rénovation scolaire en accord avec la réalité européenne. En effet, la plupart des quinze ont adopté depuis longtemps un système éducatif décentralisé fortement et largement financé par les collectivités territoriales sans exclure la participation des secteurs économiques, sociaux ou religieux. L’Allemagne et la Belgique ont inscrit les principes de tolérance et de financement paritaire dans la Constitution. Dans la plupart de ces pays l’entreprise participe activement à l’école et les collectivités territoriales gèrent avec autonomie et participation des associations des parents d’élèves les destins de futures générations. Georges CHARPAK, prix Nobel français, Gabriel GARCIA MARQUES, prix Nobel colombien et Rodolfo STAVENHAGEN, intellectuel mexicain, et beaucoup d’autres sont d’accord sur le besoin d’une nouvelle éducation pour la nouvelle génération : ils y travaillent. Notre thèse se propose d’apporter un grain de sable à cette construction. J’ai voulu partager avec vous la conviction profonde que de nos jours pour réduire les inégalités, il faut : - sortir de l’école, - abandonner les discours idéologiques - financer davantage la liberté de l’enseignement. Merci, à mon directeur de thèse ici présent le Professeur Claude GOYARD pour m’avoir encouragé dans cette démarche, au Président Roland DRAGO pour s’intéresser à ce projet, au Président du jury, M. Jean CAZENEUVE et à l’Association pour financer ce qui sera au printemps prochain une publication, à vous tous de m’avoir écouté. Armel Pécheul : Voici pour conclure une remarquable intervention de, je l’espère, l’un de nos futurs collègues. Je vous remercie tous de l’attention que vous avez bien voulu apporter aux débats. Je renouvelle toutes mes excuses, mais nous étions pris par un emploi du temps assez serré, à tous ceux d’entre vous qui auraient voulu s’exprimer davantage et que l’on discutât plus encore, notamment des questions de la lecture. Nous sommes tous dans le bon chemin, que ce soit dans les ouvrages que nous récompensons ou par la réunion que nous avons organisée, notre association montre son dynamisme. Je souhaite maintenant que, de votre côté aussi le dynamisme suive. Par les temps qui courent, où la médiatisation peut mettre en exergue quelques personnes qui s’enchaînent autour d’un mur, je ne vous demanderai pas de vous enchaîner autour d’une centrale nucléaire, mais si nous étions dix ou douze mille à manifester ce serait beaucoup. Merci et à bientôt Tweet |